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328Depuis deux jours, beaucoup de nouvelles et de commentaires sur la présentation publique des premières vedettes rapides d’attaque des séries Seraj et Zolfaqar par les Iraniens. (Voir notamment, présentation de l’événement, le 23 août 2010, sur AFP/SpaceWar.com.) Sur son site The War in Context, Paul Woodward en fait la présentation suivante, également le 23 août 2010.
«The lesson of the famous Millennium 2002 Challenge was that a cumbersome military machine that over-invests in high tech weaponry is vulnerable to swarming attacks. In the $250 million war game such an attack resulted in most of the US fleet being sunk within hours.
»With the development of the F-35 Joint Strike Fighter — the most expensive defense program ever — going ahead, it looks like the Pentagon is still stuck in the past. Iran on the other hand — the country that grasps the jugular vein through which most of the world’s oil supply flows (the Strait of Hormuz) — today made clear that it knows exactly how to flex its muscles in that arena and it will do so with vessels designed for lethal swarming…»
@PAYANT Comme on le lit, Woodward fait référence au fameux exercice de 2002, Millenium 2002 Challenge, qui se termina en débâcle, avec la démission du général des Marines Van Riper devant le constat que le Pentagone refusait de poursuivre cet exercice qui montrait comme résultat un désastre pour l’U.S. Navy dans le détroit d’Ormouz, avec la perte de 16 navires de guerre US (dont un porte-avions) le premier jour de l’engagement, dans une bataille contre des forces iraniennes dites non-conventionnelles, – comme ces fameuses vedettes, justement. (Woodward renvoie à Wikipedia pour une documentation sur cet exercice.) La référence est bonne parce que l’incident a marqué les esprits au Pentagone et, surtout, au sein de l’U.S. Navy. Il existe au Pentagone une obsession des “vedettes” iraniennes, née des années 1987-1989, lors de la première “drôle de guerre” navale du Golfe Persique et du détroit d’Ormouz. Il s’agit d’un concept typiquement asymétriques de petits navires très rapides, de la classe des vedettes rapides d’attaque, difficilement repérables en temps utile parce que très rapides et très bas sur l'eau, montées par des équipages prêts à tout, y compris une attaque-suicide, équipés éventuellement de quelques armes (missiles notamment) dont l’efficacité serait multipliée par la rapidité d'intervention et à position de proximité de l’attaquant, donc très grande en fonction de la tactique supposée des Iraniens de s’approcher le plus possible de leur cible grâce à leur vitesse et leur très faible visibilité, dans des conditions favorables (de nuit notamment). (L'attaque réussie, en 2000, contre le destroyer USS Cole, dans le port d'Aden, par une embarcation piégée, avec d'énormes dégâts causés à l'unité US, a considérablement renforcé la perception de cette menace par l'U.S. Navy.)
Les deux vedettes dont les Iraniens annoncent la production de masse comprennent certains équipements modernes propres à compléter, dans l’esprit des planificateurs de l’U.S. Navy, la vision extrêmement pessimiste, voire proche de la panique, d’une telle perspective. Ces mêmes planificateurs se trouvent devant une menace dite “de basse intensité” dans les moyens mais de très haute intensité dans les résultats potentiels, dont ils ont toujours admis que la sophistication sans cesse grandissante des moyens mis en œuvre contre elle ne parvenait pas à la réduire significativement, – à plus forte raison avec ces deux nouvelles vedettes qui incorporent quelques éléments qui accroissent d’une façon importante leur efficacité, toujours dans le même mode tactique d’une attaque de proximité.
De ce point de vue, on peut admettre que les deux nouveaux équipements iraniens ont une valeur dissuasive immédiate et concrète bien plus importante que les éventuels S-300 russes (missiles sol-air) dont la livraison cent fois annoncée et cent fois démentie constitue un cas considérable d’une manœuvres militaro-politiques des divers pays impliqués ; peut-être même peut-on parler d’une valeur dissuasive plus importante que l’éventualité de l’arme nucléaire iranienne, soumise à tant de conditions et tant de manœuvres de désinformation. Ces deux séries de vedettes, par contre, constituent un matériel bel et bien existant, lancé en production massive et quasiment impossible à éliminer par des manœuvres diplomatiques, pressions, etc. C’est une dissuasion concrète, d’ores et déjà en place. On peut admettre que l’annonce des Iraniens conduit l’U.S. Navy, dans ses plans de guerre régulièrement tenus à jour, à renforcer décisivement les mesures de déploiement adéquates prévues en cas de conflit dans cette occurrence, c’est-à-dire un retrait immédiat de toutes ses unités du Golfe Persique et un recul de ses groupes d’attaque (groupes constitués autour d’un porte-avions d’attaque) de plusieurs centaines de kilomètres des côtes et du territoire iranien, dans l’Océan Indien. C’est-à-dire qu’en cas d’“attaque” contre l’Iran, la première mesure de l’U.S. Navy serait un retrait précipité de ses forces à distance respectable, notamment et essentiellement de ses trois porte-avions ou plus, ce qui serait le chiffre minimum de ce type de navires pour soutenir une attaque. Cela priverait aussitôt les forces US de l’efficacité peut-être décisive d’une dimension aéronavale efficace, les forces aériennes embarquées sur les porte-avions perdant brutalement leur fondamental avantage naturel qui est la proximité de l’objectif, avec des conséquences tactiques et logistiques considérables.
Il y a, depuis un quart de siècle, une obsession de l’U.S. Navy, qui est de voir une de ses grandes unités (le porte-avions d’attaque) gravement touchée, voire coulée dans une telle sorte de circonstance. Il est absolument assuré que cette perspective pèse de tout son poids sur l’attitude de l’U.S. Navy, et renforce considérablement son attitude politique naturelle qui a toujours été, dans ce cas, de freiner les politiques agressives vis-à-vis de l’Iran. C’est un véritable mythe qui a été édifié dans l’esprit des planificateurs US, du potentiel destructeur des armes asymétriques iraniennes, comme seule possibilité existante d’infliger à l’U.S. Navy une perte (un porte-avions coulé, pour suivre l’exemple) qui serait sans aucun doute vécue, à cause de la caisse de résonnance de la communication et du volume de spéculation existant à cet égard, comme un véritable Pearl Harbor et une défaite politique capable de remettre en question toute la politique d’engagement extérieur US. Une telle possibilité est en effet, aujourd’hui, le seul cas militaire planifié par les USA où une défaite militaire US ne serait pas suivie nécessairement d’une riposte massive mais, en raison des circonstances très spécifiques (et de la persistance de la menace pour les autres forces US restantes), probablement d’un retrait accéléré qui signifierait en termes politiques une défaite catastrophique, voire décisive, des USA. (La seule échappatoire à ce dilemme est la possibilité d'une riposte nucléaire US qui, dans ces conditions, constituerait un véritable cas d'engagement nucléaire de représailles massives, au-delà de la dimension opérationnelle. Cela constituerait un risque pas loin d'être inacceptable d'un conflit avec d'autres puissances impliquées, pouvant effectivement être du domaine du nucléaire, autant que de remous très graves dans les situations intérieures US et autres.)
Par conséquent, tout doit être fait dans les plans de bataille pour éviter une telle occurrence de la possibilité d'une telle “défaite”, sans évoquer les positions politiques très différentes des armes, avec une U.S. Navy freinant au maximum toute possibilité d’attaque U.S. De ce point de vue, les vedettes iraniennes constituent une arme dissuasive d’une force sans doute jamais égalée dans l’histoire par les effets induits, directs et indirects, et notamment dissuasifs, à cause de la disparité d’importance des forces, du formidable rapport puissance-efficacité supposé des Iraniens, de la formidable et paradoxale faiblesse en termes de potentiel de pertes de l’énorme puissance US. En fait, et quoi qu’il en soit de la réalité, ce scénario de l’attaque des vedettes iraniennes désormais formidablement renforcé par les nouvelles unités, est considéré comme le scénario archétypique de la réussite totale de la guerre de quatrième génération en termes de tactiques asymétriques directement appliquée à la bataille. La dimension psychologique et la perception symbolique, sinon quasiment mythologique, y jouent un rôle énorme malgré l’univers hyper-rationnel de la planification, – ou bien à cause de la spécificité rationnelle de cet univers, dont l’affaiblissement et la vulnérabilité ne cessent de grandir.
La seule interrogation à ce propos est de savoir pourquoi les Iraniens ont mis si longtemps à lancer une production fortement orchestrée en termes de communication, de nouvelles séries de vedettes, même intermédiaires par rapport aux modèles nouveaux présentés lundi. Sans doute eux-mêmes ont-ils du mal à mesurer la force dissuasive colossale d’une telle opération, auprès d’un Pentagone dont l’énorme puissance vit depuis deux décennies dans la hantise d’une telle défaite, tant cette puissance est fondée sur un critère d’absolu qui suppose qu’aucun élément majeur de cette puissance ne peut-être contesté, encore moins détruit, par aucun adversaire existant, encore moins par un adversaire du type “Tiers-Monde”, comme on considère généralement l’Iran dans les cercles militaires, pleins de fatuité et d’arrogance, du bloc occidentaliste-américaniste. Dans tous les cas, on comprend évidemment l'importance de ce facteur opérationnel de dissuasion dans la crise en cours, sur fond d'hypothèse d'attaque de l'Iran,
Mis en ligne le 25 août 2010 à 06H28
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