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226220 novembre 2014 – On se rappelle l’effet dévastateur sur les dirigeants russes du discours d’Obama à l’ONU, fin septembre. Le POTUS de service y lançait un grand appel à la mobilisation contre trois menaces qui pesaient sur le monde, selon une classification et dans un ordre qui stupéfièrent les Russes. Nous commentions cela, le 25 septembre 2014, dans un texte qui s’attachait implicitement à ce qui deviendrait la question d’une possible “diplomatie ouverte” que les Russes pourraient décider de pratiquer :
«Le ministre russe des affaires étrangères Lavrov reste imperturbable, – c’est sa qualité principale, – malgré les stupéfactions intérieures que lui procurent les audaces dialectiques et conceptuelles de ses “partenaires”. Il n’en exprime pas moins des mots extrêmement durs et des jugements particulièrement tranchants sur le discours que vient de faire Obama à l’ONU, et le calme du ministre russe fait d’autant plus ressortir la rudesse de son propos. [...] Il s’agit du discours où Obama donne son classement, – son Hit Parade, si l’on veut, – des trois principales menaces qui pèsent sur le monde. Dans l’ordre : le virus Ebola, la politique agressive et expansionniste de la Russie-qui-a-envahi-l’Ukraine, la nébuleuse terroriste ISIS. Il est difficile de prendre une approche critique rationnelle de ces choix et de ce classement, tant chacun des sujets choisis a de multiples facettes faussaires et inverties, et dites par un homme qui dirige une administration elle-même complètement faussaire, et suivant les consignes faussaires d’un Système qui domine tout à Washington.»
(Depuis, les USA dans le chef de leur POTUS omniprésent et habile sur la nuance, a fait une concession importante dans son discours stéréotypé mise à la sauce-Brisbane/G20, – à moins que ce ne soit simplement l’inadvertance des automatismes-Système du speechwriter de service. La hiérarchie des menaces effrayantes qui pèse sur le monde épouvanté a été bouleversée : la terrifiante “politique agressive et expansionniste de la Russie-qui-a-envahi-l’Ukraine” a rétrogradé de la deuxième à la troisième place, doublée par ISIS qui a effectué un effort louable durant le G20 en présentant quelques décapitations de plus.)
Mais voici un prolongement qui nous pimente tout cela et relève le propos au niveau du grand-art type “art contemporain” de cette galerie de miroirs déformants qu’est devenu le champ de la pseudo-“diplomatie” internationale. Hier matin, devant la Douma, donc dans une audition publique et officielle, Lavrov a fait quelques révélations, – et, en cela déjà, se trouve un premier signe important... C’en est un, en effet, que Lavrov, diplomate exemplaire à la maîtrise absolue de lui-même, fasse des révélations qui, dans une époque normale où l’on n’aurait pas besoin de guillemets ni de “pseudo” pour parler de la diplomatie, seraient perçues comme des indiscrétions fort inconvenantes. Dans son chef et dans ces circonstances, ce n’est certainement ni un hasard, ni un emportement, parce que Lavrov ne mange pas de ces pains-là.
Parlant de ce fameux discours de l’ONU et de ce non moins fameux classement, Lavrov a expliqué aux députés qui l’auditionnaient qu’il avait demandé des explications à Kerry, le secrétaire d’État, lors d’une de leurs rencontres récentes : “qu’est-ce c’est donc que cette affaire de mettre la Russie en deuxième menace mondiale, après Ebola et avant ISIS ?” La réponse de Kerry fut, selon Lavrov, du type “aucune importance”, ou bien “n’en tenez aucun compte”, ou bien “ce truc n’a aucun intérêt ni aucune signification” – selon l'humeur qu’on en a. Sputnik, du 19 novembre 2014, rapporte : «[Kerry] said: ‘Don't pay any attention’”». Russia Today (RT) du 19 novembre 2014 donne une autre traduction (en anglais) pour aboutir au même propos : «[Kerry] answered, ‘Pay it no mind’»
Nous citons RT plus en détails, parce que, justement, son compte-rendu est plus détaillé ... «President Obama voiced the three most significant global threats at the UN General Assembly in September. Ebola topped his list, followed by “Russian aggression in Europe.” In third place was the threat represented by the Islamic State extremist group. The US president once again included "aggressive Russia" in his top world dangers list at the recent G20 Summit in Australia.
»“I was pointing out the enumeration of threats, which Obama has allowed himself, starting with his speech at the UN General Assembly,” Sergey Lavrov said on Wednesday, speaking at the State Duma (the lower house of the Russian parliament). “Not so long ago, I was having a conversation with John Kerry and asked him what it all meant. He answered, ‘Pay it no mind’,” Lavrov said.
»According to Lavrov, his American counterpart said that because he wanted to discuss the Iranian nuclear program issue and the situation on the Korean Peninsula. “It’s not appropriate for a powerful country to have such a consumer attitude to its partners,” Lavrov commented. “Where you’re needed, help us; where you’re not, obey us.” The minister said Russia was working on helping to resolve the Iranian and Korean crises “not to please anyone,” but to help the international community avoid risks associated with these issues.»
• Il était difficile que cette déclaration ne fût pas relevée à Washington, malgré le peu de considération qu’on accorde à la presse outrageusement propagandiste et faussaire de la Russie. Il y a des jours où il est nécessaire de défendre la vertu de la Vérité. Il n’empêche, il semble bien que la réaction du département d’État n’ait pas été initiée par le ministère lui-même, mais simplement par la nécessité de répondre à des questions des journalistes, lors de la conférence de presse quotidienne du porte-parole (dont on remarque qu’il n’est ni Psaki, ni Harf, ni du genre féminin, puisqu’il s’agit de Jeff Rathke, directeur du bureau de la presse au département). Sputnik a diffusé cette réaction le 20 novembre 2014, sous cette présentation : «The US State Department has announced that Russian Foreign Minister Sergei Lavrov mischaracterized his private conversation with US Secretary of State John Kerry.» Le verbatim de la conférence de presse (sur le site officiel du département d’État, le 19 novembre 2014) donne ce passage qui n’a guère provoqué de réactions. (Matt Lee, le journaliste d’AP et principal tourmenteur de Psaki et de Harf, n’était pas présent, devine-t-on à un échange rapide entre Rathke et un journaliste, à un autre propos. Dommage.)
Question : «At a government (inaudible) hearing in the state Duma today, Foreign Minister Lavrov discussed President Obama calling Russia a principal threat to the world. He said, quote, “The first time I took note of the listing of the threats that President Obama took the liberty of doing was when I spoke at the UN General Assembly. Sometime later, talking to John Kerry not so long ago, I asked him what it was supposed to mean. He said, ‘Forget about it,’” end quote. Foreign Minister Lavrov went on to say that Secretary Kerry suggested that the Russians forget about it, principally because the Secretary was interested in discussing the P5+1 nuclear deal and North Korea. Is that the opinion of the State Department?»
Rathke : «Well, that is an incorrect characterization. And we’ve seen, naturally, the reports of Foreign Minister Lavrov’s comments. It’s unfortunate that these reports indicate the foreign minister has incorrectly characterized the private diplomatic discussions between himself and Secretary Kerry. As we’ve said repeatedly, we will continue to work with Russia on areas where we agree while standing firmly against Russia’s violations of international principles and the sovereignty of other nations. But that characterization is incorrect.»
Question : «So Secretary Kerry believes that Russia is a principal threat to the world?»
Rathke : «Well, of course the Secretary supports the President’s statements regarding Russia, and he didn’t indicate otherwise in his conversation... Anything else on this topic?»
Question : «No, different.»
Le terme de “mischaracterization” peut se traduire au mieux comme “interprétation erronée”, et il est difficile de dire moins et difficile de faire plus vague. Quant à la question sur l’accord de Kerry avec le “classement” de l’horrible menace russe par son Très-Respecté président, c’est la réponse-standard, qui n’est même pas orwellienne par rapport aux contacts de Kerry avec Lavrov, qui est tout juste de la bouillie pour les chats caractérisant désormais la dialectique forcée par la narrative-Système : Kerry soutient évidemment, – “What else ?” – toutes les affirmations d’Obama sur la Russie et il n’a rien dit de différent (lors de son entretien avec Lavrov)... Quelle que soit la gentillesse incontestable quoique automatisée et ripolinée de Kerry, Lavrov appréciera.
• Lequel Lavrov ne chôme pas ni ne s’arrête en si bon chemin. Le même jour, le 19 novembre, il recevait le ministre allemand des affaires étrangères (puisqu’on continue à se parler malgré l’horreur qu’on éprouve à la seule évocation de l’abominable “menace russe”), puis il y eut une conférence de presse. Un(e) journaliste de RT interrogea, presque candidement, le ministre allemand sur le fait de savoir “pourquoi le point de vue de la Russie et les preuves [appuyant ce point de vue] sont-ils ignorés à l’Ouest ?”. Avant que Steinmeier ait pu répondre, Lavrov intervint et eut cette plaisanterie à l’adresse du (de la) journaliste : “Votre réseau va être interdit en Allemagne également” (si vous posez de telles questions) ; référence sarcastique aux difficultés que RT a à établir un bureau à Londres pour une chaîne RT/UK, parce que l’organisme de régulation éthique de l’information britannique juge que RT est scandaleusement propagandiste et déformateur des faits à propos de l’Ukraine. RT rapporte ainsi l’incident (le 19 novembre 2014), – en précisant, détail intéressant, que c’est Lavrov qui a donné la parole au journaliste.
«Russia's foreign minister, known for his impeccable diplomatic skills, brightened the mood of the media conference held in Moscow after meeting with the German FM. Both diplomats chuckled at a joke directed at RT. [...] During a series of questions asked by various media outlets, Lavrov picked on one asked by an RT Arabic journalist, addressed to Steinmeier. “Why is Russia’s point of view and proof provided by Moscow ignored in the West?” the RT Arabic reporter asked the German minister. Before Steinmeier had time to answer the question, Lavrov jokingly said: “Your channel will soon be banned in Germany too.”
»Russia’s top diplomat was clearly referring to RT’s recent dispute with the British media regulator. This month Ofcom announced it was censuring RT, citing a lack of ‘due impartiality’ on its Ukraine coverage in March this year.»
Cela fait beaucoup pour un Lavrov qui sait fort bien se tenir et peser tous ses mots, et chaque mot, avec une maîtrise exceptionnelle, – il est sans équivalent au monde aujourd’hui, de loin le meilleur ministre des affaires étrangères en exercice. (Même si “le meilleur” ne veut pas dire grand’chose, à cause de la médiocrité des autres, il reste qu’il est, dans l’absolu, un des grand ministre des affaires étrangères pour la référence historique du domaine.) On déduit donc de ce jugement, sans l’ombre d’une hésitation, que ce que Lavrov a dit et fait hier, il l’a dit et fait sciemment, volontairement, délibérément. (On peut même penser qu’il a arrangé certaines opportunités, notamment avec ce/cette journaliste posant la question sur l’ostracisme fait à l’encontre de l’information russe, – c’est de bonne, d’excellente guerre.) ... Eh bien, tout cela nous ramène à notre affaire de “diplomatie ouverte”, déjà signalée. A nouveau, nous nous permettons une citation d’un texte déjà paru dans dedefensa.org, et portant explicitement, celui-là, sur cette “diplomatie ouverte” (le 29 octobre 2014). Il nous semble que cette citation, dans toute sa longueur, permet d’exposer complètement le sujet de la “diplomatie ouverte” dont la séquence-Lavrov ferait partie selon notre point de vue, alors qu’il nous paraît absolument évident que le dit-sujet est d’une très grande importance. Il s’agit, dans le chef de cette “diplomatie ouverte”, de rien de moins que de la “guerre de la communication” qui constitue la voie fondamentale aujourd’hui de l’affrontement des forces en présence, et il s’agit également du fait important que les Russes s’y montrent de plus en plus habiles d’une part et de plus en plus offensifs d’autre part. La séquence-Lavrov illustre la situation décrite ci-dessous en apportant peut-être un élément de réponse à la question qui y est implicitement posée de savoir si les Russes vont finalement faire acte de “diplomatie ouverte”.
«... Cette fois, ce sont les oligarchies en place du bloc BAO qui sont accusées de mettre à mal la diplomatie secrète, mais selon un comportement sélectif, utilisant des méthodes faussaires comme la mise hors-contexte de certains extraits de conversations diplomatiques censées rester secrètes, voire la distorsion, sinon l’invention pure et simple. Et la riposte envisagée [par les Russes] devient alors complètement paradoxale : pour protéger l’essence de la diplomatie jusqu’alors cantonnée à des pratiques “discrètes“ ou “secrètes”, pourquoi ne pas envisager une diplomatie au contraire complètement ouverte ? Il apparaît ainsi que la question de la diplomatie s’est transformée en un épisode de la guerre de communication, confirmant le caractère absolument central du système de la communication dans les relations et affrontements internationaux... [...]
»Cette intervention, du moins l’interprétation générale qui en est donnée dans ce texte et qui correspond certainement à la réalité au Kremlin, présente une situation complètement paradoxale. Ce sont les Russes, défenseurs des principes et des traditions, y compris et surtout dans la diplomatie bien entendu, qui envisagent de rompre complètement ce protocole fondamental de la discrétion des contacts diplomatiques pour ne plus être victimes de “fuites” sélectives, hors-contexte, sollicitées, maquillées, etc. Ce sont les régimes ossifiés, ultra-immobilistes dans le sens de la dévotion aveugle à l’idéologie-en-soi (l’ultra-libéralisme), les régimes-Système du bloc BAO qui se conduisent comme les “révolutionnaires” qui attaquaient les structures traditionnelles des agissements du pouvoir. Mais le paradoxe n’est que d’apparence et il s’efface si l’on accepte notre rangement. Les régimes-Système ont les mêmes comportements déstructurants, anti-principiel, que l’activisme “révolutionnaire”, et ils se retrouvent dans ce cas logiques avec eux-mêmes.
»Les Russes restent néanmoins extrêmement prudents et, comme ils font en général, agitent une menace pour ne pas la mettre à exécution ; ou plutôt, et la nuance est de taille, en espérant qu’ils ne seront pas forcés de la mettre à exécution. Dans ce cas, qui concerne la guerre de la communication et le système de la communication, leur prudence nous paraît excessive. Il s’agit d’un terrain, – la communication, – d’une extrême importance certes, mais qui n’implique pas des actes concrets irréversibles (comme le serait, par exemple, une menace de mesures militaires), c’est-à-dire un terrain où des victoires importantes peuvent être emportées sans causer de dégâts excessifs, et encore moins irréversibles. Sur ce terrain, en raison de l’addiction totale et irréversible du bloc BAO aux narrative, les Russes pourraient s’assurer une maîtrise exceptionnelle sans grand risque effectivement. Ils ont déjà fait des progrès gigantesques dans le domaine de la communication, au travers de réseaux tels que Russia Today qui exercent aujourd’hui une maîtrise et une influence dans l’information transnationale des zones crisiques bien supérieures aux réseaux US correspondants.
»Des initiatives de la sorte qu’on évoque dans le domaine de la diplomatie pourraient avoir un effet justement “révolutionnaire”, et des conséquences de fragmentation redoutables au sein du bloc BAO. Sans nul doute, les conversations secrètes des Russes avec des membres du bloc BAO, pris individuellement, doivent faire ressortir des différences étonnantes de conception, voire des appréciations critiques explosives entre ces membres, les uns pour les autres. Les Russes y seront peut-être, sinon sans doute obligés, parce que le bloc BAO n’entendra aucunement raison sur cette question comme sur toutes les autres dans la dynamique des relations avec la Russie. Dans ce domaine de la communication et de la diplomatie comme dans d’autres, les défenseurs des principes que sont les Russes ne pourront sans doute pas éviter de transgresser ces principes dans des circonstances conjoncturelles spécifiques, pour pouvoir sauver leur caractère structurel fondamental.»
Au même moment, ou disons juste après, où se déroulaient ces divers échanges qui nous semblent justifier que l’on rappelle l'explication de cette tentation russe de recourir à la “diplomatie ouverte”, un sénateur américaniste faisait des déclarations intéressantes. C’était au cours d’une audition de la commission des affaires étrangères, dont le sénateur Chris Murphy fait partie. Selon Sputnik notamment (le 20 novembre 2014), l’essentiel de l’intervention concerne le constat de ce qu’il (Murphy) appelle l’“information militarisée”, c’est-à-dire devenue une arme aussi importante que l’outil militaire, en référence aux progrès exceptionnels que les Russes font dans ce domaine...
«Washington will fight back against Russia's use of “militarized information”, US Senator Chris Murphy said during a Foreign Relations Committee hearing. “A lot of the conversation misses the broader picture that Russia is employing a set of tools that is unprecedented, somebody referred to a new phrase that I hadn't heard of yesterday, that Russia has ‘militarized information’…they are using information…in a way that we have no understanding of and no ability to match," Murphy said Wednesday. The Senator stressed that the Foreign Relations Committee and the US Department of State needed to have a better grip on how to respond to the “new Russian tactics”. “Instead of spending all this time talking about what specific arms we are going to give to the Ukrainians we should be paying attention to what Russia is doing,” Murphy said, stressing that Russia is becoming more powerful in ways other than its military force.»
Pour une fois, il faut accepter le terme d’“information militarisée” comme bienvenu, et non pas le prendre comme une attaque propagandiste de plus contre la Russie. Il faut lui donner sa signification la plus riche et écarter la signification réductrice : il s’agit bel et bien de l’information conçue comme une arme de conflit, au moins à l’égal de la puissance militaire. A cette aune, on pourrait même concevoir de parler de “militarized communication” comme “système de la communication militarisé”, ou plus largement et explicitement, “système de la communication devenu une arme de conflit au moins à l’égal de la puissance militaire” ; ou encore, selon notre appréciation de l’évolution des composants de la crise générale d’effondrement du Système, le système de la communication devenu l’égal du système du technologisme, sinon supérieur à lui en puissance et en capacité.... Mais nous n’avons jamais manqué de préciser combien le système de la communication est un Janus par rapport au Système qui l’a institué et mis en place, combien il peut être manipulé et utilisé à leur avantage par ceux-là même contre lesquels sa puissance (sa surpuissance) a été développée.
Ainsi, les Russes seraient-ils en train de prendre le bloc BAO, et particulièrement les USA, à leur propre piège d’une communication et d’une information devenues armes de guerre privilégiées. En effet et comme on l’a déjà compris, il ne fait aucun doute, dans notre esprit, qu’il faut inscrire cette hypothèse de la “‘diplomatie ouverte” dans ce contexte de la guerre de la communication ou de la “communication militarisée”, et envisager effectivement l’hypothèse que Lavrov intervient comme il l’a fait selon une démarche délibérée renvoyant à l’idée de porter la confusion de la communication dans le camp du bloc BAO. C’est effectivement le cas lorsqu’on révèle des phrases si embarrassantes que celle de Kerry, pour lui-même, Kerry, pour Obama, pour le système de l’américanisme et son fonctionnement, pour le crédit qu’on peut lui accorder dans ses déclarations d’intention et toute autre manifestation de communication.
L’hypothèse-Lavrov est d’autant plus à considérer qu’elle vient peu après la définition d’une “diplomatie ouverte” comme arme de communication, et qu’elle vient à ce moment exactement, après le sommet du G20 de Brisbane. Peut-être n’est-ce pas un hasard, effectivement, si de tels agissements offensifs du ministre russe des affaires étrangères viennent juste après Brisbane, et cela rencontrant alors le jugement que nous proposait MK Bhadrakumar (le 18 novembre 2014) de voir les Russes, après cet événement significatif de l’enfermement du bloc BAO dans sa narrative antirusse furieuse et son refus de tout accommodement raisonnable, passer de ce que Bhadrakumar nomme une “non-coopération passive” à une “opposition active”...
«Again, what happens if Russia abandons its self-restraint and switches gear to active opposition to the US’ policies — from one of passive non-cooperation? So far this hasn’t happened for a variety of reasons. Is the G20 at Brisbane a defining moment, finally, for the Russian elites who pander to the West?»
Car il ne fait aucun doute dans notre esprit que de telles initiatives (celle de Lavrov, à quoi l’on peut ajouter sa plaisanterie concernant RT) peuvent constituer éventuellement une arme puissante, une sorte d’“arme de destruction massive” des psychologies corrompues jusqu’à la moelle par la narrative, affaiblies, faussées, dissoutes littéralement par l’absence de référence à la vérité du monde et la terrorisation engendrée par les pressions du Système. Elles contribuent d’une façon remarquable à discréditer l’adversaire, à semer le trouble et la discorde dans un univers-bulle rigide, où plus aucune référence principielle n’a cours, où ne jouent que les forces corrompues des pressions, de l’influence, de l’exploitation sans scrupule de la narrative, relayant l’écrasante présence et l’insupportable exigence du Système. Pour prendre un exemple très simple, le fait le plus concret, le plus évident, le plus immédiat, conduit à imaginer ce que la “fuite” de Lavrov a pu instaurer comme méfiance et comme suspicion supplémentaires entre Obama et Kerry, d’autant plus avec un personnages aussi vide conceptuellement qu’un Obama, et gonflé d’un extraordinaire hybris uniquement appuyé et justifié par la communication et sa narrative. Même si l’un et l’autre, et n’importe qui à Washington, comprennent que Kerry emploie, pour tenter d’obtenir l’appui des Russes dans l’affaire iranienne, tous les moyens, y compris l’expression appuyée d’un complet discrédit de la parole de son président, même si l’un et l’autre, et n’importe qui à Washington, savent bien ce qu’il faut penser du contenu de tels discours que ceux d’Obama parlant de la Russie comme il l’a fait, – malgré tout cela, il reste le désordre créé par les rancœurs des vanités de l’apparence qui sont les derniers sentiments humains de ces pauvres êtres.
On ne manquera pas de noter, évidemment, la disproportion extraordinaire que cette sorte d’affrontement instaure entre les actes initiaux (la fuite volontaire de Lavrov à la Douma) dérisoires d’apparences, et ce que pourraient être les effets déstructurants et dissolvants à l’intérieur du Système, effets qui se développeraient et qui se développent d’ailleurs d’ores et déjà, à notre sens, souterrainement et silencieusement (qui parle officiellement de l’acte de Lavrov, à part la bouillie pour les chats du porte-parole Rathke ?). Il s’agit d’un de ces processus terrible, une sorte d’“effet-termites” comme on l’a déjà vu et défini, et qui constitue à notre sens le véritable processus d’effondrement du Système, bien plus que le “big-bang” dont on guette désespérément le premier signe avant-coureur. Ainsi cette idée de la “diplomatie ouverte” dont useraient les Russes, qui s’appuie évidemment sur la formidable puissance d’une “vérité partagée” avec l’autre (l’interlocuteur, tantôt ennemi-Système, tantôt complice-négociateur) et qu’on révèle, rejoint, grâce à la communication-Janus, le fameux mouvement de la résistance antiSystème, le “faire aïkido”. Cela implique un phénomène de démultiplication à partir d’un acte assez simple sinon dérisoire, où la surpuissance est remplacée par l’habileté ; l’extraordinaire spécificité de la crise ukrainienne, sans aucun précédent concevable ni dans la durée ni dans l’intensité dans le chef d’une fantastique manipulation des vérités de situation au moyen de la narrative, ou des narrative, permet effectivement d’envisager de telles occurrences. On verra si les Russes, arrivés au bout de leurs tentatives d’accommodement, font véritablement leur cette stratégie qui retourne contre le Système les propres armes du Système, qui n’est rien d’autre que la suprême arme de destruction massive de l’ère de la communication constituant l’essentiel de la structuration de la postmodernité.
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