La globalisation face à son auto-destruction : de la globalisation à la localisation

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La hausse générale et très forte du prix du pétrole a une conséquence immédiate de plus en plus pesante : l’augmentation à mesure du prix des transports. L’effet est comptable et concret, et immédiat: un coup de frein radical à la globalisation, pour ce cas moins dans son esprit (déjà fortement mis en question depuis plusieurs années) que dans sa réalité économique quotidienne. «With brutal efficiency, the oil price is beginning to duff up a monster of the 20th century: globalisation», écrit Carl Mortished dans son World Business Briefing d’aujourd’hui dans le Times. Mortished rassemble quelques données très concrètes pour mettre en évidence les facteurs qui mènent et doivent mener de plus en plus à un déclin accéléré des échanges commerciaux sur les grandes distances, pour un replis sur les petites distances. Un retrait précipité de la globalisation vers la localisation, mesurable tous les jours. «The extraordinary rise in the price of crude oil is wrecking outsourced business models everywhere and distance from your customer is no longer merely a matter of dull logistics. Whether you are selling coiled steel or cut flowers, the cost of transport is a problem.»

Mortished poursuit : «America's steel industry is enjoying an unexpected revival, its competitive edge sharpened by the tariff wall erected by the cost of shipping heavy, low added-value products across the Pacific. We hear fewer complaints from Americans about Asian steel-dumping; instead, it is Asian exporters who are feeling the pinch and the pressure is from inputs as well as shipping to customers.

»China needs to import iron ore and coking coal, but the cost of shipping a tonne of ore from Brazil to China now exceeds $100, a cost that is equal to the value of the mineral itself. The oil overhead for passage from the Atlantic to the Pacific is proving to be a powerful bargaining chip in negotiations between some Australian iron ore mining companies and their Chinese steel mill customers. Antipodean miners are holding out for a higher price, arguing that some of the benefit of lower carriage costs belongs to producers. Proximity is suddenly more profitable and local solutions begin to look less like the expensive option. It would be rash to predict a revival of the Yorkshire textile mill and the demise of the Guangdong sweatshop, but you have to ask whether it makes sense to ship stuff from China when the price of a sea voyage from Shanghai represents half of the value of the product.

»The economics of long-distance supply chains are being rewritten; if it is small and expensive - drugs and sophisticated electronics, for example - fuel costs have little impact, but bulky goods are under the cosh. Furniture, footwear, basic machinery, building materials - this is the stuff that China exports in vast quantities to America and it was very cheap, until now.

»Economists at CIBC World Markets reckon that globalisation might go into reverse if the escalation in fuel costs continues. The freight cost of importing goods into America represented an effective tariff of 3 per cent when the oil price was $20 per barrel in 2000; it is now more than 9 per cent and will rise to 11 per cent if oil hits $150, CIBC says.»

Dans un temps où les événements accélèrent d’une façon absolument incontrôlable, à une rapidité confondante, on voit sous nos yeux se déployer, d’une façon spectaculaire, un événement très caractéristique de notre temps historique, – qu’on peut d’ailleurs retrouver dans d’autres domaines. Les divers petits événements radicaux dont on s’aperçoit plus tard, dans l’histoire classique, que leur addition a fini par former un courant majeur de l’Histoire, ont au contraire aujourd'hui un effet très rapide, formant sous nos yeux cet événement majeur de l’Histoire. La rapidité de l’information et de son intégration dans les décision est devenue telle que, sous nos yeux encore, les événements parcellaires dont on prenait tant de temps en général pour mesurer la conséquence, semblent directement se rassembler et former sous nos yeux ce puissant courant économique mettant en cause un fondement essentiel de notre système. Le rapport de cause à effet entre ce qui semble un ensemble d’accidents épars et le résultat dans une puissante tendance historique est direct, immédiat. Cette rapidité, la visibilité immédiate du lien de cause à effet forment un phénomène qui transforme les conditions historiques.

Les événements quotidiens (politiques, économiques) ne forment plus l’essentiel de la politique quotidienne. Ils offrent aussitôt une interprétation historique majeure, qui devient aussitôt ce qui semble un événement historique majeur. (Le point essentiel est dans la sélection qualitative de la perception. Si le phénomène est réel pour certains cas, il s’avère illusoire pour d’autres. Le phénomène de l’“histoire immédiate” se transcrivant aussitôt en Histoire fondamentale peut aussi réserver des tromperies, se transformer en illusion à partir d’erreurs d’analyse et de fausse intuition. Il s'agit d'une autre caractéristique de notre temps historique, tenant à la relativité et à la manipulation, consciente ou pas, de l'information, et à la relativité de la perception par conséquent. L’essentiel est de distinguer le réel de la fausse substance. Pour le reste, le phénomène existe effectivement puisqu’il existe dans certains cas.)

Dans le cas signalé par Mortished, la chose est fondamentale si le phénomène se confirme dans un grand courant intégré. Cette tendance historique du retour vers la localisation contre la globalisation rencontre en effet un des grands thèmes des opposants à l ‘économie actuelle, dont nombre d’altermondialistes. Le grand événement historique potentiel pourrait alors passer du stade d’un changement radical de conjoncture à un stade d’une mise en question substantielle.

Comme dans la plupart des cas essentiels, la mise en question de la globalisation est également, dans ce cas, la conséquence de la globalisation elle-même. Trois causes s’ajoutent pour expliquer la hausse du prix du pétrole qui est la cause du phénomène observé, qui sont toutes trois dues à l’activité de la globalisation: la réduction, ou la perception de la réduction des réserves pétrolières qui est la conséquence d’une exploitation effrénée, accélérée par la globalisation; l’augmentation de la consommation, due essentiellement à l’explosion de très grosses puissantes émergentes (Chine, Inde, etc.), qui est un phénomène directement issu de la globalisation; l’intervention de la spéculation, autre phénomène accéléré par la globalisation, dans la hausse du prix du pétrole. Le caractère auto-destructeur de la globalisation, accélérant la dynamique exponentielle de cette même globalisation, est une fois de plus mis en évidence.


Mis en ligne le 11 juin 2008 à 07H38