La Grande Braderie

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La Grande Braderie

A l’occasion de la cession des îles égyptiennes Tiran et Sanafir en Mer Rouge  par le gouvernement Sisi aux Séoud, eurent lieu le 25 avril dernier des manifestations de grande envergure. Pour la première fois depuis deux ans et demi, les Egyptiens ont bravé la terreur mise en place par les militaires au pouvoir et protesté en nombre contre une amputation de leur territoire national.

La répression fut à mesure de l’indignation populaire, les arrestations furent massives en ce jour qui est celui de la commémoration de la libération du Sinaï des forces sionistes.

Depuis, deux cours de justice ont condamné 152 manifestants à de la prison ferme, entre deux à trois ans de détention. 23 mineurs furent déférés devant une Cour spéciale. La police avait préalablement mené des raids dans des cafés, des boutiques, cueilli des activistes à leur domicile  et procédé à des arrestations préventives totalement arbitraires. L’effectivité du nouveau tracé des eaux territoriales qui a permis cette amputation en faveur de la pétromonarchie a été retardée sous une telle pression populaire.

Nul écho de cette répression dans le flot d’informations déversées dans des cerveaux disposés à en être irrigués. Pas d’espace pour insérer cette séquence dans le feuilleton scénarisé autour d’un Benzema remisé au vestiaire et le tutoiement  d’un Sinistre en costard interpelant un sans-dent pour une question de liquette.

Pourtant de tous les matériaux qui en sont les ingrédients, aucun ne nous est si étranger, riches de contiguïtés et de d’homogénéité avec les perpétuels assauts portés au quotidien d’un habitant  d’Athènes, d’Istanbul ou de Londres.

Du Bluff en guise d’information fondée

Tout d’abord, il faut souligner que la légende de l’accord de cession du Sinaï conclu entre Obama et Morsi pour qu’y soient transférés tous les Palestiniens et livrer une Palestine vidée de ses habitants à un Israël pur ethniquement n’a été appuyée par aucune source fiable. Cependant, elle avait joué un rôle majeur dans l’opinion, bien au-delà de l’égyptienne pour réaliser la plus grandiose des contre-révolutions colorées réussies, celle du coup d’Etat militaire du Maréchal Sisi. Ce dispositif a parfaitement brouillé les radars, de manière moins coûteuse que le décor construit dans les studios d’Al Jazeera pour montrer une place Azizia à Tripoli sur Doha pleine de manifestants massacrés par Gadhafi.

Encore une fois, la frontière entre fictif et le réel s'est effondrée, avec une prime pour la fiction car elle opère efficacement sur le réel.

La fausse destination du Sinaï a mis fin à un processus démocratique - Morsi a été élu à la régulière - alors que la vraie vente des îles de la Mer Rouge n’a pu produire la moindre vaguelette là  où le ressac droitdelhommiste incessant reconfigure les rives et les débords  humains.

La complicité supposée de Morsi et de sa nébuleuse frériste avec l’occupant sioniste de la Palestine n’est pas fondée. La réouverture de l’ambassade d’Israël au Caire en 2015 venue couronner une coopération sécuritaire avec les Forces d’occupation israéliennes pour le blocus et le contrôle de Gaza exercée depuis le coup d’Etat de Sisi démontre plutôt une continuité avec l’israélophilie de Moubarak. 

La Dette et les prédateurs-créanciers aux commandes

Surtout, Tiran et Sanafir sont les deux livres de chair et de terre données à l’usurier contre le prêt accordé par les Séoud. Tous les mouvements furent gelés par les institutions financières internationales pour couleur politique du Président élu non conforme, islamiste mais pas le bon islamiste à la Nosra, pas un des Nôtres.

La Grèce a déjà vendu son port du Pirée, elle a à son actif  toute une poussière d’îles pour honorer les échéances de l’intérêt de sa dette. Elle devra s’en séparer à moins qu’elle ne brade d’abord l’Acropole car 95% des prêts consentis par l’UE et le FMI n’ont servi qu’à renflouer les créanciers.

L’interruption des flux financiers qui nourrissent la Dette perpétuelle dans la nasse de laquelle  la plupart des pays se débattent a eu raison de la Révolte égyptienne de janvier 2011, comme ce fut le cas pour la Tunisie.

Ces deux pays très dépendants du tourisme, sa part dans le PIB français est supérieure à celles de l’automobile et de l’agro-alimentaire réunies, ne peuvent se soustraire aux circuits mortifères de la mondialisation sans traverser une période de choc catastrophique.

L’impréparation politique et idéologique des prétendants à diriger une transformation sociale démocratique à affronter cette phase cataclysmique qui affectera les citadins en premier lieu est avérée. Le Brésil est en train de vivre sous nos yeux sa fragilité tant qu’il est exposé à la prédation du système financier qui masque sous des subterfuges complexes son incapacité à extraire assez de plus-value.

Démocrature sans fards

C’était il y a peu, en juin 2014, Al Sisi était élu avec un score de plus de 96%, après avoir éliminé toute opposition sans que la basse-cour qui n’a cessé de voleter effrayée par l’épouvantail islamiste ne caquette.

Le Parlement, dont la répartition entre députés affiliés à un parti et les indépendants a été modifiée en faveur des non partisans, soit des ploutocrates ou des militaires, n’a pas été consulté pour les quelques sept cents décrets pris par Al Sisi. Il les a entérinés.

L’exécutif réalise une purge drastique parmi les juges des Cours de première instance et des Cours d’appel. 47 juges ont été remerciés dans une première vague en mars 2016, une deuxième série de 44 vient d’être forcée à un départ prématuré au terme de procédures illégales. (Ce nettoyage méticuleux des instances de l’appareil judiciaire dispensera peut-être  d’établir les cours martiales comme seules compétentes en matière civile.

Les syndicats indépendants ont été interdits. Il aurait fallu tendre l’oreille bien fort pour s’apercevoir de l‘adresse de HRW  au gouvernement égyptien ce premier mai. Elle dénonce cette situation digne d’un régime ‘des colonels’. Les grèves se multiplient malgré cela dans tous les secteurs, le textile bien sûr, toujours en pointe des revendications mais y compris les pilotes d’Egypt Air. Les mouvements sociaux des travailleurs se sont accrus de 25% par rapport à l’année passée, ce qui porte à 6 par jour le nombre d’actions (sit-in ou grève) dans le secteur industriel.

Un rapport récent de la Banque Mondiale tendrait à montrer que la part de la population égyptienne (91 millions depuis le mois dernier) qui vit avec moins de deux dollars par jour est passée dans la première décade du millénaire de 20 à 29%. Le rétrécissement de la classe moyenne, passée de 14.3 à 9.8% durant la même période soutenant la comparaison avec le Yémen qui voit sa classe moyenne chuter de 17 à 8%. Partout ailleurs dans le monde arabe, elle s’est au contraire accrue de 36 à 42%.

Une petite ligne de crédit de 500 millions de dollars vient d’être transférée à l’Egypte, depuis la Séoudie, fraction du prêt de 2.5 milliards de dollars accordé par les Séoud, le Koweit et la BERD signé en avril 2016. Elle est en attente du milliard que lui prête la Banque Mondiale selon l’accord  de Décembre 2015.

Il est vrai que le doublement du canal de Suez, réalisé en un an, avec l’aide du complexe militaro-égyptien, d’un coût de 8 milliards de dollars, a été réalisé à 80% avec des fonds nationaux sous forme de bons de souscription réservés aux nationaux. Mais les volumes échangés des marchandises sur le plan international connaissent une diminution et la crise économique mondialisée persistant, réduisant les espoirs de gains en devises liés au trafic sur la nouvelle voie d’eau.

La dette extérieure égyptienne a grimpé de 35 milliards fin 2010 à 48 fin 2015.

L’équation appauvrissement additionnée de la suppression des droits syndicaux aggravée par l’annulation politique de plus de la moitié de la population favorable aux frères Musulmans décrétés arbitrairement traîtres à la patrie est explosive.

Les attentats contre les forces de l’ordre, armée et police sont régulièrement perpétrés au point que des zones entières du Sinaï soient souvent sous couvre-feu.

La mise hors circuit de Morsi n’a pas enrayé la baisse de fréquentation touristique, liée à cette situation de tension même si elle est savamment tue (et accessoirement aux deux crash  récents des avions civils).

Se payer sur la bête agonisante

Les dizaines de milliers de morts, les disparitions, les emprisonnements ne contiendront pas 91 millions qui ont faim tout court et faim de dignité.

Le prêt de deux milliards d’euros promis par la France ressemble fort à ceux accordés à la Grèce par la BNP et la Deutsche Bank, vente de matériel militaire recyclé et inutile aux pays, avec comme c’est la coutume, commissions et rétro-commissions, s’apparente aux dettes indignes que n’importe quel dirigeant sensé et non corrompu devrait en premier lieu dénoncer.

Badia Benjelloun

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