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400C’est en commentaire d’un autre texte, de George Friedman, de Stratfor.com, que nous mettons en ligne parallèlement ce 1er novembre 2010 dans Ouverture libre, que nous développons cette note. Friedman propose une “option de politique extérieure” pour Obama, dont il prévoit, sans grande originalité tant la chose est partout admise, qu’il sera complètement paralysé en politique intérieure avec les élections du 2 novembre. Bien entendu, et souvent comme à notre habitude lorsque nous avons cité, commenté, ou repris un texte de Friedman, nous nous montrons critique de son analyse alors que nous jugeons cette analyse très rigoureuse et exemplaire ; non pas critique de la forme, ni de la logique qui se veut “réalistico-cynique”, mais de la méthodologie qui s’appuie sur une prééminence de la géopolitique que nous contestons. La géopolitique considérée comme le moteur des relations internationales est une situation dépassée, en déclin accéléré, comme l’est l’“idéal de puissance” qui l’inspire. Nous sommes dans l’ère “psychopolitique”, cette situation étant due à l’émergence du système de la communication qui nous suggère une autre vision des relations internationales, où les paramètres de jugement sont l’influence, la perception et la psychologie. La recherche de la vérité qui s’appuie sur les notions de force et de puissance, avec le règne de la raison pour les comprendre, forme autant de fausses pistes pour appréhender une situation de plus en plus eschatologique. Pour comprendre les effets de l’influence, de la perception et surtout de la psychologie, dans cette ère de la “psychopolitique”, une analyse se référant à la métaphysique est de plus en plus nécessaire.
@PAYANT Dans ses attendus de départ, lorsqu’il se réfère à des précédents d’autres présidents dans une situation similaire, Friedman est un peu trop expéditif. La principale comparaison à s’imposer est celle de Clinton, puisque Clinton essuya en 1994 une défaite électorale pour son parti qui devrait avoir de fortes similitudes, selon les prévisions, avec la défaite que le parti démocrate devrait essuyer demain ; puisque Clinton, comme Obama, avait connu à son élection deux ans plus tôt, un triomphe d’autant plus éclatant qu’il en était complètement inattendu, lui-même étant comme Obama vingt ans plus tard un complet inconnu dans la politique US neuf mois avant son élection. Mais Friedman n'a pas raison, à notre sens, lorsqu’il compare la position de BHO à celle de Clinton en 1994, du point de vue des “options” dont il dispose pour redresser la situation. (Devant sa terrible défaite mid-term, Friedman arguant que Clinton n’avait pas l’“option de politique extérieure” dont dispose BHO : «For presidents like Clinton, this was not a particularly viable option in 1994-1996. The international system was quiet, and it was difficult to act meaningfully and decisively.») On voit combien nous différons de cette analyse avec le texte que nous avions publié le 9 février 2009, citant un extrait du livre Chronique de l’ébranlement. Voici le passage qui nous intéresse…
«…Fin 1994, le bon peuple vote et envoie une majorité républicaine au Congrès, faisant suivre son inexplicable colère anti-républicaine (défaite de Bush-père) d'une inexplicable colère anti-démocrate. Les résultats de l'élection plongent le président dans une dépression extraordinaire de plusieurs semaines, jusque trois à quatre mois. Il ne fut plus que l'ombre de lui-même. Il se découvrait, avec un Congrès nourri d'une haine sans mesure, réduit à un rôle de figurant et sa présidence réduite à néant. Durant cette période extraordinaire où des hauts fonctionnaires américains confiaient à leurs collègues étrangers qu'ils ne savaient plus à qui ils devaient désormais obéir, il arrivait qu'on croisât dans les couloirs de la Maison-Blanche un Clinton hagard, mal rasé, incapable de retrouver son équilibre et son apparence de président, et qu'on détournât les yeux, gêné par cette déchéance si insolite et si indigne.
»Clinton se rétablit selon une technique éprouvée de la vie politique américaine : en s'intéressant à la politique étrangère. Laissée au président, la politique étrangère lui procure ors et pompes et n'intéresse pas le monde politique washingtonien pour lequel un engagement politique doit se traduire le plus directement possible en soutien sonnant et trébuchant et en nombres de voix. (Par contre, les “étrangers” (hispaniques, polonais, juifs, chinois) qui ont l’esprit de se former en lobbies et ne le sont plus tout à fait, se réfèrent à la forte minorité de leur sang devenue américaine pour peser sur le vote, ceux-là font partie de la famille et suscitent l’intérêt des élus pour les expéditions étrangères impliquant leur pays d’origine.) En 1995, effectivement, tout bascule. Clinton qui, en 3 ans, n'avait pas opposé un seul veto contre le Congrès, — fait unique des annales politiques de la grande République, — se débarrasse de ses gants et commence à traiter le Congrès en ennemi, et les veto valsent. Il n'espère plus rien du Congrès et tout de son zèle extérieur. Il songe à sa stature historique. Il s'engage en ex-Yougoslavie à partir d'août 1995, puis avec les accords de Dayton en octobre-novembre ; il fait de l'élargissement de l'OTAN une de ces “grandes causes” dont on se demande, stupéfaits et sans voix, d'où elles viennent et ce qui les justifie. Désormais, l'affirmation de la toute-puissance américaine et de l’auto-glorification, qui allait déjà de soi, devient une véritable politique. Elle devient la politique américaine par essence. Elle va jouer un rôle non négligeable dans le tournant de l'été 1996 même si elle n'en fait pas l'essentiel.» … Dans ce courant, Clinton sera réélu haut la main.
Friedman recommande implicitement que BHO se lance dans l’aventure iranienne (attaque de l’Iran) pour retrouver tout son lustre et s’imposer en 2012, – au contraire de Clinton, qui réussit par d’autres moyens que la politique extérieure, laisse-t-il entendre. C’est tout le contraire, selon notre appréciation. Comme nous le développons ci-dessus, Clinton réussit à restaurer sa position grâce à une politique extérieure à très bon compte, sans grand risque, qui permit d’introduire dans la psychologie américaniste à la dérive la notion de la puissance sans mesure des USA (l’“hyper-puissance”) sur le reste du monde, en même temps que cette psychologie se trouvait dans une situation de grand changement potentiel. La chose se concrétisa à l’été 1996 au cours d’un événement symbolique fondamental pour cette psychologie, et fort peu noté d'ailleurs, – le tournant qui fit réélire Clinton et lança les USA dans ses rêves hégémoniques, – nous parlons des Jeux Olympiques d’Atlanta qui furent l’occasion d’un déchaînement de nationalisme américaniste sans précédent. («Il n'y a pas d'olympisme ici, tout juste une kermesse états-unienne, ahurissante d'indécence», écrivait Le Monde le 29 juillet 1996.) Les géopoliticiens traitent avec mépris cette sorte d’événements, tout comme les tournants psychologiques. Ils ont tort, car c’est là que tout se joue.
Avec l’Iran (l’attaque contre l’Iran), BHO n’a aucunement l’opportunité qu’avait Clinton avec l’ex-Yougoslavie et l’élargissement de l’OTAN. Il a un risque monstrueux d’échec ou de catastrophe géopolitique (justement), un chaos potentiel de politique extérieure, une tâche au-dessus, bien au-dessus des moyens et capacités des forces armées US exsangues, et ainsi de suite, – et la dévastation intérieure, notamment psychologique en plus du reste, qui s’ensuivrait, compromettant définitivement ses chances de survie politique, sans parler des conséquences extrêmes pour les USA eux-mêmes qui sont déjà dans un état d’effondrement larvé. Il y a, dans le raisonnement de Friedman cet étrange aveuglement des géopoliticiens, qui vient de leur fascination pour la force, rejoignant et nourrissant bien entendu la tendance néo-conservatrice d’une part, la tendance des “libéral hawks” d’autre part (les humantaristes-interventionnistes, ou néo-wilsoniens dans le langage US). Dans la situation actuelle (budgétaire, économique, etc.) des USA, la promotion implicite de cette tendance est pour le moins étrange si, par exemple, l’on se réfère aux calculs de Stiglitz-Bilmes sur le coût de la guerre en Irak comme stéréotype des entreprises géopoliticiennes conquérantes de la période de la postmodernité. On en vient donc à soupçonner qu’il s’agit là, plutôt, dans le chef du long argumentaire du géopoliticien pour une intervention en Iran, d’un artifice de la raison pour, dans de tels esprits, poursuivre jusqu’à son terme la justification de la logique de la géopolitique et de l’“idéal de puissance”. Il ne s’agit nullement d’un défaut du raisonnement mais, sans aucun doute, d’une faiblesse de la psychologie, justifiant en cela, pour les plus extrêmes d’entre eux, le jugement de Dennis Kucinich sur les neocons («megalomaniacal neoconservatives who are more in need of mental attention»)
Mis en ligne le 1er novembre 2010 à 05H16
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