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4 avril 2006 — L’affaire DPW sur la sécurité des ports américains, qui s’est terminée le 9 mars par le retrait de la société émirati de la gestion des ports américains, a déclenché au Congrès une vague de législations diverses qui devraient mettre en place un corset isolationniste aux Etats-Unis. Il faut en effet parler d’isolationnisme (“isolationnisme économique”, notamment) plus que de protectionnisme, le second étant naturellement inclus dans le premier. Les craintes de Francis Fukuyama à cet égard sont non seulement rencontrées, on peut avancer qu’elles pourraient être, du point de vue de la chronologie, largement précédées.
Un texte de l’hebdomadaire Defense News du 3 avril donne un aperçu de cette situation, notamment à partir de craintes exprimées par des associations professionnelles US. Quelques extraits de ce texte :
« Legislation intended to protect the United States against terrorists by curbing foreign ownership of critical U.S. infrastructure might do so at the expense of America’s economic well-being, business organizations are warning Congress. A flock of bills introduced in March to overhaul the Committee on Foreign Investments in the United States (CFIUS) risks stifling foreign investment. That would kill U.S. jobs, slow industrial growth and spark economic retaliation, warns the Business Roundtable, which represents such defense giants as Boeing, Lockheed Martin and United Technologies.
» One bill requires that top executives and board members of companies that own critical U.S. infrastructure must be U.S. citizens. If passed, that will be onerous for foreign firms that own defense plants here, said Bruce Josten, government affairs vice president at the U.S. Chamber of Commerce.
» The bills were introduced amid the Dubai Ports World controversy, when both parties in Congress joined forces to oppose plans approved by the Bush administration to let a company owned by the United Arab Emirates operate six U.S. ports. Lawmakers were particularly perturbed that administration officials failed to notify Congress of the ports deal.
Rep. Duncan Hunter, House Armed Services Committee chairman, led the race to reform CFIUS. Legislation he introduced March 7 would have blocked Dubai Ports World in particular and set new citizenship requirements for the owners of companies that manage or operate U.S. critical infrastructure.
» Hunter’s bill also created new tasks for the U.S. secretaries of defense and homeland security — maintaining a list of “national defense critical infrastructure.” Hunter, R-Calif., said his aim was “to ensure that our critical infrastructure, such as ports and energy facilities, is maintained by reliable and trusted American companies. This will reduce exposure to terrorism in some of our most vulnerable facilities.” (...)
» The Business Roundtable described Hunter’s legislation as “economic isolationism, which would choke growth and job creation.” A big problem with Hunter’s proposal: “Critical infrastructure” is too broadly defined, said Business Roundtable spokeswoman Tita Freeman. »
D’autres législations sont en cours de débat, avec de fortes chances de devenir des lois dans le climat actuel. Deux de ces législations sont particulièrement importantes dans leurs effets parce qu’elles tendent à établir une formidable barrière face aux compagnies étrangères voulant investir aux Etats-Unis sous la forme de prises de participation ou de rachats d’entreprises américaines. Le détail de ces législations implique deux choses : le passage sous la coupe des organes de sécurité nationale du processus et son contrôle très serré par le Congrès. Le détail vaut effectivement une lecture attentive : « Sen. Susan Collins proposes to abolish CFIUS and replace it with a Committee for Secure Commerce. “To be blunt, the current process is hopelessly broken,” said Collins, R-Maine. The panel would have powerful leadership, with the secretary of homeland security as chairman, the secretaries of defense and treasury vice chairmen, and the director of national intelligence a permanent committee member. In that way, Collins said, foreign investments would be scrutinized for any threat they may pose to U.S. security.
» A third reform bill by Sen. Richard Shelby, R-Ala., would add to CFIUS a new vice chairman’s post to be filled by the defense secretary. Shelby also would make the national intelligence director a permanent member.
» The bill was passed by the Senate Banking Committee March 30. The House is scheduled to take it up in late April.
» Shelby’s plan would require purchases by foreign governments of firms deemed part of the critical infrastructure to undergo a 45-day national security investigation after an initial 30-day CFIUS review. The probe, Shelby said in a statement, “strikes the appropriate balance between national security and our open investment system.” Within 10 days of launching the 45-day investigation, CFIUS would have to notify Republican and Democratic leaders of both houses of Congress. CFIUS also would have to alert the Senate Banking Committee, House Financial Services Committee and leaders of other congressional panels with oversight authority, said Shelby, who chairs the Banking Committee.
»
» Shelby also calls for CFIUS to rank countries according to their adherence to nonproliferation controls, their relationships with the United States and the likelihood they would pass militarily sensitive technologies to third countries. »
La description du processus législatif en cours est révélatrice. L’accès aux USA des investisseurs industriels non-US, dans quelque domaine que ce soit, devient désormais complètement une matière de sécurité nationale. (Il est évident que les délégués des organes de sécurité nationale dans le probable futur “Committee for Secure Commerce” auront tout à dire dans les délibérations. Ils seront soutenus à fond par le Congrès.)
A proprement parler, il n’y aurait pas dans le schéma qui s’amorce une extension du protectionnisme en général mais une extension maximale de la catégorie de sécurité nationale qui, elle, est complètement protégée. Le résultat est approchant, il est même aggravant. Le protectionnisme devient une matière de sécurité nationale alors qu’on pouvait admettre qu’il était jusqu’alors, en partie, de type commercial et tarifaire. Il n’est plus question de droits, de tarifs imposés, etc., mais tout simplement d’interdiction. Les rapports de commerce et d’investissements industriels du reste du monde avec les Etats-Unis sont promis à tous passer sous le contrôle de la sécurité nationale.
A côté de la fermeté extrême du processus en cours, on trouve comme deuxième obstacle, — et sans doute pas le moindre, — la mise en place d’un processus d’enquêtes, de vérifications, de contrôle, etc., qui sera impitoyablement complexe du point de vue bureaucratique. C’est un second cadenas, d’une efficacité éprouvée pour décourager ceux qui voudraient encore tenter l’aventure américaine.
L’effet principal de cette évolution devrait être effectivement un très fort mouvement extérieur de freinage, pour cesser de tenter de pénétrer le marché US. Cet effet jouera d’abord au niveau psychologique, en décourageant nombre de tentatives : l’isolationnisme de sécurité nationale ainsi institué sera d’abord dissuasif.
Bien évidemment, cette évolution est l’exact contraire du processus de globalisation. Elle est d’autant plus sévère et expéditive qu’étant placée dans le cadre de la sécurité nationale, elle devrait échapper à l’arbitrage commercial type OMC.
L’aspect remarquable du phénomène est son caractère incontestablement structurel. La tendance actuelle, notamment la considération de tous les rapports avec l’extérieur du point de vue de la sécurité nationale, est née le 11 septembre 2001. L’affaire DPW/ports US n’a fait que mettre à jour cette tendance. L’arsenal législatif en cours de constitution va structurer tout cela. L’isolationnisme américain en cours d’édification n’est semblable à aucun autre de ceux qui l’ont précédé : c’est un isolationnisme défensif, obsessionnel, un isolationnisme de fermeture au reste du monde, — un isolationnisme aussi radical que les concepts qui le suscitent indirectement (la guerre contre la terreur, la “Longue Guerre”, etc.). Autant pour la Commission européenne qui croit encore suivre son modèle et son américanisme en instituant une chasse aux sorcières des tendances néo-protectionnistes européennes. Dans ce contexte, la croisade de la Commission apparaît à la fois dérisoire et grotesque.
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