La drôle de guerre…

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La drôle de guerre…


9 juillet 2005 — Les attentats de Londres ont été perçus dans toutes les capitales qu’il faut et chez tous les commentateurs qui vont bien comme un moyen tonitruant de relancer la mobilisation. (Mais le “toutes les capitales qu’il faut” est une façon d’écrire: on parle surtout des Anglo-Saxons et des Américains, évidemment. Néanmoins les supplétifs, type journalistes prime time des TV françaises, en ont rajouté dans le genre midinette effrayée par les attentats, donnant ainsi cette impression d’unanimisme qui fournit parfois aux dirigeants politiques l’impression qu’ils représentent quelque chose, entre deux référendums négatifs.)

… D’ailleurs, on nous a aussitôt resservi la ritournelle sentimentale pour l’occasion, du côté des Américains — l’Angleterre, cousine de l’Amérique, c’est comme si c’était l’Amérique, et bla bla bla, ritournelle qui change agréablement de la façon dont la Américains traitent leurs “cousins” sur le champ de bataille, les “cousins” aux ordres, et sans discussion, comme des Zoulous courants. Cette attitude sentimentale pour l’occasion est largement exprimée par Thomas Friedman, celui qui n’en manque jamais une (par ailleurs présent dans cette rubrique pour une autre réflexion):

« Thursday's bombings in downtown London are profoundly disturbing. In part, that is because a bombing in our mother country and closest ally, England, is almost like a bombing in our own country. »


“Sentimental” est bien le mot caractérisant les réactions autour des attentats de Londres, et de l’occasion d’une relance de la mobilisation pour la guerre contre la terreur que certains y voient ; “sentimental” est bien le mot qui importe, qui en appelle aux sentiments, qui bannit comme la peste logique, raison et intuition haute. Le mot nous dispense de toute cette cohérence et de toute cette exigence intellectuelles et spirituelles ennuyeuses par leurs contraintes, notamment celle qui conduirait à juger complètement absurde et dément le concept de “guerre contre la terreur”, telle qu’elle est menée depuis trois ans, — et telle que ses partisans proposent de la poursuivre, plus que jamais, en accentuant jusqu’à la démence pure et simple tous ses caractères qui sont la cause de son échec sans cesse évident, d’attentats en attentats.

C’est effectivement une guerre bien étrange, telle qu’elle est menée, au contraire de tous les préceptes de la lutte anti-terrorisme directe (filature, identification, renseignement, infiltration, désinformation, démantèlement, etc.) et indirecte (amélioration des conditions de vie des pays susceptibles de faire naître des mouvements terroristes, respect de leur souveraineté, attention à écarter l’ingérence dans leurs affaires intérieures, etc.).

• Elle est déclarée “guerre” comme s’il existait un centre, une direction authentifiée et officielle, une autorité, une légitimité qui ordonnerait et dirigerait la guerre, qui recevrait éventuellement la déclaration de guerre, qui en porterait la responsabilité, et dont la défaite signifierait la victoire pour son adversaire (nous, les glorieux Occidentaux). Malgré les attaques successives, cruelles, sanglantes, stupides et vite transformées en insuccès catastrophiques contre des centres proclamés tels (Irak, Afghanistan), on sait bien qu’un tel centre n’existe pas. La globalisation, qui est notre œuvre sublime, permet d’ailleurs de s’en passer, au meilleur avantage possible des terroristes.

• Chaque action (attentat) de l’“ennemi” dans cette guerre est une victoire complète pour lui dans la mesure où la principe d’avancer vers la victoire dans cette guerre, pour ceux qui la conduisent comme elle est faite depuis quatre ans, est d’empêcher de façon absolue et définitive par notre puissance et notre sagacité toute action “ennemie”. Chaque action ennemie est donc une défaite grave pour nous, qui nous fait reculer, qui met en question tout ce que nous avons fait auparavant, — tactique, stratégie, planification, action, etc., — alors que le résultat de cette défaite pour les partisans de la guerre est de recommander d’en rajouter une louche énorme dans le sens de ce qui a été fait auparavant. Chaque défaite venue de notre comportement stupide est donc pour nous l’occasion de recommander toujours plus stupide, pour aller vers d’autres défaites plus graves encore.

Cette “guerre” qui n’en est évidemment pas une est l’illustration de la folie et de la stupidité qui ont totalement infecté la psychologie occidentale. Notre civilisation technologiquement et économiquement écrasante et hégémonique est, spirituellement et intellectuellement, un ersatz faisandé et puant de civilisation. Les “valeurs” que nous psalmodions comme références de sauvegarde du conformisme que nous nous imposons, sont des coquilles vides dont on peut commencer à se demander si elles n’ont jamais contenu autre chose que du vide. La grossièreté du sophisme qui conduit notre pensée, qui montre que ceux qui prennent les autres pour des imbéciles sont eux-mêmes des imbéciles pratiquement hors-catégorie, est si grande qu’elle finit pas aveugler toute pensée à la fois rationnelle et intuitive, qui renverrait au bon sens et à l’équilibre des choses.

La guerre contre la terreur et sa rhétorique ne sont plus seulement une erreur stratégique, une erreur d’analyse, une erreur d’orientation, une erreur de compréhension du conflit ; elles sont devenues le signe même de la crise profonde de notre civilisation. Notre pensée, — “leur” pensée militante et officielle est littéralement enfermée, emprisonnée à vie sans possibilité de commutation de peine, dans une pathologie qui ne peut être que destructrice.