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30202 mars 2012 – On a pu lire le 14 janvier 2012 l’annonce de la “reprise” de la publication “en feuilleton” de La grâce de l’Histoire. On a pu constater notre retard, même par rapport à nos promesses les plus proches et les plus fermes (« D’ici la fin du mois, le 31 janvier, nous passerons à l’acte avec le premier texte de ce Second Livre»). Cela n’a rien pour nous surprendre, nous-mêmes, à dedefensa.org, – et moi-même, le premier fautif, encore moins. Dans cette période de grande urgence des évènements quotidiens, qui nécessite une attention constante pour eux et dévore le temps et mon temps, les retards pour ce projet se sont accumulés ; et pendant ce temps, comme s’il en disposait, du temps, le projet lui-même prenait de l’ampleur et ses aises…
Le texte du 14 janvier 2012 tentait d’expliquer les difficultés du développement et de l’accouchement de cette “Dernière (Sixième) Partie” devenue “Deuxième Livre” de l’ouvrage… Je le répète, la naissance de la chose m’a surpris.
«L’enfant est devenu un monstre, disais-je… C’est-à-dire qu’il est né adulte, considérable, immensément ambitieux, sorte de Pantagruel à qui l’on n’a plus rien à apprendre dès qu’il paraît mais qui, au contraire, prétend vous prendre la main et vous emporter sur des chemins connus de lui seul, là où vous n’auriez jamais imaginé aller…»
Je crois que, prévenu de cette terrible et peut-être sublime surprise qui a pris une année à maturer, j’ai voulu, hors de toute volonté et de la moindre conscience de la chose, prendre le plus de précautions possibles pour que ne se reproduise plus le hiatus d’une année entre fin 2010 et début 2012. J’ai voulu m’assurer de la préparation d’au moins trois livraisons de ce Deuxième Livre prêtes à être servies, avec la quatrième en cours de relecture. Voilà pour l’explication rationnelle et peut-être devrais-je en rester là… Mais non, on comprend bien qu’il faut aller au-delà.
On voit bien que cette “explication rationnelle” comprend des références à des domaines échappant à la raison, ce qui l’enferme elle-même dans une contradiction qui trace ses limites. Je me demande moi-même, – et “se poser la question…”, n’est-ce pas…, – si dans ce “hors de toute volonté et de la moindre conscience de la chose” il n’y a pas aussi une dimension d’anxiété et d’interrogation de l’auteur sur lui-même, sur ce qu’on nomme “son œuvre”. Dans ce cas, il s’agirait d’un curieux mélange ou d’un mélange bien contradictoire ; anxiété de ne pas arriver au terme malgré tout, anxiété devant ce que serait ce terme ; anxiété devant la possibilité que le “monstre” ne s’avère être trop monstrueux, ou bien ne s’avère être qu’un avorton, ou bien qu’il me dépasse… Il y a de tout dans cette anxiété, à l’image de mon sentiment devant cette époque que nous vivons, devant les pensées qu’elle suscite, devant les craintes terribles qu’elle fait naître. Bref, cela s’appelle une crise, et cela vaut pour l’être seul comme pour le monde ; espérons qu’elle soit “haute”, cette crise. Quoi qu’il en soit, il faut s’y mettre parce que “l’adulte devenu monstre”, – autre constat qui rend la seule observation rationnelle un peu courte, – le réclame désormais à hauts cris, et parce qu’à cela on ne résiste pas.
… Quoi qu’il en soit, il faut s’y mettre, avec un gros mois de retard par rapport à la promesse qui venait déjà, elle-même, après tant de retard. Parfois, c’est vrai, l’on se sent comme écrasé par l’Histoire, dont la grâce finit par prendre des allures d’un présent plein d’embûches et de traquenard. (“Présent”, c’est-à-dire autant un “cadeau” qu’un temps situé entre passé et avenir.) Que le lecteur me fasse la grâce de me pardonner.
Il faut s’y mettre…
Comment résumer ce “Deuxième Livre” tel qu’il s’est imposé de lui-même ? Disons que le “Premier Livre” représente le parcours du phénomène qui est le sujet métahistorique éclatant de La grâce : le phénomène du “déchaînement de la Matière” (1776-1825), puis son développement et son adaptation jusqu’à notre époque, son adaptation et sa formation en Système, avec la description des composants de la période (deux Parties sur l’histoire revue de la période ou comment le Système s’est formé et s’est imposé, puis la description des deux composants historiquement transversaux du Système, les systèmes de la communication et du technologisme). Le “Premier Livre” représente le “premier cercle” de notre enfer.
Dans ce cas, c’est-à-dire selon cette méthodologie de rangement, le Deuxième Livre serait “le deuxième cercle” de notre enfer, à la fois plus ample historiquement, plus large, s’enroulant autour de la situation engendrée pour mieux l’expliciter et aller au plus profond de sa signification ; à la fois plus large et plus profond... Les deux Livres, – Premier Livre et Deuxième Livre, – pourraient être renommés Premier Cercle et Deuxième Cercle. (Pourquoi ne le seraient-ils pas ? La règle de notre jeu est que le livre mis en ligne selon le rythme et la forme du feuilleton peut et doit être relu, revu, corrigé, modifié avant de devenir vraiment livre. Sur ce point de la dénomination en “Premier Cercle” et “Deuxième Cercle”, on verra…)
Ainsi est-on amené successivement à aller chercher l’origine du phénomène, que ce soit le “déchaînement de la Matière” ou/et la modernité, dans l’histoire qui précéda, avec la préparation, la maturation du phénomène ; cela, de la Renaissance au Siècle des Lumières jusqu’aux approches de la Révolution. Puis, il s’agit d’explorer le résultat total, intégré, du phénomène, du point de vue de la Matière et de la modernité, ou comment furent tentées l’installation et l’exploitation de ce que je nomme dans ce cas “la deuxième civilisation occidentale” ; ensuite, “le résultat total, intégré, du phénomène”, cette fois considéré du point de vue de la résistance contre lui, et cette fois le phénomène identifié pour ce qu’il est, comme la “contre-civilisation” précisément. (Déjà, dans ce second énoncé de ce qu’il est en vérité, la “contre-civilisation”, il y a la substance de la résistance contre lui.) Puis, je me saisis d’un point fondamental, le langage, pour en étudier sa métaphysique, sa contribution à “la deuxième civilisation occidentale” et, à l’inverse, à la résistance contre cette “contre-civilisation” ; le langage, cet outil métaphysique qui est au commencement et à la fin de tout, qui a sa place dans les perceptions les plus hautes et qui est nimbé de l'intuition haute quand il parvient à son essence même... Enfin, une dernière Partie consacrée à la seule chose qui importe dans notre temps de Chute et de crise haute, qui est le Mal, et l’observation métaphysique qu’on en peut faire. La partie la plus complexe, certes, la plus délicate, encore en cours de construction et d’élaboration dans sa structure, et la Partie sur laquelle mon jugement a le plus évolué… Voilà le survol du “monstre”.
...Et voici, pour finir et selon un rangement plus ordonné, ci-dessous, le schéma rapidement tracé de ces différentes parties qu’on trouve dans ce Deuxième Livre, avec éventuellement des extraits pour en suggérer l’esprit… Ce Deuxième Livre, ou “Deuxième Cercle”, portant comme titre « Contre-Civilisation et résistance».
La Première Partie de ce Deuxième Livre et Première Partie de « Contre-Civilisation et résistance» : «Méthodologie et état de l’esprit». Il s’agit d’une partie de présentation de ce Deuxième Livre, avec reprise et résumé de la thèse principale, dans l’intention de l’orienter et de la présenter vers les nouvelles voies qui seront suivies. On trouve aujourd’hui 2 mars 2012 cette Partie mise en ligne. L’accès de la version en ligne est libre, à l’image de l’accès à l’introduction de l’ouvrage, qui est incluse dans le Premier Livre. La version en pdf est d’accès réservé aux souscripteurs de l’ouvrage.
La Deuxième Partie du Deuxième Livre porte le titre de «Mise en perspective du désastre : la Renaissance». Effectivement, il s’agit de remonter jusqu’à la Renaissance pour rechercher les racines du mal, c’est-à-dire de la modernité. Comme l’indique l’extrait ci-dessous, il s’agit de la recherche de notre “Barbare fondamental”, celui qui porte tous les ingrédients de notre “contre-civilisation” jusqu’à notre crise terminale, qui en est l’instigateur et l’inspirateur, qui est sans doute le relais humain de l’inspiration générale de l’entreprise qui, elle, dépasse notablement les seules affaires humaines.
«…Nous parlons donc de la Renaissance comme matrice de cette nouvelle civilisation, la Renaissance avec sa dynamique libératrice, la puissance de ses idées lumineuses. Le constat n’en reste pas moins qu’il y a foule dans cette “base arrière” et que l’on y fait des rencontres ; je devine, sans trop m’attarder aux charmes incertains du doute, qu’on y croise évidemment, sinon principalement, notre propre Barbare… Lorsqu’une civilisation s’effondre, il faut des barbares pour donner l’impulsion décisive à l’événement, et pour danser la Carmagnole autour du brasier grondant. Je cherche les barbares qui firent s’effondrer la civilisation qui précéda la “deuxième civilisation occidentale”, la nôtre, les barbares qui dansent autour de nos restes, autour de cette puanteur sans équivalent en prétendant qu’elle sent la rose. Il ne nous surprendrait pas que nous ayons quelques surprises ; aussitôt dit, aussitôt fait ; la plus intéressante s’avère sans aucun doute la surprise, ou plutôt demi surprise, de trouver, à la place “des barbares” habituels des civilisations effondrées, “notre Barbare”, le Barbare fondamental.»
Troisième Partie du Deuxième Livre, ou «Fatigue psychologique et “persiflage” des Lumières». C’est surtout autour d’un mot que s’organise cette Partie, – le “persiflage”, dont nous avons déjà beaucoup parlé. Le “persiflage”, c’est-à-dire l’action du courant déstructurant et dissolvant que nous suivons dans son attaque contre la psychologie collective, au cœur de la psychologie collective, qui prépare la Révolution française et le “déchaînement de la Matière”… Extrait :
«Tout cela n’est pas rappelé, à ce point du récit, par anticipation d’ailleurs, d’une façon gratuite, pour le seul ornement. J’entends par là signaler que l’épuisement de la psychologie qu’on envisage pour le XVIIIème siècle, qui vient de loin, va tout aussi loin, ne s’arrête pas, ne fait que s’amplifier, s’aggraver, peser de tout son poids. Entretemps, il y eut cette terrible explosion de la fin du XVIIIème siècle, ce soudain basculement dans la “seconde civilisation occidentale”, et alors je mesure combien cet épuisement de la psychologie, qui prépare cette rupture, qui l’accompagne, qui en subit les contrecoups et s’en aggrave encore, combien cet épuisement est aussi la marque de la malédiction qui pèse sur nous et la reddition de la psychologie. Dans ce cadre de cette vision qui s’élargit, et alors que je reviens à ce mot de “persiflage” par quoi j’ai commencé ce passage, qui exerce sur moi, par son destin, par ses mystères, par la sonorité même du mot qui ressemble effectivement à un sifflement, une fascination que je ne peux dissimuler comme lorsqu’on rencontre à l’intersection de choses très différentes une vérité soudain aveuglante mais éclairante du destin du monde que vous entrevoyiez, – en vérité, j’en viens à considérer “persiflage” comme le mot qui désigne, presque avec les deux “f” qu’il mériterait alors (“persifflage” ?), le sifflement d’une sorte de serpent gigantesque qui recouvre le siècle, s’enroule autour de lui, le malaxe et le transforme à son image, – et lui inocule le poison mortel qui va aboutir à l’explosion de la fin du siècle, inaugurant la “deuxième civilisation” très vite définie plus précisément comme la “contre-civilisation”. “Le serpent qui persiflait”, qui étend son ombre sur le siècle des salons et des philosophes, et nous prépare à la “guillotine permanente”.»
La Quatrième Partie du Deuxième Livre, intitulée «La Deuxième civilisation occidentale», décrit les tentatives de cette nouvelle “civilisation”, de ce simulacre de civilisation, d’établir un fondement métaphysique établissant lui-même sa légitimité au regard de la métahistoire. Ce serait aussi bien la recherche d’une “métaphysique de la Matière” que la recherche de l’établissement de la métaphysique par l’Idéologie, et par l’idéologie essentiellement née de la communication.
«L’idée déjà esquissée, que je voudrais poursuivre et développer, devient plus tranchée, et, nécessairement, plus radicale. Dès l’origine du bouleversement qu’elle impose à l’Histoire en imposant ce qui a été nommé “rupture du monde”, c’est-à-dire l’envol de la “deuxième civilisation occidentale” ou “contre-civilisation”, la Matière découvre aussitôt, en réalisant qu’il lui faut des Idées pour donner un habillage décent à tout cela, qu’il lui faut en réalité, et même en vérité, une métaphysique, pour tenter de faire de cet habillage plus qu’une obligation de circonstance et de mode, mais une parure, une majesté, une élévation par l’apparence jusqu’aux nuées les plus incontestables d’une spiritualité nouvelle. C’est cela, il faut une métaphysique à ce mouvement inouï de la Matière déchaînée, pour que plus personne n’ose s’aventurer à faire l’hypothèse qu’il y a là-dedans autre chose que la hauteur la plus sublime de la pensée… Bon prince, nous laissons ouvert le débat pour savoir s’il ne s’agirait pas, dans cette “hauteur la plus sublime de la pensée” dont se réclame la Matière déchaînée, de Dieu tout simplement, – c’est-à-dire de la place de Dieu, toujours bonne à prendre ; et nous serions conduits à remarquer, non sans quelque humeur badine proche de l’ironie, que matière ou pas matière, “idéal de puissance” ou pas, persistent, impossibles à repousser, le besoin de l’élan de la transcendance et le goût de l’élévation de la métaphysique, – qui vous pousseraient jusqu’à la contrefaçon, – qui pousserait un diable jusqu’à la sanctification… […]
» On trouve, dans notre quête, le constat permanent du besoin et de la volonté du système de la Matière déchaînée de monter une métaphysique, comme l’on monte une pièce ou un tréteau, qui suggère une référence incontestable de sa légitimité. Bien entendu, cette recherche sera constamment couronnée d’un succès de communication éclatant et temporaire au sein des armées du système, et ce succès constamment démontré aussitôt comme faussaire, trompeur, comme celui d’une métaphysique de carton-pâte, subvertie et simulée, de simple et grossière apparence sans nulle substance qui puisse faire croire au vrai, sans parler d’une essence qui est d’un domaine entièrement saccagé par le triomphe de la Matière.
Jamais autant que dans ces temps troublés que sont les nôtres, et pour les meilleures raisons du monde, ne se manifeste cette course effrénée du système de la Matière déchaînée pour lier son immanence proclamée à une transcendance fabriquée, à cette métaphysique qui lui donnerait du légitime ; “jamais autant”, certes, que dans ces temps troublés, parce que jamais depuis son apparition comme notre référence irrésistible, la légitimité du Système ne s’est trouvée aussi fortement contestée ; “jamais autant” que dans nos temps troublés ne se manifeste ce besoin de transcendance du Système, parce que jamais sa surpuissance n’a été si grande au travers de la Matière déchaînée et son impuissance si évidente par l’impossibilité d’atteindre par nature et sans rien fabriquer à cet égard, à cette métaphysique qui s’impose aux esprits comme une sauvegarde. Ainsi en est-il, en désespoir de cause, du simulacre de métaphysiques diverses.
»La “métaphysique-simulacre”, née de la Matière déchaînée à la recherche d’une légitimité qui assurerait son empire sur l’univers, s’est emparée de thèmes inattendus, transposant dans l’éther de l’univers en dehors des contingences terrestres des événements effectivement terrestres. Nul autre moyen n’était possible puisque le Système, dans sa sagesse à la fois forcée et forcenée, avait posé comme décret que l’explication du monde lui revenait exclusivement, ainsi que le terreau des origines ramené à sa propre apparition et, pour notre avenir, le plan ordonné d’un dessein transformé en destin du monde. Le travail de conceptualisation de notre “contre-civilisation”, pour faire naître des croyances de ce temps qui s’accordassent effectivement aux événements de ce temps et aux inclinations du système de la Matière déchaînée mais qui, en même temps, réglassent enfin le sort de tous les temps, a été considérable. Nous vivons par conséquent dans des temps étranges, caractérisés par une sorte de métaphysique matérialiste, ou bien, selon la suggestion de certains esprits qui ne dédaignent pas d’habiller les sciences d’une parure mystique, dans des temps caractérisés par une “métaphysique quantique”.»
La Cinquième Partie du Deuxième Livre est intitulé «Rompre la contre-civilisation», et elle pourrait s’intituler “Résistance”. Certes, il s’agit de résister à cette “deuxième civilisation” qui se découvre, à l’instant même où vous l’embrassez dans toute sa globalité maléfique, comme la “contre-civilisation”. Cette fois, effectivement, l’expression (“contre-civilisation”) est choisie et elle est définitivement légitimée, à la place de “deuxième civilisation occidentale“ qui laisserait croire qu’il y a quelque chose d’une “civilisation”, tout de même, dans cette période ; dans l’esprit de la chose, c’est exactement le contraire…
«Si nous prétendons dominer le paysage ainsi décrit ou, du moins, en rassembler une vue d’ensemble, se pourrait-il que l’expression dont nous l’avons baptisé se révélât erronée et peut-être trompeuse, jusqu’à dire que ce ne fut rien d’autre qu’une mesure temporaire que de l’en affubler ? Je n’hésite pas une seconde pour envisager de répondre positivement, en observant que notre “deuxième civilisation occidentale”, si la chose va encore pour la chronologie, gagnerait considérablement à être baptisée “contre-civilisation”, dans le but d’écarter l’idée que la nouvelle époque puisse avoir quelque communauté que ce soit avec le projet d’une civilisation… […]
»Les “gardiens du dogme”, ceux qui assurent la promotion du Système et de la raison qui accompagne son développement, sont totalement convaincus de la justesse du modèle et de la raison qui y préside. Avec eux, aucun compromis n’est possible et, s’ils sont incontestablement des êtres humains, on peut considérer qu’ils représentent également l’esquisse du cas où la psychologie humaine envisage de se conformer à une influence mécanique comme si elle avait rencontré la situation d’influence supérieure qui ouvre la voie décisive à l’avenir, – au “Progrès” justement, de l’espèce humaine en tant qu’instigatrice de la civilisation. Ces créatures constituent des cas intéressants, où l’investissement du mal par les faiblesses de la psychologie rend ces faiblesses, pour l’instant considéré effectivement pour le temps très court d’un instant, encore plus condamnables que le mal lui-même ; mais il ne s’agit que d’un instant, et l’on n’ignore pas où se trouve la véritable “source de tous les maux”. Face à cette évolution catastrophique qui n’exige aucune explication particulière pour la prendre comme tel, ne serait-ce qu’en ressentant sa pression nihiliste et prédatrice, la résistance implique l’affrontement. Cela sera fait, sans pourtant d’animosité particulière contre ces pauvres psychologies finalement plus faibles que mauvaises, ou mauvaises un instant, par manipulation contre elles de “la source de tous les maux”, donc ces psychologies là aussi plus faibles que mauvaises...
»La question de cet affrontement est essentielle et inévitable, puisque nous avons face à nous, sur les ruines de la catastrophe en train de se poursuivre comme un torrent puissant qui menace de tout emporter, la raison humaine trônant selon sa position spécieuse et totalitaire, le diktat selon lequel rien d’autre n’est possible pour l’avenir de la civilisation que ce système en cours d’effondrement, qui conduit et entraîne la civilisation à son effondrement. Contre une telle déraison qui confine à la pathologie de la folie pure, tout argument se perd dans la dérision de l’indifférence arrogante qui est la marque principale du comportement de notre ennemi. Pour affronter cette raison pervertie, il faut refuser absolument cette forme de raisonnement et réfuter décisivement sa toute puissance. L’outil nécessaire pour ce refus et cette réfutation se trouve dans une pensée hors des sentiers battus, hors des “normes” de l’ennemi et de ses auxiliaires, il faut nier absolument sa prétention d’être notre avenir. Il faut refuser de penser selon le diktat de la raison humaine emportée dans sa perversion, qui est en train de fracasser notre civilisation, comme l’on se garde le temps qu’il faut de humer un gaz asphyxiant…»
La Sixième Partie du Deuxième Livre concerne «Subversion, résistance et métaphysique du langage»… Cela concerne un aspect essentiel pour nous, pour moi, – le langage, la langue, la puissance du mot, sa substance même, l’essence qu’il dégage et impose, sa transcendance enfin ; son influence sur la psychologie, sa capacité à exprimer bien plus qu’il ne semble dire, la signification ontologique même du discours lorsqu’il est dit dans tel ou tel style… En exergue de son livre Barbarie intérieure, Jean-François Mattéi cite cette phrase de Nietzsche : «
«[C]e passage a été déplacé à plusieurs reprises dans la structure du récit (cela rendu possible par son caractère très spécifique, presque autonome) ; pour, finalement, figurer comme une charnière entre ce qui précède et ce qui fait la conclusion, voulue et espérée comme essentielle, du propos ; et il en est venu, ce passage, à sa composition décisive, justement comme une partie autonome, vers la fin de la composition générale de l’ouvrage ; et voilà qu’il porte sur la forme, sur la description de la forme de l’écriture, sur ce qu’on nomme “le style”, alors que le reste, – avant, après, etc., – porte certes sur le fond de la réflexion. En ce sens et par la grâce de ces divers attributs et caractères, ce passage, là où il se trouve, avec ce qu’il contient, répond à une nécessité, bien qu’il porte sur la forme. Nous y sommes… […]
»Il y a donc une déconstruction du langage, nullement dans sa signification mais dans l’orientation structurelle de cette signification et, partant, affectant la force même des mots dans l’orientation qu’ils suggèrent. Le langage devient plus mou, plus vague, du fait de l’espace créé par les manœuvres permanentes, faussaires, trompeuses et dissimulatrice de ceux qui le manient pour leur entreprise qui consiste essentiellement à entraver la bonne marche des règles structurantes, des hiérarchies légitimes, des évidences souveraines originelles. L’action produite directement sous forme d’un effet inconscient est complètement psychologique et nullement intellectuelle, et l’effet devient, plutôt qu’une tentative de tromper la pensée qui pourrait être identifiée et déjouée, une anesthésie de la pensée qui s’insinue sans crier gare ni coup férir. Nous découvrons qu’en attaquant l’ordre et le rangement du style par rapport à l’objet dont il parle, la déconstruction du langage met en cause des fondements (langue, philosophie, civilisation). L’œuvre écrite cesse d’être à orientation collective, comme la chronique, le testament, le témoignage d’une civilisation, comme son tribut rendu à la Tradition originelle, pour s’engager dans l’individualisme de la modernité, impliquant la célébration de l’individu, la satisfaction de l’un, la cajolerie d’un ego et ainsi de suite. A partir de là, on commence à penser de l’acte d’écrire, et de la forme que choisit l’écrivain, selon la formule fameuse qui semble si délicieusement définitive, si judicieusement artistique, si célébratrice de la grandeur de l’homme-écrivain, – “le style, c’est l’homme” ; alors que le style, c’est le sujet que décrit la chose écrite, selon l’abord qu’en choisit l’esprit de celui qui se charge de la besogne, – et “celui qui se charge de la besogne”, humble messager, rien de plus. Désormais, l’auteur prend le pas sur l’œuvre et, par conséquence inéluctable, l’œuvre n’est plus ce dont elle parle mais plutôt celui qui l’a faite. L’écriture ne décrit plus le monde, la civilisation et ses liens avec l’origine, mais l’aventure personnelle de celui qui écrit. Cette évolution, on le sait, ou bien l’on devrait s’en aviser, nous conduit fort loin, jusqu’à nos jours, sur la voie de la déconstruction ; le langage accompagne, oriente, “structure” paradoxalement, dans son évolution, l’œuvre de déstructuration.
»L’important est évidemment de comprendre, et d’admettre aussitôt dans le jugement qu’on s’en forme, que le langage a échappé, dès l’époque décrite, et notamment selon la “philosophie” du persiflage, à la mission structurante qu’on lui avait assignée. La déstructuration dont l’on parle est ce qui consiste à détourner le langage de la recherche, pour le bénéfice de tous, d’une meilleure perception et d’une meilleure compréhension du monde et de tout ce qui le compose, selon les hiérarchies naturelles des choses, selon les vertus évidentes de la Tradition, au profit de la recherche d’un bénéfice personnel de son emploi. Il s’agit du passage du style d’un caractère collectif, solidaire, à un style d’un caractère individuel, qui ouvre la compétition stylistique bien propre à illustrer l’ère postmoderniste, la compétition du “style c’est l’homme”. Le langage n’est plus là pour assurer la structuration parce qu’il a basculé dans l’irrésistible penchant de l’individualisme, de l’expression du “moi intériorisé”… “Le style c’est l’homme” ? Même plus, – “Le style, c’est l’intérieur de l’homme”, ce sont les tripes, ses connaissances internes passées par le tamis de ses déjections diverses tenues pour les connaissances de ses aventures personnelles, et ces connaissances regroupées dans un savoir de plus en plus concentrées dans une sphère “personnelle” constituée à partir des conformismes paradoxalement collectifs ; en effet, puisque les aventures individuelles, dans ce cadre de l’individualisme, conduisent au nihilisme entropique, tout cela retrouve un caractère collectif puisque tout le monde est le double de tout le monde, et vice-versa…»
En théorie, selon les prévisions courantes dont on sait qu’elles sont si souvent faites pour être démenties le jour suivant, cette Septième Partie du Deuxième Livre, avec le titre de «Repaires et repères, à marche forcée», ou encore, peut-être, “la métaphysique du Mal et rien d’autre”.
«Nous n’avons pas manqué de l’écrire, puis de le rappeler, de le rappeler encore, comme le leitmotiv et le moteur de notre démarche : nous sommes dans une époque déchaînée, née du “déchaînement de la matière”. Pour tenter de la comprendre, de l’embrasser, de la saisir dans tous ses aspects fondamentaux, dans ses composants essentiels, dans ses marques significatives, il importe, soi-même, de se débarrasser de ses propres chaînes. Il s’agit donc de déchaîner son esprit ; il s’agit de nous débarrasser de ces chaînes, pour trouver l’aisance et l’audace nécessaires pour poursuivre notre enquête. Cette prescription est impérative, essentielle à ce point, et c’est pour cela qu’elle est proclamée ici d’une façon si insistante, parce qu’il apparaît comme une évidence que nous atteignons au cœur de notre démarche. Il est admis comme une évidence remarquable que la crise, étant universelle et terminale, et de caractère indubitablement systémique, exerce ses effets dans tous les domaines, sans exception possible ; elle doit aussi les exercer, comme autant de ravages épouvantables, dans nos psychologies, puis nos esprits ; il importe absolument de les en déloger, de sortir la crise de dedans nos esprits, pour écarter ses trompeuses affirmations.
»“C’est l’évidence”, observe la raison à propos de cette intention affichée de notre propre déchaînement ; elle pose cette affirmation avec le ton d’une sorte de scepticisme moqueur, voire gouailleur ; dans ce cas, la raison telle qu’elle est dans son état présent, nous réserve sa causticité, son assurance d’outil superbe transformé en idole, elle sourit déjà de nos efforts qu’elle annonce vains, par avance, et c’est comme si elle riait en vérité. La raison faussaire, car c’est elle en vérité, elle qui s’est compromise depuis des siècles avec ce courant subversif et corrupteur qu’on a décrit, – la raison faussaire oppose à notre résolution son assurance, cette certitude d’elle-même, parce qu’elle juge péremptoirement ce déchaînement de l’esprit acquis et exécutée ; puisque, affirme-t-elle, “je suis déchaînement de l’esprit, clef de l’audace de la pensée, maîtresse de la libération du jugement, inspiratrice suprême de l’accomplissement de tout ce qu’il y a de grand en l’humain”. Ainsi nous dit-elle et nous décrit-elle pour qui sait y voir, la raison faussaire, le fondement terminal et consolidé de la tromperie générale dont nous avons vu toutes les étapes historiques ; son intervention nous décrit l’institutionnalisation du déchaînement de la pensée et nullement le déchaînement lui-même, et l’institutionnalisation précédant le fait lui-même, le réduisant avant qu’il ne s’accomplisse, et ainsi installant de nouvelles chaînes qui sont l’affirmation faussaire du déchaînement.
Ainsi comprenons-nous, en laissant la raison à ses communiqués de maîtrise du monde, que notre volonté de déchaînement, pour être ce qu’elle doit être, doit concerner notre raison elle-même, comme elle concerne notre esprit, et notre raison avant tout. Nous devons d’abord décrire et dénoncer la tromperie sur laquelle elle a bâti son empire subversif sur notre perception et notre interprétation du monde, et sur l’interdiction qu’elle a édictée de nous abreuver à l’inspiration de l’intuition haute. Voici la réponse nécessaire à la raison : “Ne comprends-tu pas, traîtresse, que nous te regardons, aujourd’hui, comme une traîtresse en vérité, passée avec armes et bagages à l’ennemi, et que tu dois être traitée en conséquence ?” Avant d’affirmer sa position dans notre jugement du monde, la raison faussaire doit reconnaître la subversion où elle est tombée, en juger pour ce qu’est cette subversion, en embrasser toute la force maléfique, s’en faire quitte et se restaurer dans toute son humilité nécessaire, et n’être plus faussaire par conséquent. Avant de prétendre à nouveau être ce qu’elle est, la raison doit se retrouver elle-même, elle doit se purger de son haut mal, elle doit détruire la corruption à laquelle elle a cédé.»