Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
849La revue économique La Synthèse on line vient de publier un article intitulé « A quoi pourrait ressembler la zone Euro à la fin de la crise? » Cet article est désolant. Nous ne nous poserons pas la question de savoir si son auteur, le bien connu et estimé Patrick Artus, est de gauche ou de droite, nous nous bornerons à constater que son diagnostic définit un avenir proche de l'encéphalogramme plat. Il prévoit certes que la zone euro pourrait résister à de nouvelles crises de paiement du type de celle qui avait menacé la Grèce voici quelques mois, mais, pendant les années suivantes, elle ne sortirait pas du sous-investissement, de l'absence de programmes mobilisateurs, notamment dans les secteurs technologiques, et plus généralement d'un manque de compétitivité face aux grandes puissances mondiales. Même si l'Allemagne s'en tirait un peu mieux, elle ne suffirait pas à impulser à l'ensemble des Etats européens le dynamisme global permettant de figurer encore dans la prochaine décennie parmi ces puissances. La France en particulier continuerait à se traîner en bas de l'échelle de la stagnation. (Voir ceci.)
Le diagnostic paraît fondé. Mais il appelle un sentiment de révolte. Les pays de la zone euro en général, la France pour ce qui la concerne, qui disposent encore de grandes ressources humaines, industrielles et technologiques, ne vont-elles rien faire pour sortir du carcan imposé par les Institutions européennes (Bruxelles) et à travers elles, par ceux qui ne veulent aucun bien à l'Europe, à commencer par les Etats-Unis d'Amérique? A cette question, une réponse que l'on qualifiera par commodité de « populisme » paraît s'imposer: il faut sortir de l'Union européenne, pour reprendre une certaine capacité d'initiative. Mais il s'agit d'une fausse solution. Nous ne prendrons pas ici de temps pour expliquer une nouvelle fois ce que tous les gens informés savent parfaitement: en dehors de l'Union Européenne, la France ou les pays qui suivraient cet exemple ne pèseraient pas grand chose. Si l'Islande peut affronter le monde à elle seule, la France, du fait même de ses nombreux atouts, attirant les convoitises, ne pourrait pas survivre longtemps sans la collaboration des autres puissances européennes, comme d'ailleurs de Bruxelles. Mais alors que faire?
Notre réponse est simple. Il faut que la France se batte pour changer l'Europe de l'intérieur, avec l'aide des Etats qu'elle pourrait entrainer dans ce combat. Autrement dit, il faut changer Bruxelles, ou plutôt les oukazes qu'imposent à la France, par l'intermédiaire des institutions européennes, ceux qui veulent entraîner la France dans le sous-développement.
Le pouvons- nous? Avant d'étudier les moyens juridiques puis politiques qu'il faudrait prendre à cette fin, répondons à la question essentielle: la France, pour ce qui la concerne, a-t-elle les ressources économiques et scientifiques nécessaires pour, en valorisant celles-ci et par son exemple, réorienter l'économie européenne? Notre réponse à nouveau est simple. C'est oui. Les Français ont potentiellement ces ressources. Encore faudrait-il les exploiter d'une façon volontariste.
L'inventaire de ces ressources n'est pas souvent fait, et moins encore communiqué aux opinions publique. Il faut en effet un certain courage pour affirmer que la France dispose de potentiels suffisants pour sortir non de l'Union européenne, mais du rôle effacé qu'elle y joue, afin de prétendre y exercer un authentique leadership. Ce leadership devrait sans doute être partagé avec l'Allemagne, mais sur un plan d'égalité avec elle et dans des domaines où les atouts allemands sont encore peu affirmés. Nous pourrions dire, pour comparer la France à l'Allemagne sur ce point, que les moyens dont nous disposons nous permettraient, s'ils étaient valorisés, de tenir un rang plus qu'estimable parmi les grands puissances mondiales, alors que l'Allemagne se trouve encore cantonnée au rôle de grande puissance régionale. Ces moyens, nous les avons depuis une vingtaine d'années laissés se dégrader, certains sont en train de migrer de l'autre côté du Rhin, mais pour l'essentiel ils sont toujours là et pourraient reprendre de l'importance, s'ils bénéficiaient d'investissements suffisants.
Cette note se propose de montrer qu'une politique intra-européenne de rupture serait à la portée de la France. Dans une première partie, nous rappellerons ce que sont les ressources françaises. Dans une seconde partie, nous présenterons un exemple d'initiative politico-économique permettant à la France, si elle était gouvernée avec un minimum d'ambition, d'échapper au sous-investissement imposé par les institutions européennes actuelles, sans pour autant renoncer à l'ambition communautaire.
Pour simplifier, nous parlerons ici de ressources françaises, sans oublier que certaines de celles-ci sont partagées avec un certain nombre de pays européens. Mais ceux-ci pour le moment ne font pas plus d'effort que la France pour en tirer parti, afin de créer de la croissance et de l'emploi. C'est fort dommage car ces différentes ressources, si elles devaient servir en priorité à renforcer le rôle de la France au sein de l'Europe, pourraient aussi bénéficier à l'indispensable construction d'une géostratégie intéressant l'ensemble des pays européens, notamment face à l'Amérique et aux pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). L'Allemagne que nous venons d'évoquer en serait évidemment elle-aussi partie prenante.
Une exceptionnelle situation géographique permet à la France d'être présente ou d'exercer une influence dans la plupart des zones côtières et des océans qui seront impliqués dans les grandes urgences de demain: réchauffement climatique, protection de la biodiversité, mais aussi exploitation raisonnée des ressources actuelles et futures. La France doit essentiellement cette situation à ce que l'on appelait jadis ses territoires d'outre-mer. Plutôt que se plaindre en permanence du coût des DOM-TOM, les Français devraient voir dans les dépenses visant à maintenir chez ces derniers un niveau de vie aussi proche que possible de celui de la métropole un investissement d'avenir essentiel.
La France possède un savoir-faire considérable acquis par sa participation aux grandes politiques et aux équipements qui assureront à terme le développement de la planète au delà de ses frontières terrestres. Il s'agit de son implication dans les grands programmes de l'Agence spatiale européenne, dont les plus spectaculaires concernent l'exploration de Mars. La France joue dans le même temps un rôle actif, notamment par l'intermédiaire du Centre national d'études spatiales, dans les programmes d'observatoires terrestres et spatiaux internationaux visant à l'étude scientifique du système solaire et plus généralement du cosmos. Rappelons aussi que les systèmes spatiaux militaires développés par la France, essentiellement pour l'observation optique ou radioélectrique, sont de type dit dual, c'est-à-dire qu'ils peuvent servir également à des applications civiles. Les retombées industrielles de ces activités spatiales sont permanentes. Elles pourraient augmenter encore si quelques investissements supplémentaires de faible importance relative étaient consentis.
La France possède une compétence de portée mondiale intéressant les différents modes de transport et la mise en place des infrastructures nécessaires. On pense nécessairement à la participation majeure de la France dans l'aéronautique civile et militaire, au sein d'EADS-Airbus mais aussi chez Dassault. Rappelons sur ce plan que, face aux difficultés rencontrées dans la mise au point du F35 par l'américain Lockheed Martin, le Rafale de Dassault répond largement aux besoins actuels et futurs des armées mondiales. Mais sa commercialisation se heurte depuis les origines aux obstacles multiples que les Etats-Unis savent mettre devant des concurrents potentiellement dangereux. Les succès d'EADS et de Airbus, face notamment à Boeing, sont tels qu'une des ambitions actuelles de l'Allemagne paraît être de récupérer sur son territoire les meilleurs éléments français de ces deux entreprises. Il ne tiendrait qu'à nous de résister “amicalement”. 

Concernant le rail, la France tient toujours un rang de premier plan, qu'elle devrait conserver sans peine à l'avenir. En matière de navires hautement spécialisés, elle pourrait encore figurer parmi les concurrents dangereux, si les gouvernements successifs avaient soutenu les chantiers civils comme ils le font (à trop petites doses) dans le domaine militaire. L'automobile enfin a longtemps constitué un atout de la France. Elle pourrait aisément le redevenir dans des domaines émergents, avec des moteurs non utilisateurs de pétrole, que ce soit pour les véhicules de tourisme ou pour les poids lourds.
La France est riche d'une exceptionnelle compétence acquise par les laboratoires et les industriels intervenant dans l'ensemble des activités intéressant aussi bien la production de l'énergie que les utilisations économiques de cette dernière. Citons d'abord le nucléaire, où les maîtres d'oeuvre et industriels français tiennent le premier rang mondial, non par le poids commercial mais par le bon fonctionnement et la sécurité des installations. Certes, un désastre comme celui de Fukushima pourrait éventuellement survenir en France. Nul n'est à l'abri. Mais pour le moment, ni les Etats-Unis (fortement impliqués dans Fukushima à travers General Electric), ni la Russie, ni la Chine ne paraissent offrir de meilleurs solutions. Encore faudrait-il que la France, à travers notamment le CEA, entretienne ses compétences alors que des dizaines de pays, en premier lieu les membres du BRIC, sont en train d'investir au profit de l'énergie nucléaire. L'avenir de l'atome français paraît par ailleurs assuré, vu le rôle essentiel joué par la France dans les programmes d'étude de la fusion de l'hélium sur le site de Iter-Cadarache. Avec quelques crédits supplémentaires, de précieuses années pourraient être gagnées dans l'accès à cette source de grande sécurité.
Dans le domaine de la recherche et de l'exploitation du gaz et du pétrole, les industriels français ont par ailleurs développé des techniques et outils qui intéressent le monde entier. Enfin, en ce qui concerne les énergies renouvelables, après avoir trop longtemps délaissé les secteurs correspondants, la France est en train de récupérer une compétence mondiale, grâce notamment à une situation géographique favorable et une bonne qualification industrielle (éolien, hydroélectrique maritime, solaire).
La France dispose de potentiels historiques dans la quasi totalité des systèmes contribuant à la défense: force de frappe atomique, sous-marins nucléaires, avions de combat, satellites d'observation, engins blindés. Elle est le seul pays européen à être ainsi doté. Il n'y a que dans le domaine des drones qu'elle s'est laissée prendre de court. Mais son retard à ce sujet pourra facilement être récupéré, grâce aux performances de ses industries aéronautiques.
Une opinion publique mal avertie prétend qu'il s'agit de secteurs uniquement dépensiers, ne rapportant rien. Ce préjugé est conforté par une propagande américaine constante affirmant que les pays européens, soit collectivement au sein de l'Otan, soit pris isolément, n'ont pas besoin d'investissements de défense en propre, l'achat des armes américaines suffisant à assurer leur sécurité. Tout ceci est évidemment faux. D'une part un pays que ne dispose que de moyens militaires limités doit renoncer à figurer dans le cercle des grandes puissances, ceci même dans la perspective - d'ailleurs lointaine - d'une réduction des risques de guerre. On dira que c'est le cas de l'Allemagne, première puissance européenne. Mais, comme le disent les stratèges, faute d'armée et d'armements en propre, l'Allemagne, géant économique, reste un nain politique. Ceci, accessoirement, n'améliore pas son poids politique vis-à-vis des pays du BRIC non plus qu'au niveau de l'ONU et du Conseil de sécurité.
Un pays qui comme la France dispose au contraire d'une industrie de défense compétitive, en tire de nombreux avantages, et pas seulement diplomatiques. Elle figure parmi les premiers exportateurs d'armes. Lorsque des Etats veulent acheter des armes, quels que soit les objectifs, honorables ou non, que poursuivent leurs dirigeants, ils le font de toutes façon. Il vaut mieux en ce cas qu'ils puissent se fournir, même marginalement, auprès de l'industrie française. Par ailleurs, comme nous l'avons souligné précédemment, les technologies et industries de défense sont en général duales, c'est-à-dire qu'elles servent aussi bien aux armées qu'aux applications civiles, notamment dans ces domaines essentiels que sont l'espace, le nucléaire, l'aéronautique, les communications, la santé...Depuis longtemps, la France se satisfait d'un sous-investissement évident dans le domaine des industries de pointe civiles. Si elle y a conservé cependant des potentiels non négligeables, ce fut en grande partie grâce aux investissements consentis en matière de technologies de défense, dites aussi technologies de souveraineté.
On retiendra de cette constatation la nécessité pour la France de continuer à se doter en propre de matériels et technologies militaires aussi sophistiqués que possible, quelles que soient les restrictions budgétaires actuelles. Les militaires feront à juste titre valoir que les armées doivent aussi disposer de personnels capables d'utiliser de tels armements. Mais là encore les efforts ne seront pas perdus, car ces effectifs se retrouveront nécessairement dans des emplois civils, complétant les formations encore insuffisantes, en nombre et qualité, dispensées par les universités.
Il s'agit de compétences de niveau international, trop souvent ignorées par le grand public, dont disposent des laboratoires et industriels français, en trop petit nombre il est vrai. Elles intéressent des besoins mondiaux: lutte contre la faim, protection de la santé, étude de nouvelles espèces végétales et animales. La France y figure par l'intermédiaire de deux de ses points forts, la médecine et l'agroalimentaire. Les développements futurs de la biologie découleront pour l'essentiel de la généralisation des applications de la génétique, ou plus exactement de la génomique (connaissance et modifications du génome, non reproductif ou reproductif). Celles-ci, à condition d'être confiées non à des industriels soucieux de profit immédiat, tel que l'américain Monsanto, mais à des institutions et programmes publics, cesseront d'être ostracisées, compte-tenu des retombées attendues. On peut penser que, sauf accident toujours possible, les dangers des pratiques correspondantes seront bien contrôlés.
On distingue dès aujourd'hui les espèces dotées de génomes dont un certain nombre de groupes de gènes ont été modifiés ou interchangés à partir de souches naturelles , et celles dont les génomes sont totalement artificiels (à partir d'éléments biochimiques de synthèse). On peut parler alors de biologie synthétique. La seconde est encore exceptionnelle, mais se généralisera, conjointement avec la première. Quoiqu'en disent les défenseurs de l'immobilisme biologique, incapable de sauver les organismes hérités des siècles précédents, une grande partie des espèces vivantes en contact avec l'homme seront partiellement ou totalement modifiées dans le demi-siècle. D'ores et déjà existent dans le monde de nombreuses études envisageant les besoins à satisfaire et les solutions permises par ces techniques. La France y a pris un certain retard, pour des raisons culturelles, mais elle pourrait revenir au premier rang. L'objectif intéresse d'abord les virus, bactéries et micro-organismes. Il s'agira d'obtenir, à partir de ressources largement disponibles (par exemple des déchets transformés grâce à des bactéries photosynthétiques) des produits ou de l'énergie actuellement rares. La biologie génétique permettra parallèlement de développer des végétaux terrestres ou océaniques (algues) encore inconnus aujourd'hui et capables de s'adapter aux régions rendues infertiles par les transformations en cours des milieux naturels. Concernant enfin les animaux supérieurs, l'objectif sera le même. Il s'agira de mettre au point des animaux plus économes ou plus efficaces en terme de production de ressources d'origine agricole. De nouvelles variétés ou espèces se multiplieront. De plus en plus, par ailleurs, les cellules extraites de tissus présentant un intérêt économiques seront cultivées in vitro, à large échelle. D'ores et déjà une viande de synthèse a été proposée expérimentalement à la consommation.
On appelle sciences et technologies de l'artificiel toutes celles visant à « augmenter » (selon l'expression consacrée), puis le cas échéant à remplacer dans certains domaines le vivant, l'humain, le conscient. La France a pris beaucoup de retard dans ces directions de recherche, pour des raisons là encore culturelles mais tenant aussi et surtout à sa faiblesse industrielle en matière d'informatique et de logiciels. Néanmoins ses ressources potentielles sont très importantes et pourraient facilement être développées. On pourra par commodité distinguer, au moins au début, trois grandes directions de recherche/développement, dans lesquelles la France possède un nombre respectable de laboratoires et de start-up(s). Elles se superposeront ou s'interconnecteront, sur le mode dit de la convergence. La première concerne l'homme augmenté. Il s'agit, d'ores et déjà, d'un homme doté de prothèses de plus en plus autonomes. Elles permettent et permettront de suppléer à diverses invalidités ou manques affectant l'humain. Mais progressivement, compte-tenu des augmentations de performance qu'elles assurent, elles seront de plus en plus demandées par les personnes disposant de revenus suffisants. On distinguera les prothèses augmentant les performances des organes sensoriels et moteurs, celles concernant les organes internes et finalement celles appliquées au système nerveux et au cerveau lui-même. Dans ce dernier cas, à côté de techniques dites invasives, seront proposées des commandes à distance activées non seulement par la parole mais par la pensée. En parallèle seront développés des dispositifs susceptibles de modifier en profondeur les capacités d'animaux jugés aptes à opérer utilement avec des humains.
La seconde direction de recherche/développement, encore plus stratégique à divers égards, concerne les robots. Le terme s'applique de plus en plus, non à des automates agissant sur un mode déterministe, comme au sein de chaines de production de plus en plus obsolètes, mais à des systèmes autonomes, capables d'adaptations et de prises de décisions dépassant les compétences des humains et pouvant de ce fait intervenir dans des milieux et avec des temps de réponse très supérieurs à ce que permettent des machines et des commandes classiques. On trouvera de tels robots partout où leur mise en oeuvre sera jugée susceptible d'apporter des profits et des gains de pouvoir inenvisageables autrement. Nous pouvons évoquer,concernant la défense, les drones dits UAV (Unmanned Aerial Vehicle) déjà capables en théorie d'identifier seuls des cibles et décider de les détruire. D'autres appareils dotés de possibilités équivalentes sont développés autour de véhicules terrestres ou maritimes. La même tendance se dessine en chirurgie.
Dans quelques années seront expérimentés, dans le domaine de l'exploration planétaire, des robots et flottes de robots susceptibles d'agir seuls, loin des centres de contrôle terrestres, en procédant à diverses opérations visant à l'exploration et la transformation du milieu nécessaires à l'arrivée ultérieure de colons humains. Ce n'est pas le cas des actuels « rovers » américains opérant sur Mars, qui ne disposent que d'autonomies limitées. Sur Terre, les robots prennent déjà et prendront toutes les formes et tailles imaginables, travaillant seuls ou de plus en plus en groupes. Les chercheurs en cognition artificiels ont déjà réussi à leur faire développer, en « essaims », des comportements symboliques et langages sociaux originaux, non imposés par l'humain, sur un mode analogue à celui dont ont bénéficié les premiers humains. Une fois autorisés à s'émanciper véritablement, on peut penser que ces populations de robots feront émerger des formes de pensée et même de conscience artificielle, s'organisant en cultures, aussi performantes et sans doute plus originales que celles dont s'enorgueillissent les sociétés humaines. Ceci sera particulièrement précieux dans la compréhension des milieux dangereux où ces robots opéreront, sur Terre ou dans l'espace.
On fait souvent valoir que les robots actuels et a fortiori leurs successeurs, feront disparaître des emplois humains. C'est vrai, que ce soit dans le domaine des tâches d'exécution et dans celui des fonctions de contrôle et de conception. Mais dans le même temps, la robotisation accrue développera de nouveaux emplois, sans doute aussi nombreux, concernant l'invention, la mise au point et la maintenance de nouvelles générations de robots. Par ailleurs les nouveaux champs d'activité devenus accessibles grâce aux robots pourront fournir, s'ils sont méthodiquement explorés, de quoi occuper utilement les humains qui leur sont associés.
La troisième direction de recherche concerne les neurosciences, consacres à l'étude du cerveau vivant mais aussi à la mise au point de cerveaux artificiels. Sans se situer parmi les leaders (là encore faute d'investissements suffisants) la France y bénéficie de bonnes capacités. Le terme de cerveau artificiel pourrait s'appliquer à tous les cerveaux virtuels qui prolifèrent désormais sur le web et dont la firme américaine Google ambitionne de devenir un leader absolu. . Mais il est préférable de le réserver aux recherches de grande ampleur concernant la modélisation et la simulation du cerveau humain et de ses principales fonctions dans les domaines sensori-moteur et cognitif. La tâche est potentiellement immense, le cerveau humain étant réputé comme l'objet le plus complexe de l'univers. Mais l'enjeu est également considérable. Non pas que l'humanité manque de cerveaux, mais parce qu'elles manque de cerveaux susceptibles d'être mis au service des domaines les plus ambitieux de la recherche et du gouvernement.
Les spécialistes sont très optimistes. Beaucoup estime qu'un robot humanoïde disposant d'un tel cerveau artificiel et de toutes les richesses informationnelles de l'internet, pourrait voir le jour dans les 20 à 30 prochaines années. Sans attendre se multiplieront vraisemblablement des versions partielles de cerveaux artificiels, consacrés à l'exploration de divers domaines stratégiques – ou simplement à l' « augmentation » des capacités cérébrales de personnes volontaires. Il est bien évident que l'absence de la France dans ces secteurs serait catastrophique.
Les plus graves des faiblesses françaises, souvent et à juste titre dénoncées, pourraient être rapidement récupérées, si un minimum de recherche scientifique et technique y était appliquée. Nous pensons notamment à l'électronique et aux télécommunications, qui souffrent actuellement d'une dépendance technologique massive à l'égard de l'industrie américaine. Cette dépendance se paie aujourd'hui très cher, comme l'ont montré les révélations concernant les back doors consenties par les industriels américains du hardware aux espionnages généralisées de la NSA, de la CIA et des autres agences de renseignement. On peut imaginer que les vols de compétence ou de perspectives commerciales dont ont souffert les industriels et administrations français ont coûté plus cher que n'aurait coûté le financement de processeurs sécurisés auprès d'industriels français, s'inspirant par exemple du nPowerchip de l'américain Cisco. Quant à l'absence quasi totale d'acteurs français dans le domaine de l'Internet grand public, elle traduit une démission presque civilisationnelle devant l'Amérique. Là encore, quelques soutiens aux nombreuses PME françaises capables de développer des offres différentes, éventuellement sécurisées, ne coûteraient pas très cher au regard des avantages, eux aussi civilisationnels, pouvant en découler.
Citons un autre domaine, parmi beaucoup d'autres. Il concerne les matériaux et nano-matériaux. Là encore, malgré une base industrielle relativement compétitive, la France s'est laissée assez largement distancer. Mais elle pourrait revenir à un bon rang mondial, grâce à un savoir-faire universitaire important, et à celui de ses entreprises chimiques et manufacturières. Si elle ne le tentait pas, elle dépendrait de concurrents étrangers dans des domaines essentiels non seulement à la recherche et à l'industrie de pointe, mais à la vie courante.
Rappelons que, dans le cadre des institutions européennes et surtout de la façon dont elles sont appliquées, y compris par la France, aucun des investissements nécessaires au développement des ressources françaises évoquées dans la première partie de cette note ne sera possible. Notre pays, et l'Europe avec lui (incluant à terme l'Allemagne), ne pourront donc sortie de la stagnation, face à un monde qui se développe à grande vitesse et en réponse à des risques naturels qui se préciseront de plus en plus. Le lecteur s'étonnera. Pourquoi un pays qui se compte encore parmi les grandes puissances mondiales accepterait-il passivement un tel sort?
Notre réponse est simple. Elle se fera qualifier de conspirationniste mais les éléments d'information peu connus dont nous disposons sont indubitables. Au sein de l'Europe, aucun pays, petit ou grand, ne souhaite réellement que s'affirme la compétitivité globale de la France. Ils estiment à tort que celle-ci leur nuirait, sans avoir encore compris qu'à l'intérieur de l'Europe les succès de l'un bénéficient nécessairement aux autres. Au sein du monde dit encore occidental, dominé par une Amérique en recul sur certains points et ne voulant donc pas accepter de nouveaux concurrents, l'hostilité est encore pire. Elle prend de nombreuses formes: espionnage, corruption des élites, lutte contre un président de la République qui a eu le tort d'annoncer qu'il se voulait socialiste et que, bien pire, son ennemi était la finance, cette finance qui aujourd'hui domine le monde. Face à l'hostilité générale, le gouvernement français n'a eu de cesse de faire arrière toute et tenter de séduire le « Système », au lieu de tenter de mobiliser les forces nationales contre lui. Mais pour ce faire, il aurait fallu un De Gaulle. Or n'est pas De Gaulle qui veut.

Nous continuons à penser cependant que la résistance serait possible. Mais il faudrait que la France, au lieu de céder à toutes les interdictions imposées au sein de l'Union européenne par les représentants du Système, Conseil européen, Parlement (au moins en partie), Banque centrale européenne, gouvernements allemand et britannique (entre autres), décide d'affronter directement ces interdictions, quoique puisse en être le mécontentement soulevé. Pour cela, il faut s'appuyer sur les peuples qui ne supporteront pas longtemps la réduction des dépenses publiques (investissements et dépenses sociales), l'augmentation des impôts servant désormais à payer la charge de la dette, la vente des actifs nationaux aux pétro-Etats et finalement le manque total d'ambition dénoncé notamment par le rapport des économistes de La Synthèse on line cité en introduction.

On pourrait imaginer que dans ce but; le gouvernement français menace de ne pas respecter les contraintes budgétaires qu'il a lui-même acceptées à Bruxelles. Il pourrait aussi annoncer qu'il ne paierait plus les intérêts de la dette extérieure, quelles qu'en soient les conséquences auprès des agences de notation. Il pourrait menacer en dernier recours de sortir de l'Union européenne et développer des politique volontaristes reposant, horresco referens, sur des politiques publiques proches de celles qui seraient mises en oeuvre en cas de crise majeure, guerre ou cataclysme naturel.
Nous pensons cependant, sans renoncer à une politique de rupture, que la France pourrait mener celle-ci au sein même de l'Union européenne, sans rendre à ses adversaires le service de sortir de cette même Union. Des mesures relativement souples pourraient à cette fin être adoptées. Il s'agirait après tout, comme on va le voir, de faire ce que fait en permanence la Banque Fédérale US, c'est-à-dire du Quantitative Easing, autrement dit de la création de monnaie par billions de dollars. Le Q.E. américain sert essentiellement à inonder le système bancaire pour relancer la spéculation. En Europe, l'équivalent devrait servir, non à relancer la spéculation ni même la consommation des particuliers, mais à relancer l'investissement public. L'équivalent de ces mesures se traduirait par des prêts sans intérêt de la BCE aux Etats. Cependant, il ne faut pas y penser, pour le moment tout au moins, vu l'hostilité non seulement de la BCE mais de ses tutelles étatiques. Il faudra trouver autre chose.
Rappelons que, pour développer les ressources nationales, énumérées dans la première partie de cette note, le gouvernement français aurait besoin de sommes permettant de financer à court et long terme des projets stratégiques. Pour le moment, il ne pourrait le faire qu'en en puisant dans ses ressources budgétaires puisqu'en aucun cas il ne pourrait s'endetter davantage encore auprès des prêteurs internationaux. Or ces ressources budgétaires n'existent plus. La Banque de France, en ce qui la concerne, n'a pas non plus la possibilité – pour le moment - de créer des euros. Il faut donc trouver autre chose.
Nous ne prétendons pas ici proposer une recette miracle, mais seulement un exemple des stratégies qu'il faudrait conduire afin de relancer l'investissement, sans impôts supplémentaires et sans appel aux fonds spéculatifs arabes, chinois ou russes. D'autres solutions seraient sans doute possibles. Il faudrait en discuter. Dans l'immédiat voici notre suggestion. Elle représente la « francisation » d'un projet collectif précédent, publié en février 2010 sous le titre « Plaidoyer pour la mise en place d'un Fonds stratégique européen » .
Nous proposons ici un projet à la fois ambitieux et peu contraignant, à savoir la mise en place d'un Fonds stratégique national doté en régime de croisière de capitaux investis d'une manière permanente, pour un montant à préciser dans le cadre d'un groupe de travail ad hoc. Ce montant correspondrait à une palette de projets à réaliser dans les secteurs dont nous venons de faire la liste. Il dépendrait des besoins d'investissement que formuleraient les entreprises et les administrations implantées en France et désireuses d'y renforcer leur potentiel productif. Disons pour fixer les idées qu'il s'agirait dans un premier temps d'environ 400 à 500 milliards d'euros de fonds propres.

D'où viendraient ces sommes? Ni de l'impôt, ni de l'emprunt, nous venons de l'écrire. Par ailleurs, il ne s'agirait pas, répétons-le, d'encourager des dépenses de consommation, mais des dépenses d'investissement, rentables entre 5 et 20 ans selon les secteurs. Elles ne généreront donc pas d'inflation, mais de la prospérité, sans compromettre d'autres politiques européennes comme celles de la lutte contre la dégradation des écosystèmes. Les projets à vocation transeuropéenne pourront être favorisés. De même des partenariats avec des pays du BRIC, notamment la Russie, pourraient être envisagés, s'ils se révélaient stratégiquement utiles. On objectera que la France ne dispose pas d'épargne mobilisable. C'est évidemment faux. Les diverses épargnes mobilières et immobilières peuvent y être évaluées à 4.000 milliards d'euros. Le dixième, soit 400 milliards, pourrait ainsi être mobilisé volontairement par leurs détenteurs, s'ils trouvaient dans des participations à un organisme public national suffisamment crédible un rendement garanti supérieur à celui fourni par les caisses d'épargne. Il ne sera certes pas envisageable de proposer de l'épargne forcée sous la forme des emprunts de guerre de 1914-18. Il faudra par contre faire appel à la fois au patriotisme des petits et moyens épargnants et des entreprises, mais aussi à leur intérêt personnel. Pour cela, il sera indispensable de les sécuriser, en mettant en place au niveau le plus officiel de l'Etat le Fonds stratégique national envisagé. Ce fonds devrait être parfaitement transparent et contrôlé, tant dans son fonctionnement global que dans le choix des opérations qu'il financera. Le Fonds garantira par exemple un rendement de 3.5% environ aux investisseurs, pour des prêts à durée illimitée , mais remboursables sous certaine conditions (à l'exemple des TSDI (1). Le financement sera réservé à l'économie réelle, au profit de projets offrant le maximum de valeur ajoutée intellectuelle ou technique. En outre, les intérêts perçus pourraient être défiscalisés dans certaines conditions.
La démarche suscitera sans doute la méfiance, sinon l'hostilité, de certaines forces d'opposition, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche – sans parler d'une véritable guerre provenant des représentants du Système financier et politique mondial. Pour l'initialiser, il faudra en « vendre le principe » aux opinions publiques, c'est-à-dire la justifier. L'Etat pourrait à cette fin, en coopération avec les collectivités locales et le secteur productif, public ou privé, présenter sans attendre et faire discuter (pourquoi pas par Internet) un premier noyau de projets susceptibles de relancer l'activité dans les secteurs stratégiques correspondants aux points forts de la nation. Chaque citoyen pourrait ainsi apprécier concrètement les perspectives qu'il y verrait, notamment sous forme d'emplois durables.
Jean-Paul Baquiast
(1) TSDI : titres subordonnés à durée indéterminée, comparables à des obligations perpétuelles
Forum — Charger les commentaires