La dynamique de la crise et de l'Histoire déchaînée

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Un lecteur ou une lectrice que nous devinons assidu(e), “CMLFdA”, nous demande, à propos des projets de Sarkozy exposés notamment dans un article du Monde qu’il (elle) met en ligne, le 23 octobre en commentaires de deux articles: «Que pensez vous de cet article et de la proposition qu'il met en avant? Est-ce sérieux? Est-ce possible? Est-ce acceptable par les 26 autres membres [de l’UE]?»; ou encore: «Cette proposition est-elle sérieuse? Et est-elle acceptable par les autres membres[de l’UE]?».

Nous allons répondre comme nous faisons souvent; d’une façon indirecte, c’est-à-dire en ne répondant pas vraiment mais en donnant des indications, souvent obtenues de sources informelles mais que nous jugeons très sûres, qui permettent de donner la mesure d’un climat. Décrire un climat, c’est toujours ça, – dirait-on, un peu dépité. Mais c’est bien plus que “ça” car, dans le désordre régnant, où les déclarations conformistes faites à la presse assermentée et défendant généralement le dogme qui s’effondre n’ont plus la moindre réalité, le climat est évidemment une indication beaucoup plus significative; il a la vertu d'échapper complètement au contrôle de ceux qui s’y débattent.

Ce que nous voulons donner essentiellement comme indication, c’est une mesure de la position actuelle de Sarkozy et de la France, de la dynamique à l’œuvre et de l’influence qui va avec. Cela implique de se placer hors de toutes les précisions comptable, formelle et institutionnelle, qui constituent des précisions aujourd’hui complètement hors des réalités. La perception que nous recueillons est qu’il y a d’un côté certains milieux européens, qui sont à la fois humiliés, terrorisés et paralysés par l’action de Sarkozy. On ne s’étonnera pas de nous voir nous référer aux milieux institutionnels essentiellement, et parmi eux essentiellement la Commission européenne. Ces milieux sont sans aucun doute sur la défensive, pour employer un terme modéré. A l’heure où nous recueillions ces indications et ces informations (hier après-midi), le président de la Commission Barroso ne figurait pas parmi les invités du sommet mondial de Washington, le 15 novembre, sur la crise financière mondiale. «Pour une organisation qui a au cœur de ses activités tout ce qui concerne les questions financières et économiques, tout ce qui sera discuté au sommet du 15 novembre, nous dit une source européenne, cette absence d’invitation de son président, même si elle était rattrapée d’ici le 15, représente une humiliation sans précédent.»

Accessoirement mais dans une dimension qui n’est pas indifférente, on indiquera que la situation à l’OTAN montre également, au niveau des relations réelles, dans les coulisses, des évolutions de position qui sont très significatives. Certaines activités importantes en sont la marque, notamment la préparation du grand sommet de Strasbourg d’avril 2009 (60ème anniversaire de la signature du traité de l’Atlantique Nord) qui se fait sous la direction de la France et de l’Allemagne, avec les USA laissés sur le côté.

D’une façon générale, le rythme imposé par la France et Sarkozy engendre continuellement des situations nouvelles. Nombre de pays sont conduits ou entrainés à, voire tentés pour certains de soutenir ce rythme, pour la raison essentielle que personne n’a aucune alternative, sérieuse ou pas, à lui opposer, et qu’il est absolument impératif d’agir. Les Britanniques, qui pourraient organiser une opposition, ne sont pas d’humeur à la faire, bien trop occupés à contenir les dégâts de leur propre crise et avec toute leur hargne pour l’instant tournée vers les Etats-Unis, et plutôt conduits à travailler avec les Français. Il faut comprendre que le rythme développé par la France est aussi celui de la crise, qu’il est soutenu par la pression des événements qui ne s’apaise pas. De l’“autre côté” (du côté des USA), on perçoit une retraite complète, un repliement sur soi, un esprit révisionniste voire auto-critique qui ne cesse de se renforcer et qui renforce le courant général. La déposition, mercredi devant le Congrès d’Alan Greenspan, le symbole, l’“icône” de l’application soi disant rationnelle de la doctrine du laissez faire, la reconnaissance de ses erreurs, l’exposition clairement faite de son désarroi et de son impuissance, ont constitué un événement médiatique d’une puissance redoutable dans le même sens que nous décrivons ici. La rapidité des événements, tous dans le même sens, est un facteur irrésistible dans la situation générale.

Il y a un aspect paradoxal dans le rapport entre l’action de Sarkozy et l’enchaînement catastrophique qu’on observe. En toute logique, mais logique étriquée tout de même, on pourrait dire, puisque l’enchaînement catastrophique se poursuit: “Voyez, il s’agite mais il n’obtient guère de résultat”; pourtant, c’est l’observation inverse qui prévaut (“Voyez, c’est le seul à faire quelque chose de sérieux, à agir contre la crise”). Ce paradoxe est accentué par une position française finalement très ambiguë quant à l'orientation des choses, à côté d'une action claire et déterminée. Sarko lutte contre la crise mais, en même temps, il accentue sa critique contre le système en place, considéré comme cause de la crise; certains pourraient penser que, tout en luttant contre la crise, il est objectivement confirmé dans sa position par l’enchaînement catastrophique qui est une preuve chaque jour renouvelée de la faillite du système, donc de la nécessité de la réformer, de le bouleverser de fond en comble; l’enchaînement catastrophique pourrait prouver qu’il a raison, encore plus qu’il pourrait faire déplorer son efficacité trop faible… Il y a là une situation française (action de Sarko, les conceptions françaises) qui est remarquable et caractéristique, amplifiée évidemment par le fait que la France est présidente de l'UE. Nous avons souvent écrit que la France est “à la fois en-dedans et en-dehors”, à la fois dans le système parce qu'il le faut bien et critique radicale du système à cause de ses conceptions historiques et fondamentales.

Enfin, la proposition Sarkozy a-t-elle une chance d’être acceptée? Tout est possible aujourd’hui. Comme nous dit encore notre source, «tous les pays européens, à la fois éprouvent agacement et frustration devant ce forcing français, à la fois sont à genoux devant lui parce que cette dynamique les emporte». De toutes les façons, une prévision est à la fois impossible et risque d’être très vite dépassée. D’autres initiatives, d’autres propositions pressantes, de la France évidemment, sont à prévoir, et rien n’est impossible aujourd’hui. Ce qu’on ne distingue pas assez bien, c’est que l’offensive française et sarkozyste est moins une initiative politique classique qu’une utilisation effrénée en même temps qu’habile et vertueuse en un certain sens (les thèses françaises s’accordent à une conception française très profonde que la crise confirme) de quelque chose qui nous dépasse et nous emporte tous. Mettez un petit surfeur sur un “tsunami” comme il y a une fois par siècle (dixit Greenspan) et voyez ce que peuvent faire 26 gaillards contre lui, à supposer qu’ils en aient l’envie, la force et le courage, – ce qui est une supposition fort généreuse… De Gaulle aurait dit, comme il disait du temps de la guerre d’Algérie, que c’est “le sens de l’Histoire”. L’Histoire, aujourd’hui, est déchainée.


Mis en ligne le 25 octobre 2008 à 08H20