La drogue comme motif de conflit

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Diverses évolutions en cours nous font penser qu’apparaissent des nouvelles formes de conflits correspondant à la phase terminale de la crise générale du système. Toutes ces formes de “nouveaux conflits” potentiels n’ont pas un lien direct avec cette crise générale mais lui sont directement liés. Ici, c’est l’hypothèse d’un conflit entre la Russie et les USA, dans le cadre de la crise afghane, à propos de la drogue.

Cet article, du site BeforeItsNews.com le 9 juin 2010, n’est certainement pas présenté par nous comme une référence assurée du point de vue de l’information et de la prospective. Certains éléments sont justes, d’autres complètement spéculatifs. Il faut donc le prendre comme exemplaire d’une tendance spéculative en cours de développement, rien de plus, – mais rien de moins également.

»Reports circulating in the Kremlin today state that Prime Minister Putin has ordered Russian military forces to prepare to confront American military forces in Afghanistan over what Deputy Prime Minister Sergei Ivanov warns is the “greatest threat to International peace and security”, Afghanistan’s thriving drug trade supported by the US and NATO.

»Not being reported to the American people about the Afghanistan war is that it has nothing to do with their being protected from terrorists, but rather it involves the billions of dollars gained for many of the West’s top intelligence agencies (mainly the CIA) from the heroin produced in this region (90% of World’s total) that by 2001 the Taliban had virtually eliminated.

»Immediately after the US invasion of Afghanistan in October, 2001, the Central Intelligence Agency (CIA) installed one of their main Afghan operatives, Hamid Karzai, as President, who then put into power his brother Ahmed Wali Karzai, who since then has increased heroin production to levels unseen in modern times and resulting in the deaths of tens of thousands of Russian citizens.

»Viktor Ivanov, the head of Russia’s Federal Drug Control Service, Russia’s National drug enforcement agency, told parliament in May that it was reasonable to “call the flow of Afghan opiates the second edition of opium wars.” Ivanov was referring to the 19th-century war between Britain and China sparked by exports of opium from British India to China.

»Ivanov isn’t alone.

»“I can name you a lot of politicians in Russia who said that the Americans specially arranged the situation in Afghanistan so that we would receive a lot of drugs, and this is the real aim of their occupation,” said Andrei Klimov, the deputy head of the foreign affairs committee in Russia’s lower house of parliament. “I’m not sure this is true, but who knows.”»

A noter que l’article lie implicitement la démission récente du président allemand à cet aspect de la guerre en Afghanistan, en restant néanmoins très vague sur ce rapport…

Notre commentaire

Effectivement, cet article va loin dans la spéculation avec l’hypothèse d’une “guerre” entre la Russie et les USA pour la question de la drogue en Afghanistan. Il s’agit d’une démarche courante par les temps qui courent, consistant à pousser une situation donnée jusqu’à son extrême catastrophique, en agrémentant cette spéculation d’une intention politique impliquant un vaste plan agressif de la part d’un des acteurs concernés. L’essentiel ici est que cette “situation donnée” existe, comme le montrent les préoccupations russes (et chinoises) concernant l’afflux de drogue d’Afghanistan en Russie (et en Chine par conséquent). Un député russe, Semion Bagdassarov, a même déclaré qu’il faudrait fermer la voie de transit par la Russie de l’OTAN vers l’Afghanistan si l’OTAN ne lutte pas en Afghanistan contre la production d’opium.

Quant au “vaste plan agressif”, nommément identifié comme étant le fait de la CIA, on émettra les réserves d’usage parce que cette spéculation, en général à l’encontre de l’un ou l’autre service américaniste ou du système américaniste dans son ensemble, s’appuie sur une psychologie de la conception et de la planification complètement étrangère à la psychologie d’action des USA. Cette psychologie américaniste est incapable d’envisager l’action construite et coordonnée sur le long terme, dans un but précis et contrôlé, sinon au prix d’erreurs catastrophiques qui se retournent contre les intérêts des USA. On conviendra que cela limite d’autant les capacités US, voir l’idée même de monter des vastes plans stratégiques de subversion ayant quelque efficacité que ce soit. Par contre, l’activisme constant de l’américanisme et de ses services, sans le moindre souci de la légalité et avec une prédilection pour les actions covert, est une incontestable réalité qui engendre effectivement une multitude d’actions ponctuelles, déstabilisantes mais aussi souvent incontrôlées, qui permettent effectivement aux esprits féconds d’avancer l’existence de plans à très long terme qui n’existent pas.

Dans le cas de l’opium d’Afghanistan, la CIA joue ce rôle activiste et erratique, dans un domaine où l’Agence a plus d’une fois été impliquée. Dans les années 1980, notamment, il a été largement démontré que la CIA avait été le principal instrument d’ouverture des marchés US aux flots de drogues classiques et nouvelles, notamment pour des raisons de financement. Ce précédent montre bien l’absence de plan à longue distance et à grande échelle au profit de situations ponctuelles sans mesure de toutes leurs conséquences puisque, dans ce cas, l’action, qui n’avait au départ qu’un simple but utilitaire, a introduit des ferments de déstabilisation sérieux aux USA (et non pas seulement contre la seule communauté noire comme on en a souvent soupçonné le projet, tant s’en faut).

L’autre point à souligner est la montée des facteurs de conflit non militaires, non stratégiques, non géopolitiques, mais de plus en plus à coloration sociale et d’équilibre des sociétés. De ce point de vue, cette question de la drogue pour la Russie et la Chine (qui a son équivalent avec la question de la drogue sur le frontière mexicaine, vers les USA) est une sorte de ferment avec potentialité de conflits de sortes diverses et indéfinies, qui rejoint l’extension actuelle vers des catégories nouvelles de la crise de l’“oil spill” du Golfe du Mexique, constituant à cet égard un «modèle des crises futures, où les facteurs de l’environnement en crise jouent de plus en plus le rôle de manipulateur déstructurant…».

Dans le cas qui nous occupe, l’environnement est remplacé par un de ses sous facteurs, qui est la production de drogue, et son rôle “déstructurant” est encore très mal identifié quant à son champ d’application, – car il peut toucher aussi bien la Russie (et la Chine) que les relations de ces pays avec l’OTAN, que la situation au sein de l’OTAN si la Russie parvient à poser la question de la réalité des effets de la guerre d’Afghanistan, effets volontaires ou involontaires, etc. Il s’agit de l’extension des conflits d’un mode nouveau, liés aux crises diverses de structures non stratégiques et non militaires, elles-mêmes enfantées par l’extension eschatologique de la crise générale avec les questions et les crises que l’agonie du système déclenche dans les domaines environnementaux, sociaux et psychologiques.

Il nous semblerait extrêmement illogique de tirer, à partir de là, la conclusion que cette nouvelle orientation pourrait conduire à des conflits classiques (comme l’hypothèse d’une guerre Russie-USA) car la transformation en cours affecte tous les aspects des domaines considérés. Les motifs, les formes, les fondements des antagonismes changent, à la mesure de l’accélération de la crise déstructurante, et l’on voit mal comment ils pourraient déboucher sur un retour à des conflits classiques qui, pour avoir lieu, impliquent l’existence d’un milieu géostratégique et militaire extrêmement structuré, celui qui existait auparavant, – celui qui est en train d’être pulvérisé justement. Ces nouvelles crises vont entraîner des formes absolument nouvelles d’antagonisme, qu’il est encore difficile d’imaginer, et pour lesquelles il nous paraît complètement déplacé et obsolète, comme étant le produit d’une pensée figée dans le passé, de penser qu’elles dupliqueront les modes d’action (la guerre classique) d’une époque en train de disparaître à si grande vitesse.


Mis en ligne le 9 juin 2010 à 08H37