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81931 mars 2003 —
La guerre comme un château de cartes ? Mais alors, les cartes risquent de se répandre partout, et le jeu apparaître bien confus. Aujourd’hui, personne, plus personne ne contrôle la guerre, aussi semble-t-elle perdre sa fonction de guerre pour une fonction nouvelle de révélatrice de nos crises. Elle rassemble sur elle toutes les autres crises possibles, — sur le terrain, une crise de l’armée américaine, une crise humanitaire, et bien sûr tout ce qui peut sortir de la résistance irakienne elle-même ; — autour d’elle, les crises qui enflent, avec la montée de la tension entre Américains d’une part, Syriens et Iraniens d’autre part, la tension furieuse dans les pays arabes, en Egypte, en Jordanie, ailleurs, devant le spectacle de l’attaque portée contre les Irakiens ; — ailleurs, au Royaume-Uni, où la trêve imposée à l’opposition anti-Blair par le déclenchement de la guerre est rompue par les déboires de la guerre, et Blair plus que jamais menacée ; à Washington même, où Rumsfeld, l’homme fort de l’administration, est partout mis en accusation pour la tactique de la guerre, pour les choix faits pour la bataille. La guerre-château de cartes devient une guerre-boîte de Pandorre. Tout en sort.
Ce qui se passe est qu’il ne s’agit pas encore de la guerre dont nous parlons depuis des mois. Même les pessimistes, ceux qui prévoyaient une guerre difficile, n’ont pas raison (ou pas encore raison ? On verra). Ils prévoyaient de terribles difficultés lors de la bataille de Bagdad. Nous ne sommes pas encore à cette bataille et il ne semble pas que l’on s’y précipite. Alors l’essentiel devient ceci : les difficultés révélatrices de ces premiers jours sont d’abord le fait des faiblesses et des paralysies de l’appareil américain : mauvaise préparation, mauvaise planification, mauvaise coordination, etc, —toutes les vertus habituelles de la puissance américaine (traditionnellement, tout ce qui est organisation et planification) apparaissent aujourd’hui viciées, perverties, — à quoi il faut ajouter un affreux manque de vision. Ce que nous découvre cette guerre, c’est une perversion de la psychologie, une faiblesse mortelle du caractère, avec le résultat des querelles internes, des batailles bureaucratiques, des affrontements de vanités transposé sur le terrain. On comprend bien que ce plan de bataille, c’est une idée de Rumsfeld (forces légère, tout-emploi des terchnologies avancées) aggravées des concessions faites aux militaires “classiques” (emploi de grosses unités, guerre classique, mais avec des moyens complètement insuffisants), aboutissant à la création par la puissance US elle-même de positions d’extrême vulnérabilité et les décisions d’urgence absurdes qui s’imposent (prélever un tiers, — 20.000 hommes, — d’un corps de bataille déjà complètement insuffisant pour protéger les faiblesses créées par l’emploi qu’on a fait de ce corps de bataille, des lignes de communication très étirées, très faibles et très vulnérables).
Rarement une guerre aura été aussi complètement marquée par la stupidité et l’infamie, — dans ses motifs, croyait-on jusqu’ici, dans son exécution, découvre-t-on maintenant. Non pas “rarement”, — jamais. Qu’importe. Elle échappe des mains des apprentis-sorciers. Et cela devient : rarement une guerre aura servi autant de catalyseur pour les tensions qu’elle a suscitées et qu’elle prétendait soumettre, et qu’elle renforce, irrésistiblement. Non pas “rarement”, — jamais.