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1557Dans les relations internationales, le statut des conversations et des négociations des dirigeants a toujours été une question importante. Traditionnellement, disons avant la Grande Guerre avec un avant-goût de l’évolution de la question durant la Révolution française, la diplomatie était secrète dans le détail des conversations et des négociations. (Il y eut même et sans doute y a-t-il encore des traités internationaux qui contenaient [et contiennent] des clauses secrètes.) Cette façon de faire, – secret ou discrétion, selon l’esprit qu’on a pour la désigner, – reposait essentiellement sur la tradition des anciens régimes, où les relations entre dirigeants restaient cordiales entre gens de connaissance et de mêmes conceptions, sinon d’une même classe socio-professionnelle transnationale. Finalement, dans ces situations, les querelles internationales, y compris les guerres, reposaient sur la formule de Clausewitz (“la guerre n’est que la continuation de la politique...”, etc.), mais considérée dans le bon sens et bien entendu dans le sens du diplomate plus que du guerrier : la guerre comme extrême, comme tous les conflits de toutes natures, étaient considérée comme des accidents dans une situation de blocage temporaire, le plus pressé une fois l’accident en cours étant de revenir à la situation normale de tractation diplomatique.
L’exacerbation des révolutions et des nationalismes, avec le moralisme affiché (mais souvent hypocrite) de la démocratie en plein développement tendirent rapidement, – épisodiquement au XIXème siècle et systématiquement au XXème siècle, – à bouleverser cet état de chose. La discrétion de la diplomatie qui reposait sur la confiance et la loyauté devint la “diplomatie secrète”, selon l’interprétation que les dirigeants soupçonnés de devenir des oligarchies étaient accusés de duper les peuples. Ce fut essentiellement l’argument des révolutionnaires contre les directions “bourgeoises”. Aujourd’hui, dans une époque où le système de la communication triomphe, où l’autorité et la légitimité sont soumises à des tensions inouïes, où des facteurs tels que l’affectivité sous l’influence de groupes sociétaux et de relations publiques jouent un rôle essentiel et réduisent la conception politique à des arguments publicitaires, le problème devient extrêmement pressant, extrêmement actuel, mais selon des termes comme d’habitude complètement invertis. Cela apparaît d’une façon éclatante dans la séquence qui s’est ouverte avec la crise ukrainienne. Cette fois, ce sont les oligarchies en place du bloc BAO qui sont accusées de mettre à mal la diplomatie secrète, mais selon un comportement sélectif, utilisant des méthodes faussaires comme la mise hors-contexte de certains extraits de conversations diplomatiques censées rester secrètes, voire la distorsion, sinon l’invention pure et simple. Et la riposte envisagée devient alors complètement paradoxale : pour protéger l’essence de la diplomatie jusqu’alors cantonnée à des pratiques “discrètes“ ou “secrètes”, pourquoi ne pas envisager une diplomatie au contraire complètement ouverte ? Il apparaît ainsi que la question de la diplomatie s’est transformée en un épisode de la guerre de communication, confirmant le caractère absolument central du système de la communication dans les relations et affrontements internationaux.
Sans surprise, on observe que ce sont les Russes qui ouvrent ce problème dans ces termes, car ce sont eux qui ont été, ces derniers temps, la victime privilégiée, sinon exclusive, de cette sorte de pratique. Russia Today consacre un texte à cette question le 28 octobre 2014.
«It’s open season for Western media to bend the rules in their depiction of Russia. And with a little help from Western officials, they can quote President Putin speaking pretty aggressively – even when he actually said nothing of the kind. In recent months, there have been two notable occasions when Vladimir Putin was misquoted. The first came when he apparently put on his conqueror’s hat while speaking about Ukraine. In September, La Repubblica newspaper reported the Putin had told then-European Commission president, Jose Manual Barroso, that he “could take Kiev in weeks.” The alleged bragging was revealed by the European official to a council meeting, but after Moscow said it would publish the transcript of the entire conversation, the EU admitted that the words were taken out of context.
»An arguably more scandalous incident was sparked by former Polish Foreign Minister Radoslaw Sikorski, who told Politico magazine that he overheard Putin suggesting to Polish Prime Minister Donald Tusk in 2008 that Ukraine be divided between the two nations. The official backpedalled on the accusations after a backlash both from Russia and at home, admitting that he never heard Putin actually voicing the Hitleresque plan. He also admitted that Putin and Tusk didn’t actually meet at the time the conversation was supposed to have taken place.
»Moscow suspects that both incidents may be part of a slander campaign against Russia. “I have no doubt that the entire situation with pumping up passions and anti-Russian feelings among the Western public is well-coordinated,” Russian Foreign Minister Sergey Lavrov told the LifeNews channel. “Was there malice in the actions of some of our Western colleagues, who started interpreting the content of confidential conversations in a way that turned interpretation into misinterpretation? Or have some folks simply decided to ride before the hounds or demonstrate their full loyalty to the campaign unfolding in Europe with a lot of input from their transatlantic allies?” the minister wondered.
»Moscow will respond to similar incidents in the future in the way it tackled the Barroso disclosure. “I believe we found the best antivenom – we at once state that we are ready to publish a full transcript of the conversation as was the case with Barroso and some others,” Lavrov said. “We have nothing to hide. Yes, some things are confidential. But on our part we never touch upon things meddling in someone’s internal affairs,” he added. “We are being philosophical on the issue.”»
Cette intervention, du moins l’interprétation générale qui en est donnée dans ce texte et qui correspond certainement à la réalité au Kremlin, présente une situation complètement paradoxale. Ce sont les Russes, défenseurs des principes et des traditions, y compris et surtout dans la diplomatie bien entendu, qui envisagent de rompre complètement ce protocole fondamental de la discrétion des contacts diplomatiques pour ne plus être victimes de “fuites” sélectives, hors-contexte, sollicitées, maquillées, etc. Ce sont les régimes ossifiés, ultra-immobilistes dans le sens de la dévotion aveugle à l’idéologie-en-soi (l’ultra-libéralisme), les régimes-Système du bloc BAO qui se conduisent comme les “révolutionnaires” qui attaquaient les structures traditionnelles des agissements du pouvoir. Mais le paradoxe n’est que d’apparence et il s’efface si l’on accepte notre rangement. Les régimes-Système ont les mêmes comportements déstructurants, anti-principiel, que l’activisme “révolutionnaire”, et ils se retrouvent dans ce cas logiques avec eux-mêmes.
Les Russes restent néanmoins extrêmement prudents et, comme ils font en général, agitent une menace pour ne pas la mettre à exécution ; ou plutôt, et la nuance est de taille, en espérant qu’ils ne seront pas forcés de la mettre à exécution. Dans ce cas, qui concerne la guerre de la communication et le système de la communication, leur prudence nous paraît excessive. Il s’agit d’un terrain, – la communication, – d’une extrême importance certes, mais qui n’implique pas des actes concrets irréversibles (comme le serait, par exemple, une menace de mesures militaires), c’est-à-dire un terrain où des victoires importantes peuvent être emportées sans causer de dégâts excessifs, et encore moins irréversibles. Sur ce terrain, en raison de l’addiction totale et irréversible du bloc BAO aux narrative, les Russes pourraient s’assurer une maîtrise exceptionnelle sans grand risque effectivement. Ils ont déjà fait des progrès gigantesques dans le domaine de la communication, au travers de réseaux tels que Russia Today qui exercent aujourd’hui une maîtrise et une influence dans l’information transnationale des zones crisiques bien supérieures aux réseaux US correspondants.
Des initiatives de la sorte qu’on évoque dans le domaine de la diplomatie pourraient avoir un effet justement “révolutionnaire”, et des conséquences de fragmentation redoutables au sein du bloc BAO. Sans nul doute, les conversations secrètes des Russes avec des membres du bloc BAO, pris individuellement, doivent faire ressortir des différences étonnantes de conception, voire des appréciations critiques explosives entre ces membres, les uns pour les autres. Les Russes y seront peut-être, sinon sans doute obligés, parce que le bloc BAO n’entendra aucunement raison sur cette question comme sur toutes les autres dans la dynamique des relations avec la Russie. Dans ce domaine de la communication et de la diplomatie comme dans d’autres, les défenseurs des principes que sont les Russes ne pourront sans doute pas éviter de transgresser ces principes dans des circonstances conjoncturelles spécifiques, pour pouvoir sauver leur caractère structurel fondamental.
Mis en ligne le 29 octobre 2014 à 11H38
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