La flotte contre les Patriot

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La Russie a annoncé une nouvelle de piètre importante stratégique mais de grande signification politique. Elle entend déployer des moyens navals modernes d’intervention contre les batteries de missiles Patriot de l’U.S. Army, qui vont être régulièrement déployées en Pologne.

Novosti, le 21 janvier 2010 :

«La Marine russe dotera sa flotte de la Baltique de missiles de haute précision suite aux projets de Varsovie de déployer les missiles américains Patriot à proximité de la frontière russo-polonaise, a annoncé jeudi à RIA Novosti un représentant haut placé de la Marine.

»“Avant tout, toutes les composantes de la flotte de la Baltique seront renforcées. Il s'agit de la doter d'un nombre supplémentaire de navires de classe corvette avec des missiles de croisière à longue portée de haute précision”, a indiqué l'interlocuteur de l'agence.

»Selon lui, la composante sous-marine de la flotte pourrait être renforcée par des sous-marins diesel existants modernisés capables de tirer des missiles de haute précision, ainsi que par des sous-marins en cours de construction de classe Lada.»

A propos de ce déploiement des missiles sol-air Patriot en Pologne, le Washington Times écrit ce 21 janvier 2010:

»In a consolation to Poland, which was to host one of the sites and was unhappy with Mr. Obama's decision, the administration agreed to deploy Patriot-type surface-to-air missiles in the country. On Dec. 11, the two NATO allies signed a prerequisite agreement on the status of U.S. troops in the former Soviet satellite ahead of the missile deployment. However, the Patriot site was kept secret — until Wednesday, when Polish Defense Minister Bogdan Klich said it will be about 35 miles from a Russian enclave between Poland and Lithuania that includes the city of Kaliningrad.

»“Morag was chosen as the location long ago, but we didn't make it public,” Mr. Klich was quoted as saying by Poland's PAP news agency. He insisted that the choice of the site had “no political or strategic meaning — its good infrastructure is the only reason.” He also said the missiles could arrive as soon as late March or early April at Morag, which is home to a Polish military base.

»Moscow, which is protective of Kaliningrad because it is surrounded by two NATO members, is likely to react angrily to the news about Morag…»

[Avant d'introduire notre commentaire, nous devons signaler la nouvelle de ce même 21 janvier 2010, dans la même rubrique, qui a introduit un démenti à l'information de Novosti après la publication de cette présente nouvelle. Cette restriction radicale doit être connue, mais aussi les explications que nous donnons pour maintenir cette nouvelle en ligne.]

Notre commentaire

@PAYANT «In a consolation to Poland…», écrit le Washington Times. On sait bien de quoi il s’agit: un lot de consolation pour la Pologne, après l’abandon du projet de base du système BMDE en Pologne décidé par l’administration Obama en septembre dernier. Le mot “consolation”, ou “lot de consolation”, va fort bien à l’affaire, indiquant que nous sommes au niveau infantile des récompenses pour enfants sages ou enfants turbulents qui s’assagissent, ou au niveau économique et stratégique du “pourboire” après l’annulation d’une commande de consommation courante. C’est à quoi revient cette affaire des Patriot, encore plus stupide que le projet BMDE lui-même, sans aucun sens stratégique, ni politique, ni rien du tout. Que le thème de l’article du Washington Times porte sur la question de savoir si ce déploiement épisodique, pure mesure de communication (“la puissance réduite à la com’”, écrivions-nous le 26 novembre 2009), puisse menacer le traité START-II par considérable mauvaise humeur des Russes, c’est se bien moquer de l’importance relative des choses et bien mal connaître les Russes.

…Non qu’ils ne réagissent pas les Russes. Au contraire, comme on l’a vu avec la dépêche Novosti, ils réagissent, ou annoncent qu’ils vont le faire (“com’” pour “com’”), mais à leur façon, et sur le terrain qu’ils ont choisi. La réaction montre qu’ils ne manquent pas de jugeote, ce qu’on savait déjà, et qu’ils marquent les Américains à la culotte, comme il se doit.

• En effet, les Russes, pour “riposter” aux Patriot qui ne les gênent pas plus que cela, profitent de l’occasion pour passer dans le champ naval. C’est une façon de répondre, indirectement, aux projets de l’administration Obama de prévoir le remplacement du projet BMDE abandonné par des déploiements navals de croiseurs AEGIS, d’abord en Méditerranée, ce qui ne gêne en rien les Russes, mais éventuellement aussi dans la Baltique, vers 2015, avec vague projet d’installer des batteries de missiles SM-3 (venus du système naval AEGIS) sur territoire polonais. Puisque le champ naval a été ouvert par les USA, appuyé sur le sanctuaire que donne le statut international général des mers, les Russes passent également sur ce “terrain” en suivant la logique de la riposte proportionnée – toujours dans le domaine des intentions – toujours sur le terrain de la “com’”.

• L’initiative russe permet de signaler aux USA qu’aucune de leurs initiatives dans la zone autour de la Russie, si elle signale un aspect militaire ou diplomatique agressif, ne restera sans réponse, avec la vague menace implicite d’une détérioration possible de relations que l’administration Obama voudrait tant voir stabilisées. On reconnaît la nouvelle attitude de la Russie, qui a pris acte de l’affaiblissement de l’administration Obama et ne cesse plus, et ne cessera plus, d’agir en conséquence. (On l’a vu déjà avec le 18 janvier 2009, avec la condition annoncée par Medvedev pour le traité START-II.)

• Dans cette affaire, la Pologne, qui a demandé des Patriot selon de vagues arguments de “compensations”, et de garantie de sécurité US alors que l’accord est ridiculement inadéquat pour l’une et l’autre, se retrouve à nouveau confrontée avec l’évocation d’une pression militaire russe échappant aux normes des conditions habituelles de sécurité mutuelle qui valent surtout pour les espaces terrestres et les dispositions militaires ou autres justifiées. On cherche en vain l’avantage qu’elle retire de cet arrangement, sinon de rendre plus difficile une amélioration de ses relations avec son voisin, à laquelle elle a évidemment intérêt. La chose est d’autant plus absurde que, d’un point de vue opérationnel, dans le climat actuel qui est celui de la recherche de bonnes relations avec la Russie (surtout dans le chef de l’OTAN, dont la Pologne ne cesse de se féliciter d’être membre), le déploiement des Patriot constitue une mesure provocatrice, inefficace, sans le moindre sens stratégique et ainsi de suite.

On a donc les effets politiques de la “politique” qu’on fait. Depuis le début, cette affaire des missiles en Pologne – que ce soit le BMDE ou les Patriot – est le produit d’une “non-politique” soumise aux pressions de centres d’influence idéologique, des intérêts de l’industrie de défense US et des normes aveugles de la bureaucratie de sécurité nationale. Dans le cas du Patriot, il n’est même plus question de vendre de la quincaillerie puisqu’il s’agit de batteries régulièrement déployées au sein de l’U.S. Army en Allemagne (dont on se demande d’ailleurs ce qu’elles y font), et qui feront simplement des périodes de déploiement en Pologne.

Ce n’est certainement pas pour cette affaire dérisoire que la Russie va sacrifier le traité START-II, si le traité START-II l’intéresse. Par contre, l’affaire lui permet de montrer une mauvaise humeur justifiée, de durcir ses exigences pour le traité lui-même, éventuellement d’habiller d’une récrimination justifiée un recul dans la voie de la conclusion du traité, bref de renforcer sa position de négociation pour toutes les possibilités, au meilleur compte possible. Il faut malheureusement reconnaître que le technologisme, c’est-à-dire la disposition de la “quincaillerie” et la logique de pression impérative qu’implique cette disposition, joue un rôle essentiel dans l’évolution de ce qu’on a du mal à nommer encore “une politique”, à l’Ouest, particulièrement venant du système de l’américanisme. De ce point de vue, les Russes laissent venir et s’en donnent à cœur joie.


Mis en ligne le 21 janvier 2010 à 14H07

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