La “grande politique” de Sarko

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La “grande politique” de Sarko


15 juillet 2008 — Sarko est bien ce qu’il promettait d’être; un personnage sans consistance véritable, sans pensée profonde, qu’on peut juger, si on a l’œil critique, grossier et sans allure, et, en général, toujours insensible à la grandeur de sa fonction; mais, également, un personnage capable de “coups” dont certains peuvent être retentissants. Celui de l’UPM (Union Pour la Méditerranée) et de ses à-côtés, avec la conférence à Paris dimanche, avec la présence du président syrien qui sort la Syrie de l’isolement machiné par Washington, est nettement dans la colonne des réussites. Quelles que soient les suites de cette journée, Sarkozy a d’ores et déjà obtenu une grande réussite diplomatique.

Le quotidien londonien The Independent du 14 juillet, le moins timide des journaux britanniques vis-à-vis du sommet UPM de Paris, détaille le “triomphe” de Sarko. Il l’attribue fort justement à Sarko lui-même et également à “la chance”, – et cela pourrait être effectivement le cas pour l’esprit de la chose; Sarko est un de ces personnages qui fait entrer la chance dans la formule de ses actions, – si elle est là, formidable, sinon on repassera.

(Tout de même, le quotidien de Londres met un peu vite sous la rubrique “chance” quelques éléments concrets qui ne lui doivent pas tout: l’absence des USA du Moyen-Orient, la situation intérieure incertaine en Israël, la volonté syrienne de sortir de l’isolement, etc. On oserait espérer, sans certitude d’être confirmé, que cela fait partie d’un calcul français: profiter de l’effacement de la puissance dominante ou de la volonté du président syrien de sortir de son isolement relève moins de la chance que de l’habileté tactique d’une politique. On verra par la suite, selon que cette habileté se confirme ou pas, s’il s’agit ou non de “chance”, ou, encore, si les Français ont appris à “calculer”.)

«Israel agreed to release prisoners to smooth the way for a new peace settlement with the Palestinian Authority. Syria promised to establish normal relations with Lebanon for the first time in 65 years. Perhaps most startling of all, a Syrian president and an Israeli prime minister sat in the same room, and at the same table, for the first time. However, the Syrian leader, Bashar al-Assad, managed to vanish from the room before the Israeli Prime Minister, Ehud Olmert, gave his setpiece speech.

»It remains to be seen whether the Sarkozy-inspired, 43-nation “Union for the Mediterranean”, launched yesterday, will suffer the same fate as previous botched efforts to establish formal links between Europe, the Middle East and north Africa. The success of the inaugural summit suggests the new “Club Med” – dismissed by some as just another talking shop – might finally allow Europe to become a serious player in the game of Middle East peace.

(…)

»The inaugural summit owed its success partly to President Sarkozy's energy and vision – and partly to luck. Officials pointed out that several favourable factors came together: the diplomatic vacuum created by the change of administration in the US; the Israeli Prime Minister's domestic political crisis, which made him hungry for progress with the Palestinians; and the Syrian President's strategic decision to reduce his country's diplomatic isolation.

»All the same, the summit will go down as a diplomatic and political triumph for President Sarkozy: perhaps the most important single event in his 14 months in the Elysée Palace.»

• On trouvera sur notre Forum de ce jour un avis intéressant sur l’UPM (avec d’autres questions). Il s’agit de l’avis de Jean-Pierre Chevènement, interviewé dans le Journal Du Dimanche. Il s’agit d’un avis intéressant parce que Chevènement, souverainiste de gauche, est à tout le moins peu suspect d’un penchant “idéologique” naturel pour Sarkozy; il l’est d’ailleurs aussi peu pour le style de Sarko, Chevènement étant un républicain soucieux de la forme gaulliste du pouvoir présidentiel, – par conséquent un avis dégagé de tout souci d’opportunisme politique.

• Concernant l’un des événements très importants de ce sommet de l’UPM, qui est la venue du président syrien et son invitation personnelle par Sarkozy, on pourra lire le commentaire de Sami Moubayed, aujourd’hui sur Atimes.com qui examine le contexte du côté syrien et mesure la distance entre la position française et la position US sur cette question importante (notamment, en complet contraste avec la position de Chirac).

Une “grande politique” de circonstance

Cette affaire de l’UPM et son succès incontestable nous invitent à jeter à nouveau un coup d’œil sur Sarkozy. Nous essayons de le faire sans passion excessive du jugement ni excès passionné du langage.

Une observation nous poursuit depuis longtemps, notamment depuis le temps de l’élection de Sarkozy, soulignée par des réactions de lecteurs ici ou là et aussi par le spectacle courant de la politique française. Nous restons et resterons sans doute longtemps avec notre étonnement de constater à quel degré d’intensité un tel personnage a pu et peut encore déclencher tant de passions et d’excès, – contre lui et en sa faveur, d’ailleurs, les deux aussi incompréhensibles. Que l’on déplore ou condamne la façon dont il exerce son pouvoir, l’absence éventuelle de tenue, etc., ou qu’on se réjouisse de sa “modernité”, tout cela se plaide et se défend, et cela peut se faire avec passion; mais cette passion n’est nullement indicative d’une chose essentielle, elle le serait plutôt d’une humeur courroucée ou exaltée; sur le fond, il est inutile et inapproprié d’en faire un cas fondamental. Il serait alors manifeste que Sarkozy exprime un malaise préexistant chez ceux-là même qui l’exècrent ou qui l’encensent plus qu’il n’est la cause fondamentale de cette exécration ou de cet encensement.

Il est très difficile de justifier comme des jugements profonds et à long terme nombre de jugements sur Sarkozy qu’on voudrait expéditifs et définitifs, y compris celui d’“agent américaniste” et tout ce qui va avec, y compris celui de “libéral” moderniste, qui sont les principaux jugements faits à son encontre. Il est très difficile de justifier ces jugements quand l’on voit son alacrité, sa force jamais vue chez aucun politicien par les temps conformistes qui courent, pour se faire l’avocat d’un néo-protectionnisme de la sorte que réclament tous les anti-libéraux et souverainistes français et qui est d’une façon générale dénoncé avec fureur par les libéraux pro-américanistes. Encore une fois, sa pensée est courte et ses engagements théoriques accordés à des emportements de fortune (la fascination pour les USA). Tout cela est d’une substance faible et n’a pas une influence déterminante sur son action politique, qui est réalisée d’une façon indépendante. Son action politique est plutôt une conséquence de facteurs extérieurs; elle est entraînée par des pressions et des évidences extérieures dans la combinaison desquelles on trouve parfois une excellente cause. Sa position néo-protectionniste face aux ravages de la globalisation est l’exemple de cette situation.

Il ne faut donc pas chercher une “ligne” cohérente dans sa politique mais plutôt des politiques de circonstance, – certaines mauvaises, certaines bonnes, selon les circonstances. Il en résulte, d’une façon évidemment logique, que certains aspects de sa politique peuvent être jugés comme détestables du point de vue d’une politique française classiquement indépendante (engagement en Afghanistan, poussée pour le traité de Lisbonne, appréciation du terrorisme comme menace n°1, politique dans la crise iranienne); d’autres comme incertains (le rapprochement de l’OTAN, les rapports de ce rapprochement avec la défense européenne); d’autres comme très intéressants (l’insistance pour la défense européenne, le néo-protectionnisme anti-globalisation, l’UPM et tout ce qui va avec comme le rapprochement avec la Syrie).

Il n’est pas raisonnable de construire une appréciation cohérente et à long terme du personnage sarkozien, ni dans un sens (positif) ni dans l’autre (négatif). Sarkozy est parfaitement un personnage de son temps, “bling bling” et le reste, donc à courte vue, vivant dans l’instant et sans ample perspective construite, avec une consistance et une substance à mesure. Il n’est pas le seul de sa sorte, on peut même dire qu’ils sont tous comme ça aujourd’hui, – on ne fait ici que définir le monde politique tel qu’il est devenu dans cette époque postmoderne.

Dans le cadre strict du contexte nécessairement réduit par notre décadence, cette situation offre le pire (souvent) et le meilleur (parfois), surtout dans le cas français qui est un cas historiquement substantiel. La chose dépend des circonstances et nullement des hommes. Il est logique d’observer qu’il n’y a plus de “grande politique” française puisqu’il n’y a plus personne pour la conduire sur le terme. Contrairement à la pensée monnaie courante, une telle politique est en théorie tout à fait possible, comme le montre paradoxalement la réunion de l’UPM.

La situation générale ne se définit plus guère, actuellement, par le poids de la puissance brute (selon les conceptions US), notamment parce que cette “politique du poids de la puissance” a subi un échec considérable avec le formidable échec US et anglo-saxon de ces six dernières années. La situation générale se définit plutôt par des rapports plus subtils d’influence, d’image, etc., à cause de l’importance extrême de la communication. L’“image” de la France, quel que soit son brio et sa vigueur, reste toujours déterminée par un complet antagonisme de la politique des puissances anglo-saxonnes. (Les bavardages théoriques et autre soi disant résurrection d’un pro-américanisme qui a toujours été largement majoritaire dans les salons parisiens, y compris et surtout sous de Gaulle, n’ont aucun rôle dans la confection permanente de l’“image” de la France, selon les mêmes lignes historiques. Là aussi, c’est l’accident face à la substance.) Les avatars manifestes de ces puissances anglo-saxonnes rehaussent d’autant l’influence de la France, notamment grâce toujours au grand poids de la communication dans la détermination de la politique. Un tel socle d’influence permettrait aujourd’hui une “grande politique” française.

Mais on a vu qu’il n’y a plus d’homme politique au sens classique, ou bien disons au sens naturel de l’expression; donc, il n’y a plus d’homme politique pour porter un tel dessein; il n’y a plus, non plus, d’homme politique réellement construit dans un sens négatif, d’une puissance assez manifeste pour contrecarrer complètement cette puissance d’influence. Cette situation conduit au constat de la pré-existence d’une “grande politique” française, de son existence potentielle. Quand l’occasion se présente, cette puissance d’influence peut se manifester d’elle-même, et s'ouvrir l’opportunité d’une “grande politique”. C’est le cas pour la circonstance qu’on décrit ici. Dans ce cas, l’homme politique postmoderne (Sarkozy), avide d’action et indifférent à l’orientation apparente de sa pensée courte, exploite à fond cette opportunité. C’est ainsi qu’on peut enregistrer certains succès et que la France a évidemment sa chance avec une “grande politique” qui lui est historiquement naturelle. Répétons-le pour ce cas de la détermination précise d’une politique selon les circonstances, la période est d’autant plus favorable que l’orientation anglo-saxonne de la politique du monde, largement prépondérante, est en crise profonde dans tous ses composants, tant sectoriels que nationaux.

Pour le reste, c’est-à-dire sur le fond des choses, ce qu’on pourrait désigner comme la “conscience populaire” ne se fait guère d’illusion et juge la situation du président français comme elle doit l’être. D’où l’entêtement des sondages à maintenir Sarkozy au plus bas, malgré ses efforts manifestes pour y remonter. (Le dernier sondage [9 juillet] TNS-Sofres pour Le Figaro Magazine le ramène à 33% d’opinions favorables après avoir regagné 5 points début juin, à partir du 32% du début mai, qui est son plus mauvais résultat pour cette enquête.)

Qu’on nous pardonne enfin si cette analyse rejoint, sans l’avoir voulu ni avoir rien machiné dans ce sens, ce qui se rapprocherait d’une appréciation “maistrienne” de la situation du monde. La période s’y prête et nous n’avons fait que suivre le fil de notre logique, sans consigne particulière. Cette fois, nous venons à la conclusion théorique par l'observation de la pratique.