La furtive marginalisation du JSF

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Le Joint Strike Fighter, ou JSF, ou F-35, n’en finit semble-t-il jamais de continuellement restructurer son propre programme de développement, ses tests, ses coûts, etc. Des nouvelles nous arrivent donc à propos de la nouvelle structure du programme, intégrant les dernières réductions de commande et les derniers contrôles budgétaires du Pentagone.

• Un long article de Aviation Week & Space Technology, du 7 février 2011 détaille ces nouvelles dispositions. Parmi les diverses nouvelles (Bill Sweetman les résume dans un autre article), on trouve ceci, qui est un des points les plus significatifs, qui est le retard accumulé dans le développement du logiciel : «For the mission system, the replan means more software development engineers, more integration laboratory capacity—and more time. The final software standard, Block 3C, is scheduled to be released to flight test in June 2015. Of the 8 million lines of code on the aircraft, “we have 4 million to do, but we still have four years of development,” says Eric Branyan, deputy general manager of the F-35 program.»

• Donc, comme signalé plus haut, Bill Sweetman fait un résumé des nouvelles dispositions de développement du JSF, et rappelle qu’il ne s’agit en aucune façon d’une surprise tant les avertissements, de toutes les sources possibles, se sont accumulés depuis 2006-2007. (L’article de Sweetman, sur Ares, le 7 février 2011.)

«Development testing is not now due to be completed until October 2016, completion being marked by the end of testing on Block 3 software. The new program will include 7,800 flights, restoring the 2,000 test sorties that the JSF Program Office cut in 2007. In total, this represents a five-year delay since the program started.

»To take a more recent benchmark: in September 2008, the schedule called for Block 3 development testing to be finished in mid-2013, five years away. Today, that milestone is more than five-and-a-half years off: in short, the JSF program has gone six to nine months backwards in just over two years.

»According to the Government Accountability Office's testimony of last March, development costs in then-year dollars had increased from a baseline of $34.4 billion on 2001 to $49.3 billion by that time. This was revised upwards to $50.8 billion as part of last year's Nunn-McCurdy review. The latest extension will cost an additional $4.6 billion, bringing the total overrun to $21 billion or 61 percent…»

Citant les conclusions d’une équipe d’experts de la Navy, de l’USAF et de la RAF étudiant le programme JSF en 2006, Sweetman souligne le parti pris délibéré, dans les premières structures et calendriers du programme, du refus de tout délai, de tout problème, de toute difficulté, comme si le JSF ne pouvait être qu’un succès inéluctable et total dans tous les domaines concevables, avant même que d’exister, – ce qui est effectivement sa “philosophie”, d’une sorte qu’on nommerait de l’extrémisme américaniste…Le JSF fut donc prévu, planifié et programmé pour être le succès irrésistible que l’équipe de relations publiques et la narrative virtualiste annoncèrent qu’il serait. Il n’y eut jamais de place, dans le programme JSF, pour l’incursion de la réalité et de ses incertitudes. «What the team found, […] was that “software development and testing schedules are success-oriented and have little margin to accommodate delays”… […] The investigators also reported that the “flight test schedule provides little capability to respond to unforeseen problems and still meet scheduled start of operational testing.”».

• Pour compléter le registre des nouvelles peu exaltantes, on mentionnera ce qui nous vient de Hollande, via le site JSFNieuws de Johan Boeder (le 5 février 2011, en traduction Google). La nouvelle commente la publication par le Telegraaf d’un rapport secret pour le ministère de la défense, sur la restructuration des dépenses de défense, recommandant la réduction de la commande de JF de 85 à 30-35 appareils. Le même rapport recommande également d’examiner l’option de l’achat d’un “avion européen”.

• Par contraste avec toutes ces nouvelles très dépressives sur le programme JSF, nous signalons une série d’articles sur certaines dispositions et commandes qui sont prises et envisagées, pour moderniser des avions actuellement en service aux USA, voire en commander de nouveaux. Un article du Los Angeles Times du 4 février 2011 rapporte la situation à l’usine Northrop de El Segundo, qui est co-producteur avec Boeing du F/A-18 de l’U.S. Navy.

«The boon for Northrop's 1,100 F/A-18 workers in El Segundo — and the more than 700 parts suppliers in California — is the byproduct of an embarrassment for the Pentagon. By now, the military had hoped to start phasing out the F/A-18 and begin flying the radar-evading F-35 Joint Strike Fighter. But production on the next-generation jet is years behind schedule and billions of dollars over budget.

»Just last month, frustrated Defense Secretary Robert M. Gates said the F-35, which is to be used jointly by the Navy, Marines and Air Force, is still not ready. To bridge the gap, he announced the Navy intended to buy 41 more F/A-18s. The move will “hedge against more delays in the deployment of the Joint Strike Fighter,” he said.

»This is good news for longtime Northrop workers, such as technician Martin Martinez, 46, of Whittier. He runs a final diagnostic on the plane's hydraulics, electrical, and fuel systems before the fuselage is sent out of the plant on a big rig. “We've been blessed for jobs in this plant for the last year or so,” he said. “We joke that there's a lucky charm buried around here somewhere.”

»Less than a year ago, the outlook in El Segundo wasn't as rosy. The plant had just enough work to last until this year, and there were fears that it could join the dozens of other Southland airplane manufacturing plants that have either slowed production or closed their doors altogether. But then the orders picked up. Last March, the Navy ordered 124 additional planes. Then came Gates' announcement about buying still more. […]

L’article se termine sur une observation de Todd Harrison, du Center for Strategic and Budgetary Assessments : «The aircraft has been a good insurance policy for the Navy. The F/A-18 will be in demand for as long as there are problems with the F-35 program. And if you look how that program has gone over the last several years, there's no telling how long that will be.» Ce jugement est d’autant plus à considérer que Boeing vient de présenter publiquement une nouvelle version du F/A-18, modernisée dans le sens qu’il faut, notamment avec des capacités furtives améliorées, et baptisée International Super Hornet. Aviation Week & Space Technology présente cette version avec cette question, sous-entendant qu’il s’agit d’un concurrent direct du JSF sur les marchés internationaux : «JSF Killer ?» Dans le même numéro (17 janvier 2010), l’hebdomadaire détaille les plans de l’USAF pour une modernisation massive de ses F-16C/D, portant sur 1.021 exemplaires et permettant une prolongation de leur vie opérationnelle au-delà de 2020.

…Ainsi s’organise, aux USA, et peut-être ailleurs, un monde des armements “sans le JSF”, – pour un certain temps, peut-être pour plus longtemps encore. C’est une année importante à cet égard, comme le signale l’article du Los Angeles Times. Lorsque le journal annonce cette commande combinée de 165 F/A-18 supplémentaires en moins d’un an, alors que les chaînes de production devaient s’arrêter cette année, il marque qu’on a changé d’époque, – de 2010, où l’on vivait encore avec la perspective que le JSF resterait à peu près, même si à trois ou quatre ans près, dans son enveloppe de prévision pour son entrée en service, – à 2011, où l’on constate que le JSF est sorti de notre monde, qu’il est entré dans l’inconnu de prévisions impossibles à faire, et qu’il faut désormais s’organiser sans compter sur une chronologie établie de son entrée en service.

Il s’agit de conditions subreptices, ou furtives, qui reçoivent fort peu de publicité parce qu’elles contrarient grandement, sinon totalement, la narrative officielle concernant le programme JSF. Officiellement, c’est-à-dire selon cette narrative, le JSF existe, il est plus que jamais conquérant, irrésistible, etc. Nul ne doute, selon le jugement conforme aux consignes du Système, qu’il emportera tous les marchés extérieurs qu’il voudra bien considérer. Un seul cas risque de rendre plus difficile la concrétisation de cette issue acquise d’avance : l’existence même du JSF, c’est-à-dire sa non-existence, ce qui est désormais une hypothèse à considérer. Ce à quoi l’on assiste est un mouvement puissant de rééquipement par modernisation ou par achats discrets, sans publicité particulière, des forces armées US avec des équipements courants, alors que se développent des versions nouvelles de ces équipements courants. (Outre l’International Super Hornet, Boeing offre déjà une version avancée du F-15, le F-15 Silent Eagale.)

Un autre événement important quoique annexe pour le contexte qu’on décrit pourrait survenir si le nouveau Congrès parvient à relancer la chaîne de production du F-22 Raptor à l’occasion du départ du secrétaire à la défense Robert Gates. Cette relance conduirait à “marginaliser” encore plus le JSF…

“Marginaliser”, quel mot étrange pour cet avion de combat dont le but initial était de s’imposer évidemment comme la seule possibilité d’acquisition pour ce domaine dans le XXIème siècle ; c’est-à-dire, dont le but initial était de “marginaliser” tous les autres. C’est pourtant bien ce qu’on décrit avec les diverses évolutions qu’on enregistre, – l’hypothèse de plus en plus à considérer d’une “marginalisation” subreptice, ou furtive bien entendu, du JSF, qui sera laissé dans son monde de narrative virtualiste, hoquetant de restructuration en restructuration, de million de lignes code en million de lignes code. Le reste, le monde réel, il faudra bien qu’il continue, par conséquent, éventuellement sans lui.


Mis en ligne le 8 février 2011 à 17H38

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