La dislocation comme méthodologie du big Now

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La dislocation comme méthodologie du big Now

Nous n’avons pas choisi une période particulièrement spéciale, ni des domaines particulièrement mis en évidence par le système de la communication, ni une journée extraordinaire. Nous avons choisi, presque au hasard, comme on tire deux numéros pour désigner les gagnants dans un chapeau remplis de petites feuilles pliées... Et nous avons deux nouvelles, dans des champs différents, selon des préoccupations étrangères, qui nous informent de choses qu’on qualifierait, selon disons une “doctrine Rimbaud-Chirac” (l’un inventa le terme, l’autre l’utilisa), d’abracadabrantesques par rapport au contexte, à la logique, à la bonne marche des affaires où elles s’insèrent, par rapport enfin à ce que la raison et la logique recommandent. C’est comme si l’“information”, c’est-à-dire une partie de la production du système de la communication était, elle aussi car ce n’est pas le premier phénomène du genre, entrée dans une ère d’instabilité et de désordre structurels chroniques qui fait dépendre son sort, non de la réalité avec ses exigences de cohérence mais de forces autonomes qui ne tiennent aucun compte de cette cohérence.

In illo tempore, on qualifierait ceci ou cela de “gaffes”, de “faux-pas”, et l’une ou l’autre sanction serait prise, l’un ou l’autre responsable mis à pied. En d’autres mots, on considérerait l’incident comme réellement accidentel et comme une aberration, une erreur, une maladresse absurde. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : de plus en plus, des actes sont posés à partir d’informations internes ou secrètes traitées d’une façon complètement cloisonnées et deviennent, une fois posés, des informations publiques et officiellement sanctionnées comme “normales”, “logiques” et “justifiées”. C’est à peine si quelques critiques marginaux relèvent leurs aspects absurdes, incongrus, contradictoires, complètement contre-productifs (tout cela à la fois). Les processus de cloisonnement et de rupture des rapports de cause à effet ne sont plus, eux aussi, des “incidents réellement accidentels et comme une aberration”, mais bien des attributs respectables, sinon impératifs, de la méthodologie invertie qui s’impose à cette occasion.

• La première des deux nouvelles concerne une nouvelle prise de position de l’AIPAC. Cette nouvelle prise de position contredit une succession de prises de position elles-mêmes contradictoires, qu’on a détaillées, nous, en une successions de textes : le 17 janvier 2014, le 24 janvier 2014, le 31 janvier 2014, le 8 février 2014. La nouvelle prise de position de l’AIPAC, soutenant un projet de loi au Sénat US de nouvelles sanctions contre l’Iran qui n’a aucune chance de passer dans le climat actuel, contredit la précédente sans le moindre souci de cohérence et de logique interne, par rapport aux précédentes informations. Il s’agit d’une affirmation brute (une lettre du président du lobby israélien Michael Kassen, – voir PressTV.ir, le 9 février 2014), dans le sens qu’elle implique une dislocation complète de déroulement des diverses prises de position par l’avatar du cloisonnement des informations, paradoxalement à l’intérieur d’un processus d’enchaînement. Dans ce cas, l’enchaînement n’est plus qu’une réalité mécanique, toute logique rationnelle de continuité en est absente et aucun effort n’est fait, y compris par d’éventuelles transformations mensongères des faits, pour tenter d’en établir une apparence.

«The American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) has denied that the pro-Israel lobby group is supporting the White House’s position regarding an Iran sanctions bill in the US Senate. “I am writing today to correct some mischaracterizations in the press regarding our position on the Senate Iran bill. Some have suggested that by not calling for an immediate vote on the legislation, we have abandoned our support for the bill. Nothing could be further from the truth,” AIPAC President Michael Kassen said in a statement. “In fact, we remain strongly committed to the passage of the Nuclear Weapon Free Iran Act,” he added.»

• La seconde des deux nouvelles concerne une affirmation du département du trésor US contre l’Iran, justifiant des propositions de sanction contre ce pays au nom de la lutte contre le terrorisme. L’Iran est accusé (et pratiquement jugé coupable) d’aider des groupes relevant de l’ensemble al Qaïda, qui luttent contre le régime syrien du président Assad. La nouvelle, présentée notamment par le Daily Star de Beyrouth le 8 février 2014, est reprise sous forme d’un commentaire étonné de Antiwar.com (le 9 février 2014), pour relever le fait qu’une accusation suivie d’effets contre l’Iran d’aider l’ennemi mortel d’un gouvernement dont lui, l’Iran, est l’allié le plus fidèle, ne semble poser aucun problème de cohérence aux fonctionnaires qui ont rédigé la directive ; elle est affirmée, “as a matter of facts”, sans nécessité de compréhension, d’explication, etc. (On repoussera l’hypothèse habituelle d’une machination, alors que l’administration Obama cherche à tout prix à éviter, pour l’instant, de nouvelles sanctions contre l’Iran, pour ne pas compromettre les négociations en cours.)

«[T]he Treasury Department is accusing Iran of “assisting al-Qaeda” in sending jihadist fighters to Syria to attack the Assad government. The allegation seems to center around a single “facilitator” who purportedly lives along the Iran-Afghan border and has provided passports to al-Qaeda recruits, with the assumption that they’re being used to flock to Syria, and with the added assumption that Iran is letting them do so. That the Assad government is literally Iran’s closest ally on the planet and that al-Qaeda is openly hostile to Iran’s Shi’ite government are both unchanged, and of course that means Iran backing al-Qaeda against Syria is literally the last thing they’d do. The Treasury Department didn’t reconcile that fact with anything, but rather just stated the allegation, like so many others, as a matter of course.»

Ce qui distingue ces deux informations, prises comme exemplaires et nullement exceptionnelles, c’est effectivement la méthodologie, ou plus simplement la méthodologie réduite à la procédure mécanique et aveugle, coupée de toute référence à la continuité temporelle avec ses avatars contradictoires, les nécessités de la logique, etc. On rappelle ici une explication systémique et procédurière du comportement de l’AIPAC que donnait Jim Lobe, dans notre plus récent texte sur le thème (le 8 février 2014) ; on citait notamment cet élément de l’analyse de Lobe de la déroute catastrophique de ce lobby en notant : «[AIPAC] also suffers from an indecisive and uncertain leadership typical of large organizations that have grown overconfident in their power when suddenly confronted with a major setback.» On peut faire l’hypothèse que la même sorte d’explication peut être avancée pour le trésor US, avec dans les deux cas deux puissantes organisations bureaucratiques, effectivement repliées sur elles-mêmes comme c’est l’habitude au stade actuel de décadence et même de dynamique d’effondrement du Système.

Mais ce qui nous intéresse est l’effet que ces actes absurdes dans leur contexte, mais acceptables lorsqu’ils deviennent des informations de ces actes réduites à elles-mêmes (c’est-à-dire sans référence ni à ce qui a précédé, ni à l’effet que cela donnera, – ni au passé, ni à l’avenir du processus), produit sur le phénomène du “big Now (voir le 29 janvier 2014) caractérisant notre situation actuelle. Le phénomène de “big Now”, c’est-à-dire l’hypertrophie du présent du à la puissance du système de la communication empilant les informations sans laisser le temps de les traiter, de les ordonner de les coordonner, ce qui conduit à un effet où tout devient “présent”, où la continuité temporelle avec ses exigences logiques est réduite à rien, coupant ainsi le processus temporel normal du futur ; mais rompant également l’arrière-plan normal du passé, dans la continuité duquel, là aussi avec ses exigences de logique, devraient se placer normalement les diverses informations. Cet effet d’empilement, cet effet d’hypertrophie du présent, cet effet d’enfermement dans le présent par suppression du passé et de l’avenir du flux d’informations, conduisent à un effet général spécifique du phénomène “big Now”. (Nous ne l’avions pas spécifiquement signalé simplement parce que ce concept nouveau est en cours d’exploration, que certains de ses caractères apparaissent à mesure que progresse cette exploration.) Il s’agit d’un effet de dislocation et de fragmentation de l’information, avec perte de cohésion et de coordination aboutissant à des informations caractérisées par leur absurdité. Bien entendu, toutes ces situations, tous ces effets sont principalement obtenus par la puissance du système de la communication qui est plus grande que jamais, et qui ne cesse de renforcer et de multiplier les conditions qui organisent le concept de “big Now”.

... Cette situation alimente évidemment les analyses constatant l’effondrement de l’influence et des capacités des puissantes structures du Système. Le cas de l’AIPAC est probant, avec le verdict de son impuissance de plus en plus acceptée, et son influence qui dépend de son image de puissance effectivement réduite d’autant. (Voir par exemple ce texte de Trita Parsi, sur son blog d’HuffingtonPost ce 8 janvier 2014, reprenant, ce qui a été rarement fait ces dernières semaines, l’ensemble des trois défaites de l’AIPAC en un an, que nous détaillions le 31 janvier 2014 : «The defeat of AIPAC's ill-advised push for new sanctions on Iran in the midst of successful negotiations is nothing short of historic. The powerful and hawkish pro-Israeli lobby's defeats are rare and seldom public. But in the last year, it has suffered three major public setbacks, of which the sanctions defeat is the most important one.») C’est-à-dire que cette situation de déconnection dans les enchaînements de procédure tend à réduire radicalement l’image des organisations concernées à la seule contradiction absurde des “informations” qui se suivent sans souci de logique et de crédibilité, réduisant ainsi la perception de leur puissance, par conséquent leur influence et ainsi de suite. Ce processus de dislocation de l’information par le biais paradoxal de l’empilement de l’information caractéristique du “big Now” apporte ainsi une contribution majeure au processus général du type dd&e retourné contre le Système, en présentant un Système effectivement déstructuré, avec la dissolution des effets de sa surpuissance vers l'autodestruction dans le cadre du système de la communication.

 

Mis en ligne le 11 février 2014 à 07H23