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Dans l'article « French start to assume old role in Afghanistan », du 4 septembre dans le New York Times et l'International Herald Tribune, Elaine Sciolino citait un article paru dans le numéro d'août de la revue mensuelle The Journal of Electronic Defense (JED), le journal de l'association américaine des électroniciens, — dite Old Crowns Association. (Sciolino cite ce passage : « Among the 17 nations that joined the US for Operation Enduring Freedom, France contributed over a third of the coalition troops in what it calls Operation Hèraclés. France also sent one fourth of its total force, according to the US Department of Defense. French aircraft had flown 10% of the flight hours logged with the coalition effort through the end of June. French fighters provided close air support for US Special Forces, the only nation to earn this prestigious assignment. »)
L'article de Sciolino était aimable pour la France, en lui reconnaissant un rôle beaucoup plus important en Afghanistan que celui qu'on a en général évoqué. (Elaine Sciolino apparaît désormais comme une journaliste spécialisée dans les contacts avec le gouvernement français, les officiels et diverses personnalités parisiennes. Elle est devenue, nous semble-t-il, un des interlocuteurs préférés de l'establishment français pour faire passer ses messages vers l'ami américain, via la presse US d'influence, dans ce cas le New York Times et l'International Herald Tribune. Cet article que nous citons ici n'est que l'un parmi les nombreux que Sciolino consacre, ces temps derniers, à la France et à la politique française dans le cadre des relations de la France avec Washington.)
On peut être sûr, comme on nous l'a suggéré, qu'un officiel français fervent lecteur de la presse US spécialisée, a fourni à Sciolino une copie de l'article de JED, qui met en évidence le rôle particulièrement important tenu par la France durant la campagne de la coalition en Afghanistan. C'est de bonne guerre, pour tenter indirectement d'améliorer l'image de la France. De toutes les façons, c'est très utile car cet article, qu'il est particulièrement intéressant d'aller consulter, éclaire effectivement et de façon convaincante le rôle des Français, qui apparaît sur plusieurs plans sans doute plus important que celui des Britanniques, pourtant régulièrement consacrés n°2 derrière les Américains. Le passage complet d'où Sciolino a extrait sa citation est le suivant :
« One week after the attack on the World Trade Center and the Pentagon, French President Jacques Chirac was the first world leader to arrive in Washington bringing his support to President Bush. In the months that followed, the French Air Force established two airfields near Afghanistan for joint operations with US C-17 transports and F/A-18 fighters. The French Navy joined the US naval group with a task force built around its new aircraft carrier, the Charles de Gaulle . The French Army secured the airport at Mazar-e-Sharif at the request of the US, and then the airport in Kabul for an international peacekeeping force. Overhead French military satellites re-positioned for surveillance and communication over what remains a global hot spot.
» Few nations can keep up with the US on such a scale. Among the 17 nations that joined the US for Operation Enduring Freedom, France contributed over a third of the coalition troops in what it calls Operation Hèraclés. France also sent one fourth of its total force, according to the US Department of Defense. French aircraft had flown 10% of the flight hours logged with the coalition effort through the end of June. French fighters provided close air support for US Special Forces, the only nation to earn this prestigious assignment. Add to this fact the numerous reconnaissance and other discreet missions assigned to the French naval group, and you have the proof, according to a French general, of the solid working relationship, interoperability, and shared respect between the two militaries. »
L'article met en évidence les capacités françaises dans la campagne d'Afghanistan et, plus précisément, les capacités françaises dans le domaine des la recherche de la coopération et de la coordination (avec les États-Unis, bien entendu). C'est-à-dire que l'article tend à montrer les forces françaises plutôt comme une structure très autonome et, finalement, pas fondamentalement différente de la structure américaine, pour ce qui est des conceptions qui y président. John Brosky, l'auteur de l'article, note à la fin de son texte, avec un certain étonnement admiratif : « Watching the French military go into action must be fascinating and revealing for Americans, rather like observing how Brand X goes to war. The open question is how long France can continue what the French Assemblée Général [“Nationale” plutôt, nous supposons...] proudly calls “an independent and autonomous national military capacity.” »
(La dernière question est bien entendu intéressante, et on comprend qu'un Américain, ayant à l'esprit la référence des habitudes dépensières du Pentagone, se la pose : comment les Français, songe cet Américain, pourraient-ils maintenir longtemps cette structure autonome qui nous coûte, à nous Américains, si cher ? A l'inverse de Brosky, nous aurions tendance à être assez optimiste, pas tant pour des raisons budgétaires conjoncturelles mais pour des raisons structurelles, à cause des conceptions françaises elles-mêmes, qui recherchent en toutes choses l'autonomie. Cette structure autonome française tient au moins depuis 40 ans, malgré une politique budgétaire militaire loin d'être exemplaire, laquelle aurait du, selon les normes américaines, déjà en avoir raison.)
L'hommage de l'auteur va (sans qu'il s'en rende compte exactement) à une capacité structurelle, qui dépend moins des matériels, des volumes de force (étant entendu que l'on ne descende pas sous un certain plancher), que d'un état d'esprit et d'une capacité autonome on dirait innée d'intégration, et de l'architecture de force que l'un et l'autre ont produit. Cette situation est le produit, à la fois d'une constance nationale française qui dépend de l'histoire et des caractères de la France, à la fois d'une conjoncture politique des 40 dernières années, avec la doctrine gaulliste mise en place et le retrait de la France de la structure intégrée de l'OTAN. C'est cette dernière mesure, spécifiquement, qui a facilité, pour la France et du point de vue technique, le développement et l'entretien du caractère autonome de ses forces.
Il est remarquable qu'on trouve sous la plume d'un auteur américain, nécessairement sans trop de préjugés puisque exerçant dans une spécialité technologique assez peu touchée par l'idéologie, un hommage à l'architecture structurelle des forces françaises qu'on ne trouverait certainement pas sous la plume des commentateurs français habituels, qui en sont en général fort peu conscients. De ce point de vue fondamental de la structure des forces, la France s'affirme dans ce domaine également comme la seule nation au monde pouvant se comparer structurellement aux forces américaines, et qui approche celles-ci au niveau de l'exigence qualitative par le déploiement de matériel d'une qualité technologique suffisamment avancée pour permettre à cette structure de fonctionner de façon satisfaisante.
La circonstance de cet article conduit à résumer le constat ainsi relevé que les capacités militaires françaises n'ont d'égale que l'incapacité où se trouve la France de faire sa propre promotion, à l'instar, par exemple, des Britanniques (et des Américains, cela va de soi). Il faut ce paradoxe d'un reportage d'un journaliste spécialisé américain pour mettre en évidence la réalité française à cet égard.
Un autre aspect de l'article est intéressant, la question de l'interopérabilité entre les forces françaises et les forces américaines. C'est par ailleurs l'aspect central de l'article (ce qui rend d'autant plus crédible l'aspect d'hommage aux capacités françaises, qui est secondaire dans l'esprit de l'auteur et donc comptable d'aucune intention politique). On ne sera pas étonné de découvrir, au travers des appréciations des Français (de militaires français), une appréciation très radicale du comportement des Américains. Ceux-ci prônent, au niveau politique, l'interopérabilité comme une panacée universelle pour les relations entre alliés, comme une assurance de survie des alliances, et l'OTAN répète évidemment ce refrain à l'intention des Européens.
Ce que nous montre cet article, et d'une façon assez convaincante, c'est le fait fondamental que les militaires américaines ne tiennent nullement à établir cette interopérabilité. On comprend combien c'est là un aspect si intéressant. C'est un aspect qui peut être également tenu pour inquiétant, et plein d'enseignement : il y a une volonté américaine de rester isolé (ou bien d'avoir des subordonnés qui ne font que s'aligner), ce qui montrerait que l'unilatéralisme actuel n'est pas un simple caprice de politiciens radicalisés et d'idéologues minoritaires.
Ci-après, quelques extraits de l'article montrant cette situation si caractéristique, et si différente de l'image qu'on donne habituellement de l'Amérique :
« In Afghanistan, however, it was the Americans who threw a curve ball with a decidedly one-sided policy for leading the coalition. “My way or the highway” is how the message came across to allied commanders, who discovered that despite years of interoperability training under North Atlantic Treaty Organization (NATO) guidelines, the lead partner of the alliance would be using “US only” systems and procedures to coordinate operations in Enduring Freedom. To make a computer analogy, French commanders realized they had shown up with Macintosh equipment at the American's Microsoft-only work site. “In the framework of a coalition, this is not very good,” said General Jean-Patrick Gaviard, French Air Force, responsible for operations within the French Joint Chiefs of Staff. “Some level of interoperability was in play. The success of these operations is the proof that these worked. But it is essential that allied forces share the same standards for equipment, and this was not the case.”
» For example, reporting for duty at the Combined Air Operations Center (CAOC) for Enduring Freedom in Al Kharj, Saudi Arabia, French air-operations officers did not find consoles running the familiar NATO Integrated Command and Control (ICC) system but something new called Theater Battle Management Core Systems (TBMCS). French fighter pilots using frequency-hopping HAVE QUICK radio channels could not hear the communications from ground forces using US-only encryption. And the email did not work between ships, at least until American teams came aboard to reconfigure French servers and the addressing protocols. US vessels from the Pacific Fleet are not equipped for NATO interoperability standards, noted Gaviard. “NATO is our reference,” he said, speaking of French forces. “But for the US, it is only a small part of their world. It is not impossible to work together; it's just more complicated.”
(...)
» The officer responsible for designing France's satellite-communications network for the operation was more blunt: “It takes two to interoperate,” said Captain Gianfranco Tantandini, French Air Force. “The Americans did not want to play like that. It is not for me to say, but the US, which I like very much, does not show a true willingness nor a real interest in being interoperable.”
(...)
« The choice made by the US to conduct the Afghanistan campaign under the Lead Nation model was significant. Following the attack on September 11, 2001, the members of NATO invoked Article 5 of the treaty for the first time in its 50-year history. This is the mechanism requiring members to come to the aid of another member. The US declined the offer, a decision that astounded NATO nations. More significantly, as nations were to learn, the US also declined to operate under the NATO interoperability standards that are the key reference for European military doctrine, equipment, and training. After an awkward experience with NATO coalition rules for the Balkan campaigns during the 1990s, where unanimous approval from up to 20 different nations was required for each planned operation, US leadership preferred to go it alone in Afghanistan. “Those who love me, follow me,” concluded General Gaviard. »