Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
759
27 août 2005 — Federico Bordonaro, de PINR, nous donne (le 25 août) une excellente analyse des dernières décisions du gouvernement français en matière de politique énergétique, qui ont été annoncées dans le discours du Premier ministre de Villepin le 16 août. Ce discours contenait notamment l’avertissement, assez exceptionnel pour un dirigeant de ce niveau auquel ses services de communication recommandent en général de montrer un visage optimiste, du caractère inévitable et inéluctable de la “crise du pétrole”, — dans la durée et dans la gravité. C’est une des premières prises en compte officielles des estimations qui s’accumulent sur le déclin de la production confronté à la montée de la demande.
En signalant le caractère éminemment national et tendant à assurer autant que possible une indépendance de situation de cette nouvelle politique, en signalant par conséquent l’absence complète de référence à une éventuelle politique européenne commune de l’énergie, Bordanoro propose une intéressante interprétation politique : « These facts signal that the effects of France's rejection of the E.U. Constitutional Treaty are having a deep impact on the country's politics, and that sovereignist discourse is being incorporated by the neo-Gaullist majority. Therefore, we now see a shift in Paris' industrial policy — although along well-known Gaullist lines — which makes the formation of an authentic European political union even more difficult. »
Bordonaro détaille donc le programme français, un “plan” bien dans la tradition étatiste de la France, renouvelée et modernisée par l’épisode gaulliste. Sa conclusion, revenant à l’aspect politique majeur de ses observations, permet d’en saisir tout le sens pour la politique française, pour la position de la France au sein de l’Europe et pour les perspectives européennes.
« Politically, the Matignon speech is obviously very important, as France's industrial orientations for the future are clearly defined. However, such a project could have decisive geopolitical consequences. Contrary to many previous government communications, this one makes no mention of Europeanist rhetoric or of Franco-German centrality. It is, instead, plainly French.
» On a geoeconomic level, we can expect important consequences if such a program is achieved successfully. Total's competitors will be very interested in the company's involvement in France's energy security strategy since this could strengthen Total's leverage in global economic markets. Moreover, oil producers and investors will carefully observe Paris' implementation of alternative energy sources.
» De Villepin will nonetheless have to effectively and rapidly tackle unemployment concerns and to revitalize the G.D.P. at home. Otherwise, he will hardly obtain the needed support to implement his broader policy. In 2007, general elections are scheduled in France, and the neo-Gaullist candidate (who may run in the presidential elections) will face strong competitors, such as the neo-liberal Nicolas Sarkozy and (to a lesser extent) the sovereignist hard-liner Philippe de Villiers and the socialists François Hollande and Laurent Fabius.
» However, if de Villepin succeeds, it could portend the beginning of a more independent French foreign policy, less attached to the Franco-German axis, possibly opening the way to a “variable geometry Europe” similar to that advocated by pro-sovereignty intellectuals and politicians like de Villiers, although without this latter's sovereignist and anti-E.U. rhetoric. »
Il est vrai que cette interprétation de l’adoption de cette politique énergétique comme conséquence politique du référendum du 29 mai (en même temps qu’elle est la conséquence géoéconomique de la crise du pétrole) est particulièrement acceptable. Elle nous convient à plusieurs niveaux d’analyse.
• Effectivement, il s’agit d’une prise en compte de la situation de l’Europe, telle que la “force des choses” l’a fait évoluer ces derniers mois. C’est la prise en compte de la situation bloquée de l’Europe à 25, bloquée autant par le nombre que par l’impossibilité d’arriver à des politiques intégrées communes. C’est la prise en compte du blocage bureaucratique de l’Europe institutionnelle, avec des organismes à la fois paralysés par leur lourdeur et incapables de dégager une politique européenne qui ne soit pas sous influence américaine.
• Il s’agit également d’une évolution de la France vers une position plus comptable de ses propres intérêts, et moins des “intérêts européens” dont elle s’est crue la dépositaire depuis les années 1980. (Personne n’a réussi à définir ce que sont ces “intérêts européens” puisque l’Europe a été incapable de dégager une véritable politique européenne, qu’elle n’a jamais réussi à rompre le lien de sujétion aux intérêts américains qu’elle s’est imposé. L’évolution à 25 aggrave cette situation.) Il s’agit de l’évolution naturelle de la France vers sa position de force : modèle d’indépendance, de souveraineté, pôle d’attraction pour les pays désireux d’échapper aux forces déstructurantes et anti-souveraines de l’américanisme déchaîné.
• Il s’agit encore d’un “modèle européen” qui a la séduction du réalisme et de l’habileté, parce qu’il prend en compte le chaos actuel et donne sa place à une politique d’influence et d’inspiration. Il rejoint celui que nous évoquons, autour du concept de « l’Europe-puissance — par inspiration », dans notre “Analyse” mise en ligne le 7 avril dernier. Ce concept englobe le cadre plus large de la défense et de la sécurité, mais la démarche est similaire bien sûr. Observant la constitution de divers “centres de puissance” où des “intérêts européens” trouvent leur place, nous observions :
« C’est autour de cette évolution que le “pouvoir européen” doit se mettre en place, d’une façon assez naturelle, par la “nature des choses” et la “force des choses” (concept cher à de Gaulle). Un pouvoir émerge des divers centres de puissance conduits à se coordonner sous la pression des circonstances. Ce qui donnera sa légitimité et donc sa cohérence à cette puissance disparate et fractionnée, et transformera sa coordination forcée en une politique créatrice, ce n’est pas une structure de plus, une bureaucratie de plus, un exécutif de plus, dont on a vu qu’ils enfantent impuissance et illégitimité; non, ce qui lui donnera sa légitimité, c’est l’inspiration d’une politique conforme aux intérêts et à la tradition européenne. Nous nommons effectivement cela “une inspiration” pour en marquer le caractère haut et non dénué de spiritualité.
» Vous comprenez évidemment que la France est idéalement mise, qu’elle est le seul État-membre qui puisse donner cette inspiration… »
• Observons pour finir qu’il est particulièrement intéressant que cette évolution française se fasse alors que Angela Merkel, possible nouveau chancelier allemand le 18 septembre, annonce au nom de son parti une politique tendant à une plus grande intégration européenne. On assisterait à une évolution “à fronts renversés” par rapport à ce que tous nos commentateurs conformistes nous annonçaient au soir du 29 mai. Bientôt, si Merkel est élue, ce n’est pas la France qui sera demanderesse pour un soutien de sa politique européenne, mais l’Allemagne. Fort bien : nous savons, si nous voulons parler net, que le “moteur franco-allemand” des années 1980-2000 fut en réalité, comme “le couple” l’était auparavant d’une autre façon, un “moteur politique” français qui traînait l’Allemagne pour se donner une légitimité européenne. Ce faisant, la France perdait nombre d’avantages politiques de sa spécificité nationale unique en Europe (indépendance, souveraineté, autonomie) en tentant, avec un succès plus que mitigé, de les transférer au niveau européen. Si l’évolution constatée ici se réalise, le “moteur politique” deviendra allemand, mais avec infiniment moins de capacités que le français parce que l’Allemagne n’est pas une puissance politique ni une puissance militaire. L’Allemagne sera une demanderesse du soutien français infiniment plus pressante que ne fut la France du soutien allemand ; position idéale pour la France, loin des chimères intégrationnistes européennes.