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34866 juin 2024 (19H00) – Ce qui est remarquable ces temps derniers, depuis le 22-23 mai à peu près, c’est la vague effrayant qui entoure les “consignes” américanistes à propos de ce que les Ukrainiens peuvent faire des missiles tactiques à longue portée que ces mêmes américanistes leur ont livrés. Les tirer loin à l’intérieur de la Russie ou restreindre leur tir à la zone-frontière proche de Kharkov ? (Le texte d’Andrea Marcigliano aborde ce problème sur le ton qu’il faut.)
Pourtant, il ne manque pas d’avertissement du côté russe, jusqu’aux plus décisifs qu’on puisse imaginer qui est l’usage du nucléaire en cas d’attaques en Russie même, dans la profondeur de la mère-patrie. Poutine n’hésitera pas, toute patience bue, – il est l’homme qui a dit, entendant par là que la fin du monde ne lui importait pas s’il y avait eu la fin de la Russie :
« Le monde sans la Russie ne m’intéresse pas. »
Pourtant, que valent ces avertissements pour nos oreilles remplies d’acouphènes confus et sifflotant à la gloire de l’américanisme-occidentalisme et de nos vertus sans fin ? Cette attitude de désinvolture et de mépris pour la puissance russe, – je veux dire la puissance nucléaire pour ce cas, – ne cesse de stupéfier et d’emporter les esprits les plus habituellement mesurés parmi ceux qui savent encore entendre. On en parle dans un texte de ce même jour, à propos d’un débat qui vaut son audition, où l’on voit Christoforou et Mercouris ébahis devant la puissance de l’incroyable courroux de Sachs que l’on sait d’habitude si retenu et fort aimable :
« Écoutez le si calme et aimable Jeffrey Sachs emporté dans les dix premières minutes d’une tirade furieuse, lors d’une rencontre avec Christoforou-Mercouris, contre ces nullités absolues qui nous dirigent et ne savent plus rien du risque total et sans retour de la guerre nucléaire. »
Mercouris, parvenant enfin à apaiser la cataracte Sachsienne, intervient pour poser une question centrale. Il expose plusieurs exemple puis en vient, pour résumer le tout à l’exemple d’un grand journal (il ne dit pas lequel) qui a oublié une série d’articles envisageant tous les scénarios de conséquences difficiles sinon catastrophiques pour l’Ouest du fait d’une défaite en Ukraine... Tous les scénarios, précise-t-il...
« Eh bien, alors qu’on se trouve dans un conflit avec une superpuissance nucléaire, aucun d’entre ces scénarios, entendez-vous, aucun ne mentionne ce fait et n’envisage la possibilité d’un conflit nucléaire ! Aucun d’entre eux ! »
Alors, Mercouris se tourne vers Sachs et lui pose la question : pourquoi ? Comment est-il possible d’en arriver à cet énorme déni, aussi grossier, aussi dangereux ? Et Sachs est embarrassé de répondre, on sent bien que lui se pose aussi cette question :
« C’est tellement... tellement étrange, bizarre, surtout pour quelqu’un de nos âges qui avons vécu la crise des missiles de Cuba [octobre 1962] et le temps de la première Guerre Froide... »
Ceux qui, comme moi également, ont vécu la crise de Cuba ne peuvent que se rappeler l’atmosphère de terreur qui régnait alors partout, qui se percevait dans la rue, dans la façon dont les gens lisaient les journaux écoutaient les nouvelles et suivaient à la trace le cargo soviétique chargé de fusées, se dirigeant vers Cuba, sur la voie de rencontrer les navires de l’U.S. Navy qui avaient établi un blocus. Il n’était d’ailleurs même plus question de responsabilité, de désigner l’autre comme le fautif, mais bien de la sensation partagée d’une catastrophe commune qui menaçait d’écraser le monde.
Aujourd’hui, lorsque tout de même un journaliste évoque ce danger dans un article, il est aussitôt ridiculisé dans les commentaires. Sachs cite un article de Gideon Rathman du ‘Financial Times’, avec une phrase citant la menace d’une guerre nucléaire, et un déferlement de commentaires saluant cette phrase de l’article !
« Tous les commentaires allaient dans le même sens : quelle menace ? Ne cédez pas à leur chantage... Vous écrivez un mot sur une possible guerre nucléaire et vous allez voir les commentaires, et vous réalisez combien cela doit être décourageant pour un journaliste de lire de tels commentaires : ‘Ne vous en faites donc pas, ne cédez pas à leur chantage ! Cela ne tient pas une seconde, il n’osera pas, Poutine est un faible, un couard !’... Dès le moment où vous prenez la menace d’une guerre nucléaire au sérieux, vous êtes accusé d’être un agent de Poutine, un agent prorusse... »
Et Sachs parle du ‘Financial Times’, le quotidien des élites qui s’avèrent bien être ZélitesZombies, – et les commentaires constituent bien une enquête de facto sur le sentiment de ces ZélitesZombies, bien pires que le bon peuple endoctriné, endoctrinées elles-mêmes au-delà de tout ce que le bon peuple ne sera jamais. Poutine avait raison lorsqu’il parlait d’un “ennemi” à propos des américanistes-occidentalistes, précisant que cet “ennemi” se trouvait être essentiellement sinon exclusivement les élites de ces régions si élégamment civilisées.
Ainsi, la réponse à la question angoissée de Mercouris se trouve dans le simulacre magique lui-même que ces élites ont monté et qu’elles ont fini par croire. L’absence de crainte d’une guerre nucléaire naît du jugement qu’ils ont tous sur la caricature qu’on a montée autour de Poutine, son isolement, sa sottise, ses dix-sept cancers, sa folie, ses rêveries paranoïaques de guerre nucléaire qu’il est incapable de mener... Que faire contre un tel endoctrinement ?
Peut-être ceux qui, – comme Dimitri Souslov le 30 mai 2024, – préconisent un tir nucléaire de démonstration sur la banquise, à l’image de ceux du ‘Manhattan Project’ où se fabriqua la bombe atomique, qui préféraient une explosion de démonstration au large du Japon plutôt qu’une attaque directe. C’est histoire de voir si ceux qui sont enfermés dans la boîte magique du simulacre parviennent encore à entendre ce qui vient de la réalité du monde.
Curieuse situation de “guerre”... Les deux adversaires ne parviennent pas à trouver un champ de bataille commun. Plutôt qu’échanger des missiles, l’un des deux se moque de l’autre en proclamant : “De toutes les façons, il n’osera pas, il sait que nous sommes bien trop forts et même s’il gagne nous le vaincrons et il préférera ne pas utiliser ses bombes”. En fait, les américanistes cherchent à convaincre les Russes de l’évidence qu’est leur formidable puissance, qui doit définitivement les paralyser, eux Russes, en admettant qu’il n’y a plus qu’à prier. Ils aimeraient, les américanistes, gagner cette guerre comme ils ont perdu les autres, – en ne la faisant pas, en tournant le dos à l’ennemi, en trahissant l’allié-serviteur de circonstance et en passant à autre chose.
Si ce n’était la chose nucléaire, dont on sait qu’elle a des effets fort désagréables, on conclurait que la magie du simulacre est véritablement imbattable. Mais les Russes sont des arriérés. Ils ne mangent pas de ce pain-là. Ils veulent toujours aller jusqu’au bout et il me paraît difficile qu’ils soient convaincus par toutes ces hollywooderies.
... C’est alors que les américanistes-occidentalistes s’aperçurent qu’ils avaient là un sérieux problème.