La Géorgie (USA) et la sécession

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Pour certains, ce fut un choc d’apprendre que 43% des citoyens de Géorgie qui se disent républicains estiment que leur Etat (nous parlons de la Géorgie, Etat de l’Union nommée USA) se trouverait mieux s’il était une nation indépendante. RAW Story, ce 1er mai 2009, fait grand cas des résultats de ce sondage effectué pour DailyKos.com entre les 27 et 29 avril.

Assez joliment, RAW Story complète ce propos intéressant d’une information concernant une législation votée par l’Etat de Géorgie, dont on découvre, d’ailleurs presque par inadvertance, qu’elle a des dimensions “pré-sécessionnistes”, d’ailleurs elles-mêmes introduites comme “par inadvertance”, ou tout comme. Certes, l’expression “pré-sécessionniste” est un peu provocatrice et avec un goût saumâtre, et relève, diront les commentateurs sérieux, du sensationnalisme.

Voici quelques extraits des observations de RAW Story.

«When asked if Georgia would be better off as an independent nation or as part of the United States, 43 percent of Republicans in the state selected independent nation, according to a poll published Friday. […] State wide, just 27 percent think Georgia would be better off independent of the U.S. and a mere 18 percent would approve of secession.

»The General Assembly of Georgia recently passed Senate Resolution 632 in support of the state sovereignty movement, by a vote of 43-1; an act Atlanta writer Jay Bookman characterized as accidentally threatening the state’s ties to the United States.

»“In fact, Senate Resolution 632 did a lot more than merely threaten to end this country,” he wrote. “It stated that under the Constitution, the only crimes the federal government could prosecute were treason, piracy and slavery. Therefore, all acts of Congress which assume to create, define or punish [other] crimes … are altogether void, and of no force,’ the Georgia Senate declared. Finally, the resolution states that if Congress, the president or federal courts take any action that exceeds their constitutional powers, the Constitution is rendered null and void and the United States of America is officially disbanded. ”…»

Le même constitutionnaliste de Géorgie Jay Bookman pondère aussitôt son propos par l’observation que cette législation a été votée un peu dans la précipitation, sans que les parlementaires réalisent l’implication de leurs votes ni, d’ailleurs, ne lisent bien sérieusement le document. Ils se sont appuyés sur la garantie, d’ailleurs parfaitement véridique, – eh, cela en dit long, – que cette résolution rencontre les principes de base des droits des Etats selon les conceptions jeffersoniennes… («“Now, to be fair, the resolution passed because it was snuck unnoticed onto the Senate resolution calendar on the 39th day of the 40-day legislative session, when senators were trying to handle dozens of bills and scores of amendments. Most did not have an opportunity to read the six-page resolution, which in its description claimed to merely affirm ‘states’ rights based on Jeffersonian principles.”»)

C’est, finalement une bien curieuse nouvelle, ou disons, une addition de bien curieuses nouvelles. Le sondage cité dit d’ailleurs d’autres choses intéressantes, notamment l’abysse incroyable entre républicains et démocrates (à majorité noire) sur la question mentionnée ici (8% contre 88% des démocrates jugeant que l’indépendance serait une bonne chose, par comparaison au 43% versus 52% des républicains). Il est aussi intéressant que, sur la question très concrète de la sécession (voteriez-vous pour la sécession? Approuveriez-vous la sécession?), 18% des sondés répondent par la positive, alors qu’un sondage sur cette question précise au Texas, après l’affaire du gouverneur Perry, a donné le même résultat (18% des personnes interrogées se disant prêtes à voter pour la sécession).

Tout cela appelle quelques remarques, qui tiennent moins à la situation de la Géorgie, USA, qu’à la situation de la notion de sécession aux USA, dans le débat politique autant que par rapport aux psychologies et au tabou politique.

• Si la question de la sécession était un véritable débat politique d’actualité, fortement documenté, fortement polémique, etc., ces diverses réponses seraient plutôt assez rassurantes. Ce n’est pas le cas. La question de la sécession est, selon les normes politiques courantes et le jugement conventionnel qu’on lit sous la plume des experts et politologues assermentés, un véritable tabou aussi détestable que ridicule, une sorte de chose absolument surréaliste, sauf chez quelques zozos lunatiques. (…Dont nous sommes, éventuellement ou accidentally, comme la législation de Géorgie?) De ce point de vue, ce constat que près d’un cinquième des adultes “probables électeurs” se disent prêts à voter pour la sécession dans deux Etats de l’Union, dans la même période, a une signification politique indéniable. Laquelle? Le fait implique un mécontentement populaire qui, à son extrême (mais extrême d'importance), tend à s’exprimer par le désir, ou la menace c’est selon, de sécession.

• Il y a la polarisation des résultats, notamment entre les démocrates (probablement avec une forte majorité d’Africains Américains) et les républicains. Cela tend à confirmer le commentaire que nous avions publié le 20 avril 2009, où un avis était développé selon lequel le débat sur la sécession recouvrait des oppositions politiques ou autres, hors du seul cas de la sécession, notamment qu’un Africain Américain ait été élu président des USA.

• Il y a la question de l’“accidentel”, qui concerne la façon, en partie dans tous les cas, dont a été votée la législation de Géorgie concernée. Mais cet “accidentel” l’est-il tout à fait? Cette sorte d’occurrence est délicate. Après tout, nous dit monsieur Jay Bookman, un certain nombre de législateurs, pressés par d’autres tâches, n’ont pas lu le texte de loi complet et se sont contentés de la description du document comme était conforme aux “principes jeffersoniens” du droit des Etats. Cette description, c’est vite dit mais également pas tout à fait faux; un bon légiste, voire un politologue ou un historien, vous démontrerait aisément qu’effectivement, dans l’état actuel de la République, l’omnipotence et la gabegie du gouvernement fédéral violent en permanence les droits des Etats et rendent tout à fait logique et honorable l’appel à la sécession pour y remédier; Jefferson devient alors une référence vertueuse de la chose, comme il l’est effectivement dans l’histoire avec son attention pour le “localisme” ou la “démocratie locale”, et la sécession vous a une autre allure. Dans un autre sens, moins vertueux sans aucun doute, on mettrait aussi bien dans la rubrique “accidentel” cette faveur de certains pour la sécession, pour ne pas avoir à dire, sous un déguisement de fortune, qu'ils repoussent absolument l’élection d’un Africain Américain à la présidence . Aujourd’hui, l’“accidentel” est aussi un autre mot pour dissimulation, lorsqu’on se trouve devant des tabous du système politically correct.

• Justement et inversement d’un certain point de vue, il y a une grande signification dans le fait que la question de la sécession, qui est un des tabous les plus considérables de la vie politique US, apparaisse aujourd’hui dans les questionnaires des sondages. Cela en dit long sur le bouillonnement intérieur, et évidemment bridé par le conformisme, à cet égard. (Dans le même sens, bien sûr, milite le fait que nombre d’Etats votent actuellement des lois renforçant leurs propres droits, et, “accidentally threatening the state’s ties to the United States”…) Au regard de la psychologie, cette situation est remarquable. La force du tabou politique que constitue l’idée de sécession est telle qu’elle constitue évidemment un interdit, conscient ou inconscient, pour nombre de citoyens qui pourraient, selon un raisonnement plus libéré d’une psychologie contrainte, dans des circonstances ayant évolué, trouver l’idée de la sécession acceptable.

• D’ores et déjà, l’initiative qui a été prise de demander ce sondage avec cette question, après l’affaire texane, montre que la question de la sécession est en train de trouver une place dans le débat politique US. On est encore loin de l’abolissement, si l’on peut dire, de son état de tabou. Mais la chose est en marche, avec une crise générale en cours pour maintenir une pression forte, et s’il s’avère que l’idée de sécession polarise effectivement les colères et les rancunes centrifuges des citoyens on peut admettre qu’elle a de beaux jours dans le débat politique.


Mis en ligne le 2 mai 2009 à 09H31