La Géorgie et les incohérences américanistes

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La destruction d’un drone, ou UAV (Unmanned Aerial Vehicle) de reconnaissance géorgien par la chasse russe met en évidence la politique chaotique et irresponsable des USA vis-à-vis de la Géorgie, et par voie de conséquence, vis-à-vis de la polémique de l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie (et à l’Ukraine) qui est un grave ferment de division de l’Alliance. L’UAV, construit par les Israéliens, a été fourni à la Géorgie par les USA, spécifiquement par le Pentagone. Bien entendu, il était contrôlé et manié par des équipes US installées en Géorgie, lors de cette mission au-dessus de l’Abkhazie, une province indépendantiste de la Géorgie soutenue par la Russie. Le président géorgien a aussitôt réagi avec violence, accusant la Russie de provocation et réclamant le soutien US, qui lui a été aussitôt fourni, dans tous les cas en paroles, par des déclarations dans ce sens de Condoleeza Rice.

Toutes les précisions sur cet incident ont déjà été fournies dans divers articles mis en ligne. On en trouve notamment une description acceptable sur le site de Jean-Dominique Merchet, le 22 avril, avec notamment la vidéo montrant la destruction de l’UAV par ce qui paraît être un MiG-29 russe. Selon le vice-ministre de la défense abkhaz, il s’agit d’un UAV «Hermes-450 construit par l'israélien Elbit Systems Ltd en 2006. Son numéro de série est 553».

Il semble bien que ces équipements ont été fournis à la Géorgie sur la seule initiative du Pentagone, sans consultation d’autres départements à Washington, comme c’est de coutume aujourd’hui aux USA où chaque centre de pouvoir suit sa propre politique. L’influence de groupes de pression extérieurs US, notamment les divers lobbies US en Europe de l’Est, partisans de l’élargissement de l’OTAN et d’une politique antagoniste avec la Russie et où l’on retrouve des gens comme Bruce P. Jackson, a joué un rôle complémentaire important dans cette démarche. Les autres pouvoirs US impliqués dans la politique de sécurité nationale n’ont pas été avertis à l’origine et se sont trouvés devant le fait accompli de l’incident sans connaissance précise de la situation. Fidèle à la politique maximaliste de l’administraton et de la bureaucratie US, ils ont aussitôt soutenu la Géorgie.

Le jeu des Russes dans cette affaire a été de suivre une “politique secondaire de provocation”. Considérant les vols d'UAV sur l’Abkhazie comme une provocation, notamment en raison du soutien russe aux revendications autonomistes de l’Abkhazie, ils ont riposté par une attaque qui est si l’on veut une “contre-provocation”, – un avertissement donné aux USA et à la Géorgie. Ils ont procédé prudemment en attribuant d’abord la destruction de l’UAV a la défense anti-aérienne abkhaze. La réalité d’une intervention russe directe, que semble mettre en évidence la vidéo, ne les embarrasse qu’accessoirement. Les risques de leur riposte étaient limités en raison des circonstances et des spécificités de la cible (pas de pertes humaines à craindre). Par contre, les avantages de cette opération sont évidents pour les Russes. L'opération permet de renforcer l’avertissement russe selon lequel, à la suite de l’indépendance du Kosovo soutenu par l’Ouest contre la Russie, la Russie peut jouer le même jeu pour son compte auprès d’autres régions souhaitant leur indépendance. L’engagement militaire US en Géorgie était un fait avéré mais l’incident l’“officialise” quasiment, ce qui est un avantage pour la Russie. Il met en évidence l’incohérence de la politique US.

Nul n’ignore, dans les pays de l’OTAN concernés, le rôle US (du Pentagone) dans l’encouragement à une politique déclamatoire et provocatrice de la Géorgie contre la Russie. L’incident éclaire les risques considérables d’affrontement avec la Russie que comporte la “crise géorgienne”, sans cesse renforcée par les activistes américanistes, que ce soit les officiels ou les lobbies. L’entrée de la Géorgie dans l’OTAN devient ainsi un cas de plus en plus délicat pour les membres de l’OTAN qui se sont opposés à cette orientation lors du sommet de Bucarest, notamment les Allemands. C’est introduire dans l’OTAN un pays dont on peut considérer qu’il suit une politique de provocation vis-à-vis de la Russie, soutenue sinon dictée par les USA, pour susciter l’implication des pays alliés. Si la Géorgie entrait dans l’OTAN, cette “politique” géorgienne deviendrait un cauchemar, avec des risques sérieux d’affrontement avec la Russie. De leur côté, la Russie entretient habilement cette crainte, et la destruction de l’UAV en est une indication certaine.

Le résultat de la non-politique US parcellaire, avec dans ce cas l’habituel maximalisme bureaucratique du Pentagone, est de tenter d’aggraver le désordre, d’accroître les risques de confrontation, selon l’idée que l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN serait rendue plus facile. Le résultat est évidemment exactement inverse sur le terme. La perspective de faire de l’OTAN un otage d’un gouvernement aussi irresponsable que celui de la Géorgie, totalement corrompu par les USA et manipulé par des groupes de pression idéologiques et liés au complexe militario-industriel US, aura pour résultat de contraindre les pays de l’OTAN hostiles à l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN, dont l’Allemagne en premier, à durcir encore leur position. (Cela, quelles que soient certaines déclarations officielles sur l’instant, condamnant l’action russe. Déclarations de pur conformisme de communication.) Dans ce cas, la menace d’une crise interne de l’OTAN, les USA restant sur leur ligne maximaliste, devient très forte. Il est difficile de trouver une évolution plus incohérente et plus insensée, dans le chef des USA, puisque l'un des premiers effets probables serait une crise dans l'OTAN. On commence à en avoir l’habitude mais le constat reste toujours aussi surprenant.


Mis en ligne le 28 avril 2008 à 10H21