La globalisation en déroute devant les nécessités politiques

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L’échec des négociations du “Doha Round” de l’OMC, à Genève, poursuit la déroute du processus de globalisation. Au-delà des gémissements convenus des pleureuses devant la dépouille du processus devant accélérer la prospérité du monde, – on mesure de quelle prospérité il s’agit devant le spectacle du monde d’aujourd’hui, d’ores et déjà enfant de la globalisation, – il s’agit surtout d’évaluer une fois de plus la puissance du retour du facteur politique dans les rapports économiques. A Genève, l’échec s’est fixé sur l’affrontement entre les USA d’une part, l’Inde (rejointe par la Chine) d’autre part. Il est inutile de chercher des significations structurelles se référant aux habituels “blocs” puisque, à cette occasion, l’Inde s’est trouvé en opposition avec les pays d’Amérique du Sud qui sont d’habitude à ses côtés. Cette négociation a montré surtout le désordre du monde économique et l’affirmation grandissante des facteurs politiques dans la décision économique.

L’Inde a maintenu une position de protection de son agriculture pour des raisons politiques, – c’est-à-dire pour des raisons politiques de protection d’un groupe économique vital pour son équilibre politique. C’est ce que décrit Carl Mortished le 29 juillet dans le Times:

«In Geneva, Kamal Nath, the Indian Trade Minister, was gritting his teeth, doing his best to justify a wrecking operation that has earned him brickbats from all round. He has brought to an end a seven-year struggle for a global trade agreement that would open borders and reduce subsidies and he knows it. However, he was not looking at his negotiating partners, the Brazilian, American, European and Argentinean ministers. He had his eyes fixed on Delhi, where the Indian Reserve Bank Governor was raising interest rates and signalling an economic slowdown.

»Mr Nath’s problem was the wretched farmers, not the East Anglian sugar barons or the American cotton kings, so often the butt of abuse. There is another group of farmers who wallow in subsidies, wreck government budgets and who demand high tariff walls to keep out imports of cheaper food. These are India’s peasantry and their political power is being felt on a global scale. Mr Nath could not afford to ignore them: India’s rural population numbers 600 million, the last BJP Government was brought down for ignoring them and this Congress Party Government is unlikely to make that mistake. The Indian farmers’ demand for protection against import surges was the main obstacle to the tariff-cutting deal that failed in Geneva.»

Le même argument a conduit la Chine à soutenir la position de l’Inde, puisque la Chine veut, elle aussi, protéger ses agriculteurs. Comme dans le cas de l’Inde, il s’agit bien d’une question politique: tout faire pour éviter que s'installe une situation où la colère de la paysannerie pourrait mettre en péril l’équilibre politique, voire la structure même de cet énorme pays.

«China, too, is ruled by the economics of the farm, not factories of Guangdong. According to Standard Chartered, the cost of food, which absorbs more than a third of income, is beginning to hit spending. Food is crowding out consumer goods, exposing the risk that China’s factories will struggle to find domestic buyers to replace insolvent Americans.

»There are no Brics, the world is coupled; exports represent 40 per cent of Chinese GDP and it is clear that politicians in Beijing and Delhi fear a slowdown that will shut down factories, reduce the safety valve of migration to the cities, transforming the rural migrant into a potential constituent of a mob.

»It is political fear that ended the trade talks in Switzerland, fear of the countryside rampant.»

Aujourd’hui, les batailles de la globalisation qui se terminent en déroute pour la globalisation ne se livrent pas fondamentalement selon des arguments économiques. L’économie est là essentiellement comme un révélateur de la situation politique, et elle est utilisée à partir de là comme un outil pour intervenir dans cette situation politique. Il faut conclure que la globalisation du monde, qui est un courant déstructurant créant une instabilité proclamée comme créatrice (la “destruction créatrice” des hyper libéraux), a surtout pour effet inattendu de susciter indirectement la peur des pouvoirs politiques devant les conditions sociales qui peuvent résulter des nouvelles situations ainsi créées. Il n’est même pas nécessaire d’en arriver au stade de la révolte pour cela, la peur de la révolte suffit.

C’est un autre effet pervers de la globalisation d’ailleurs: l’affaiblissement général des pouvoirs politiques, jugé bénéfique pour l'économie globalisée à cause de la réduction des tendances nationalistes, accroit la fragilité de ces pouvoirs, et, par conséquent, leur vulnérabilité aux tensions sociales avec leurs effets politiques. La faiblesse du pouvoir politique, qui le fait céder à la menace sociale avant que cette menace ne se manifeste, marque paradoxalement la revanche de l’argument politique sur la pression de l’économie globalisée. La peur politique du pouvoir politique affaibli ne cesse de prendre le dessus. («It is small wonder that India and China are championing the cause of peasants, because governments in both countries fear the wrath of rural communities suffering from rising fuel and food prices and the cost of credit.»)


Mis en ligne le 30 juillet 2008 à 11H07