La guerre de l'USAF

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La guerre de l’USAF


20 mars 2003 — De quelle guerre s’agit-il ? Du point de vue politique, la réponse sera longue à venir, et l’on sait d’ailleurs que le vrai “champ de bataille” est transatlantique plutôt qu’en Irak. Du point de vue militaire, on peut d’ores et déjà distinguer une intention manifeste (sans savoir ce qu’il en restera au bout du compte) : c’est la guerre de l’USAF (et, si l’offensive réussit sans trop de bavures, ce sera la victoire de l’USAF).

Une circonstance inattendue des premières heures des opérations est le caractère sélectif plus que massif de l’offensive aérienne, comme le note une dépêche Reuters.


« But instead of the awesome display of force predicted by military analysts to stun and shock Iraqi troops, the war began with a targeted strike, apparently based on intelligence information, aimed at a specific senior Iraqi target or targets, a U.S. government source said. »


La même orientation est confirmée par une analyse de NBC News, diffusée peu après le début de l’attaque et citant Associated Press. La dimension qui apparaît dans l’analyse est que ces frappes sélectives sont destinées à la direction irakienne, pour la liquider.


« Bush spoke after the U.S. military struck with cruise missiles and precision-guided bombs against a site near Baghdad, where Iraqi leaders were thought to be, U.S. government officials told The Associated Press. There was no indication whether the attack was successful.

(...)

» The government officials cited by the AP said there was no indication who was among the leadership that was targeted, although broadcast reports indicated Saddam was targeted.

» The official said the strike came after U.S. intelligence detected leadership in the area. He said the opening salvo is not the opening of a broader air campaign, adding that it was an attempt to take advantage of ''time-sensitive'' targets, meaning fresh intelligence on the whereabouts of Iraqi leaders. »


C’est une tactique dite de “décapitation” qui est suivie par l’USAF. Le terme a son histoire. Il fut d’abord employé à partir de la fin des années 1970 pour des tactiques d’emploi du cruise missile, puis pour des tactiques d’emploi de systèmes nucléaires de petit tonnage. Dans tous les cas, il, s’agissait d’attaquer de façon très sélective les organes de commandement et de contrôle de l’URSS, de littéralement “décapiter” la direction communiste pour l’emporter aisément ensuite, face à un régime ultra-centralisé privé de tête, dans des conditions qu’on espérait très favorables (ralliement de la population, débandade dans les forces armées). Bien entendu, cette tactique trouvait une raison d’être développée dans l’amélioration des capacités de précision des systèmes (évidente à partir du cruise missile) ; mais elle a un arrière-plan politique, notamment avec le débat sur la stratégie hitlérienne dans la guerre contre l’URSS (si Hitler avait concentré toutes ses forces sur la destruction de la direction soviétique plutôt que les disperser sur d’autres objectifs, ne l’aurait-il pas emporté par effondrement du régime dès la fin 1941 ?)

Ce qui est remarquable, c’est que le plan qui semble employé aujourd’hui semble une resucée du premier plan d’attaque de la guerre du Golfe 1990-91. Les premiers plans prévoyaient une riposte de décapitation de l’USAF assez rapide (septembre-octobre 1990), aboutissant à la liquidation de Saddam et de son régime. Les événements contrecarrèrent ce projet. D’abord, une indiscrétion du général Dugan, Chef d’État-Major (CEM) de l’USAF, le 9 septembre 1990 : Dugan révéla ce plan à des journalistes et fut mis à pied par Cheney, alors secrétaire à la défense, trois jours plus tard, laissant l’USAF dans un désarroi momentané ; ensuite, Powell, alors président du joint Chief of Staff, profita de la circonstance pour achever de liquider le plan de l’USAF mis à mal par l’indiscrétion de Dugan et proposer Desert Storm, un plan beaucoup plus long, plus lent, plus massif, où les autres armes, notamment l’U.S. Army qu’il représentait, auraient une part plus importante que dans le plan de l’USAF.

Sans doute des facteurs de relations publiques et de politique ont-ils joué pour le choix de cette tactique aujourd’hui (crainte de pertes élevées dans la population civile, entraînant des réactions hostiles de l’opinion publique). Néanmoins cette explication doit être pondérée dans la mesure où la sélectivité des opérations n'empêche pas du tout un caractère massif dans l'intervention, si celle-ci est concentrée et accélérée (comme ce sera sans doute le cas à certains moments). Il faut que la tactique réussisse vite, sinon on en reviendra, en partie par obligation, à une attaque plus systématique. L’USAF a imposé son plan grâce à ses affirmations sur la modernisation de son arsenal (3.000 armes guidées par GPS devraient être tirées pendant cette campagne, ce qui implique effectivement une intervention massive). Elle a sans doute eu le soutien décisif de Rumsfeld, adepte des nouvelles technologies de précision (sa fameuse “transformation”) et ennemi juré du CEM de l’U.S. Army, le général Shinseki. (En effet, dans une telle orientation où la campagne aérienne est décisive, le rôle de l'U.S. Army apparaît nécessairement moins décisif.)

L’USAF a un maître-plan derrière ce rôle prépondérant et la tactique qu’elle emploie.

• S’imposer comme le premier service pour les interventions extérieures, impliquant une réduction des engagements terrestres et des “gros bataillons” (terrestres mais aussi aériens).

• Sauver son programme F/A-22, énorme programme en grand danger aujourd’hui, dont le sort détermine l’avenir de l’USAF pour le demi-siècle à venir. Si l’offensive réussit, l’USAF impose l’idée du développement des très hautes technologies et du choix de systèmes très coûteux mais prétendument très efficaces, comme le F/A-22 évidemment.

C’est une constante US : pour comprendre complètement n’importe quelle action américaine extérieure, il est recommandé de se tourner vers la situation bureaucratique intérieure.