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1148Il est intéressant d’observer des remarques de plus en plus fermes à l’encontre de Barack Obama, venu de certains observateurs washingtoniens très engagés mais en général à classer parmi les moins prisonniers des convenances de partis et des automatismes de système.
• Ainsi de cette observation de Steve Clemons, sur son site The Washington Note, le 21 janvier 2010, qui est faite à propos d’observations de Paul Krugman, que Clemons rejoint dans son jugement.
«On the other end of the praise spectrum, Krugman, in a stinging rebuke of President Obama's policies and leadership, states that Obama is not “the one” we have been waiting for. At his New York Times blog, The Conscience of a Liberal, Krugman writes:
»“Health care reform – which is crucial for millions of Americans – hangs in the balance. Progressives are desperately in need of leadership; more specifically, House Democrats need to be told to pass the Senate bill, which isn't what they wanted but is vastly better than nothing. And what we get from the great progressive hope, the man [Barack Obama] who was offering hope and change, is this:
»“I would advise that we try to move quickly to coalesce around those elements of the package that people agree on. We know that we need insurance reform, that the health insurance companies are taking advantage of people. We know that we have to have some form of cost containment because if we don't, then our budgets are going to blow up and we know that small businesses are going to need help so that they can provide health insurance to their families. Those are the core, some of the core elements of, to this bill. Now I think there's some things in there that people don't like and legitimately don't like.”
»Krugman finishes on a powerful, foreboding note:
»“I'm pretty close to giving up on Mr. Obama, who seems determined to confirm every doubt I and others ever had about whether he was ready to fight for what his supporters believed in.”
»My sense is that most of the major pillars of progressive work in the US – on the foreign policy and domestic fronts are really distressed by President Obama's policy and personnel choices.
»I'm getting close to where Krugman is and think it may be nearing the time to “bust Obama's brand” as one liberal Hollywood actor friend of mind recently said. If Obama sees his “brand” in real trouble, he may correct things just in time by dumping Rahm Emanuel, Lawrence Summers and some others, confessing his decisionmaking sins to those who supported him, and inspire some confidence in the actions of changing course.»
• D’autre part, nous signalons un excellent article de Robert Kuttner, de American Prospect, sur Huffington.post, ce 24 janvier 2010. Kuttner donne un récit remarquable en tous points de cette formidable semaine du vote du Massachusetts, puis du basculement d’Obama, ou de semi-basculement semble-t-il – justement… L’article fait le point sur la position d’Obama, un petit peu comme complément des observations de Clemons suivant celles de Krugman, notamment dans sa conclusion mi-figue mi-raisin…
«A little populism here and a little conciliation there is no game-changer. The worst strategy of all would be for Obama to be a populist on Mondays and Wednesdays, and a conciliator on Tuesdays and Thursdays. That would signal pure mush.
»Democrats, unfortunately, default to this habit, because of an excessive reliance on a shallow reading of polls. You could see this tacking back and forth in the losing Gore campaign of 2000 and Kerry's failed run in 2004, where the candidate and his handlers oscillated between a progressive stance and a New Democrat one.
»If Lincoln had based his decisions on polls, we'd still have slavery. Polls show that Americans resent corporate excesses, but value corporations as sources of jobs; that they are worried about the deficit but also frightened about unemployment; and that they are fearful of losing their health coverage but also anxious about the Obama version of health reform.
»These, of course, are somewhat contradictory positions. It's normal for citizens to hold views that are not totally consistent. The job of a president is to fashion a coherent narrative and strategy of reform, even if some of it is momentarily unpopular, and to persuade the people to embrace it. A president who bases his posture mainly on a tactical reading of the polls is the opposite of a leader, and will be rejected for his weakness – even if every one of his positions tracks majority support in the polls.
»The administration's response to the twin loss of the 60th senate seat and a justifiably unpopular health bill could be a turning point in the redemption of Obama's presidency. So far, we've only seen a bare beginning.»
@PAYANT C’est un autre aspect de la situation que celui que nous observons dans notreF&C de ce 25 janvier 2010. Autant, nous prenons dans le F&C une vision extérieure, disons “de Sirius”, pour observer la situation générale, autant dans le cas qui nous occupe nous cherchons à nous placer du côté d’“intellectuels” praticiens, intervenant dans le débat public, pourvoyeur d’informations et d’analyses importantes et intéressantes, de tendance clairement, pour employer une terminaison française, “de centre gauche” et même d’une “gauche progressiste” qu'on pourrait qualifier en général de réformistes, mais ces positions exprimées d’une façon réaliste et appliquée à la politique la plus réaliste possible et dans le cadre du système washingtonien. Les Américains ont beaucoup de gens dans cette catégorie particulièrement fournie, qui constituent un puissant vecteur d’influence. (Par contre, cette catégorie est un surprenant désert dans le cas français, comme, en général dans le domaine des matières réalistes de la politique extérieure. Cela vaut pour cette même gauche et centre-gauche que pour la droite, qui sont marqués en France (à Paris) par une incompétence remarquable; on ne trouve rien entre les experts spécialisés, techniciens et très limités pour ne pas dire obtus, sous influence “parisienne” du Pentagone, et les intellectuels largement ouverts sur le malheur du monde, humanitariste, type-BHL, “sous influence du Pentagone” eux aussi.)
Dans les cas qui nous occupent ici, on découvre qu’une partie très importante de la classe d’influence par excellence de ce que l’establishment washingtonien peut avoir de réformiste, éventuellement d’“éclairé” si cela se peut, est en train de prendre des distances décisives d’Obama. Nous sommes là, précisons-le bien, dans un contexte complètement différent de la “dissidence” déclarée, type hors-système, qu’on retrouve par exemple dans les très nombreux collaborateurs d’Antiwar.com, qui exercent sans aucun doute une réelle influence mais qui sont tout de même en-dehors de la cuirasse défensive du système. Krugman et Clemons, et Kuttner également – et l’on pourrait y ajouter un Robert Reich tel qu’il est cité dans notre F&C déjà référencé du 25 janvier 2010 – sont dans une autre position; eux sont incontestablement dans le système. Ces prises de position, qui ne sont certes pas définitives, sont tout de même extrêmement significatives. Il n’est nullement assuré que les voltes d’Obama de ces derniers jours reconquièrent leur soutien, car ces mêmes intellectuels politiques sont aussi méfiants d’une orientation populiste, qu’ils jugent en général démagogique, que de l’attitude lénifiante, faisant concession sur concession aux centres de pouvoir du système, qu’Obama a montré jusqu’ici, et continue à montrer en partie à côté de sa pseudo-tendance populiste.
Nous avons donc là un facteur important, difficilement contrôlable et difficilement mesurable, qui complique encore plus la situation washingtonienne et l’évolution des prochains mois avec la pression des élections du mid-term. Si Obama évolue vraiment dans le sens de la reconquête de ses soutiens naturels (populisme, mais aussi l’élite libérale et progressiste washingtonienne, avec les Clemons et les Krugman), il aura ainsi beaucoup de travail et un travail compliqué. Il devra réunir deux tendances qui sont “objectivement” du même bord dans le cas présent, mais qui s’opposent par le tempérament, par l’analyse, par les réflexes même – la tendance populiste progressiste et la tendance élitiste progressiste. S’il avait suivi une voie dans la logique de son élection, très activiste, très affirmée et très engagée, il n’aurait pas ces problèmes parce qu’il aurait été le facteur central du rassemblement autour duquel se seraient agglutinées toutes les tendances, même les plus différentes entre elles, qui auraient été conduites à le prendre comme référence centrale hors de leurs critiques spécifiques. Aujourd’hui, il doit reconquérir ces tendances chacune pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire profondément différentes les unes des autres, chacune retranchée sur ses positions, chacune mesurant son éventuel rapprochement vers Obama en mesure inverse du penchant qu’il montre pour telle autre faction.
Mais tout cela s’appuie, sans le dire, sur l’idée qu’Obama serait parvenu enfin à découvrir “ce qu’il croit”, et rien ne nous dit que ce soit le cas, bien au contraire. Pour l’instant, et malgré ses virages impressionnants, Obama semble toujours égal à lui-même, comme en juge Kuttner, comme ce “président-désordre” qui va d’une option à l’autre, aujourd’hui où toutes les options sont débattues publiquement après l’intrusion d’un acteur inattendu (l’opinion publique), qu’on n’avait pas prévu ni invité et qui, depuis l’élection du Massachusetts, s’est imposé dans le débat.
On ne fait donc, dans ces remarques, qu’observer un élément de plus du désordre washingtonien.
Mis en ligne le 25 janvier 2010 à 05H05