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590Comme Hubert Védrine nous l’a bien expliquée (voir le 21 mars 2011), la résolution 1973 de l’ONU est fondée sur la notion de « devoir de protéger » proposée par Kofi Annan comme alternative au « droit/devoir d’ingérence ». Il a fallu plus de 10 ans à cette notion pour être transcrite dans une résolution au caractère particulièrement novateur en terme de droit international qui devrait donc faire jurisprudence. Moins d’une semaine après son entrée en vigueur, on peut faire un premier bilan particulièrement sombre de cette résolution :
• L’Occident qui en est l’auteur en fait une lecture particulièrement large qui déplaît profondément au reste du monde, Ligue arabe et Union africaine en tête alors que la résolution base sa légitimité pour partie sur leurs décisions. Si dans le futur, une nouvelle résolution se basant sur cette notion de « devoir de protéger » devait être adopté, il est certain que sa mise au point fasse l’objet d’âpres négociations et d’engagements préalables particulièrement forts ;
• Le vote de la résolution a été hâté par l’efficacité de la contre-offensive des autorités libyennes. Kadhafi avait parfaitement conscience du temps minimal nécessaire à la diplomatie. Quelques années ou quelques mois plus tôt – crise générale du Système, contraction du temps et catastrophe japonaise –, la phase diplomatique n’aurait pu s’achever dans les délais ;
• La zone d’exclusion aérienne s’est curieusement dotée d’une dimension terrestre particulièrement marquée (attaque de blindés) voire maritime (bombardement d’un port). Officiellement il faut protéger les populations mais l’emploi de missiles implique une idée de frappes préventives peu compatible avec le concept de protection. On pourra au passage s’interroger sur la nécessité de recourir à des missiles quand les avions de la coalition sont en théorie si supérieurs en nombre et en qualité à ceux du dictateur libyen. Les Rafale, Mirage 2000, F-22 et autres seraient donc les meilleurs mais on ne sait jamais ;
• Kadhafi et ses conseillers exploitent pleinement les faiblesses inhérentes d’une attaque exclusivement aérienne, se basant sur l’expérience afghane et sur la configuration désertique du pays. Ce conflit asymétrique de type G4G va piéger la coalition dans un conflit durable et onéreux ;
• Les dirigeants étaient conscients du risque d’embourbement et ne voulaient pas d’une occupation terrestre qui, au-delà de ses relents coloniaux pour les populations africaines et arabes, aurait été particulièrement mal perçue par les populations occidentales. Ils laissent donc le soin des combats terrestres, de loin les plus coûteux en vies, aux indigènes. Au pire, ils pourront toujours les laisser tomber ;
• Le caractère structuré de la contre-offensive des autorités libyennes face aux insurgés cède désormais au caractère déstructuré d’une guérilla type G4G face aux forces de la coalition doublée d’une guerre civile, Kadhafi ayant ouvert les dépôts d’armes aux civils.
Ce qui devait être une opération de protection de la population va déboucher sur un bain de sang civil. Les conséquences économiques tant pour la pauvre Libye qu’au niveau mondial (prix du pétrole) vont également être lourdes.
La notion de « devoir de protéger » sera débattue de nouveau, aux niveaux nationaux et mondial, car elle ne résolvait pas une question cruciale : un dirigeant (ou un groupe de dirigeants) peut-il rester en place après qu’une force extérieure se soit interposée entre lui et son peuple ?
De surcroît TOUS les régimes du monde tireront les leçons du précédent libyen. Désormais ils réagiront d’autant plus vite et plus fort aux émeutes. L’usage d’armes de guerre étant trop voyant, ils se doteront de troupes de maintien de l’ordre du type CRS (ou les renforceront) et ils les doteront de moyens importants.
Le Conseil de sécurité de l’ONU sera en outre l’objet d’affrontements diplomatiques accrus, les nouvelles grandes puissances (je préfère cette expression à celle de « pays émergents » que je trouve trop condescendante) affirmant d’autant plus fort leurs exigences face à un Occident en pleine déroute. La divergence des points de vue sera le plus souvent importante, surtout si le nombre de membres permanents augmente, et devrait déboucher sur une paralysie quasi complète de cette institution.
Ces réactions logiques viendront renforcer la rigidité du Système et donc sa fragilité dans un contexte mondial particulièrement instable.
“Bilbo”
PS : Un point connexe à la crise libyenne mériterait d’être étudié : comment un pays sans gouvernement peut-il entrer en guerre ? Je parle ici de la Belgique qui vient de rejoindre la coalition.
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