La “guerre des moteurs” du JSF sur le Net

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S’il fallait une preuve que le Net joue désormais un rôle fondamental dans la bataille de la communication, une preuve de plus disons, nous l’aurions avec le cas du moteur General Electric/Rolls-Royce F136 que nous venons de découvrir. Ce site, qui vient d’être installé semble-t-il, est expressément destiné à soutenir l’établissement du moteur GE/RR F136 dans le programme JSF/F-35, comme alternative au moteur Pratt & Whitney (P&W) F135. On sait que le secrétaire à la défense Robert Gates est farouchement opposé à ce rétablissement du F136, qu’il a le soutien d’Obama jusqu’à une menace de veto si le Congrès veut imposer le F136; on sait également que le Congrès a une forte population parlementaire favorable au F136, que, depuis quatre ans, il rétablit obstinément des fonds pour le F136 que le Pentagone omet de mettre dans son budget; on sait enfin qu’avec sa composante britannique (Rolls associé à General Electric), l’absence ou la présence du F136 dans le programme JSF est un enjeu important par rapport à l’engagement des Britanniques dans le programme, et leur commande éventuelle de l’avion… Bref, une vraie “guerre des moteurs”, comme il y en eut une, à la fin des années 1970, pour la motorisation du F-16, également entre P&W et GE (alors sans Rolls-Royce).

Ce qui est remarquable dans le site du F136, c’est, d’une part son ton batailleur, sinon agressif, parfois polémique, prenant directement à partie son concurrent; d’autre part, son appel à un soutien “populaire”, exactement comment pourrait faire un homme politique menant une campagne populiste type-US ou dedefensa.org appelant à la générosité de ses lecteurs.

On y trouve des déclarations de cette sorte:

• «The GE/RR engine is on budget. In contrast, P&W is over plan by $1.9 Billion to date. At this rate, it is projected to reach $12.7 Billion in total contract overruns. This could take more than 100 aircraft out of the program and represents a serious disruption to the JSF program.»

• «Tell your Senators you support the F136 engine program», suivi d’instruments pour effectivement activer des courriels de soutien.

Cela peut se traduire en termes politiques plus précis par le constat du mariage de deux situations, de deux “tendances” qui sembleraient opposées, voire irréconciliables.

• D’un côté, GE et RR font évidemment partie du complexe militaro-industriel (CMI), du monde capitalistique, et essentiellement pour ce cas du moteur F136, de sa branche belliciste. On retrouve divers facteurs importants de tout ce contre quoi se bat le monde populiste qui agit sur le Net, qui exploite ce moyen (la mobilisation sur le Net) pour affirmer des positions, des revendications, etc., qui sont étouffées par le système.

• De l’autre côté, ces mêmes GE et RR utilisent effectivement ce moyen du Net pour lancer une sorte d’appel populiste à la mobilisation très classique aux USA (envoyez des messages à votre sénateur pour faire pression sur lui, pour qu’il soutienne votre/notre cause). La présentation du cas est extrêmement agressive, notamment avec la dénonciation des ennuis du moteur F135, au point qu’on croirait se trouver sur une blog anti-JSF (le moteur F135 seul étant effectivement identifié à la vision officielle du programme JSF). GE et RR donnent des références à des articles parus sur le Net qui sont utilisés comme arguments dans la campagne anti-JSF qui s’est développée depuis quelques mois, comme nous l’avons signalé (voir notre F&C du 6 mars 2009).

@PAYANT C’est effectivement le mélange de deux tendances, de deux situations, de deux méthodes qu’on croirait idéologiquement irréconciliables, qui est le point intéressant dans ce cas. Mais toutes les positions, et les étiquettes également, sont soumises à une situation d’extrême relativité dans un temps historique dont la plus grande force politique est la communication. Dans ce cas, le programme JSF est identifié à toutes les tendance habituelles du système de l’américanisme et du complexe militaro-industriel, avec une caractéristique fondamentale d’investissement technologique et idéologique hors des USA par le biais des pays qui sont engagés dans le programme. Du coup, le rejet du deuxième moteur F136, qui est un cas politique extrêmement vif (et en partie peu compréhensible) de la part de la direction Gates-Obama, devient un acteur de la bataille idéologique autour du JSF, paradoxalement du côté des anti-JSF. L’attaque de GE/RR contribue à affaiblir la cohésion du programme JSF, tend à mettre en cause le contrôle politique sur ce programme, bref à accentuer le désordre de ce programme qui est une de ses principales faiblesses et le biais par lequel les attaques extérieures sont les plus efficaces. GE/RR et sa campagne agressive deviennent un “allié objectif” de la coalition anti-JSF, y compris jusqu’à ses franges anti-guerres, alors qu’on sait bien pourtant que GE et RR sont des membres éminents du CMI et du système. C’est cette caractéristique fondamentale de “la discorde chez l’ami”, pour retourner la formule utilisée comme titre de son livre par le général de Gaulle, que marque cette démarche de GE/RR vis-à-vis du programme JSF.

Il est effectivement essentiel, pour suivre la bataille en cours autour, contre mais aussi à l’intérieur du système de l’américanisme, de se débarrasser du carcan des étiquettes idéologiques. Compte essentiellement, dans l’identification des forces qui s’affrontent, d’identifier leur position en termes de communication, par rapport à leurs intérêts conjoncturels. Le constat, ici, est que l’action GE/RR affaiblit “objectivement” la situation du programme JSF, notamment en termes de communication, en même temps qu’elle renforce “objectivement” le rôle du réseau Internet dans la bataille de la communication en renforçant son crédit (ce dernier point, évidemment profitable à tous les acteurs du réseau, et notamment, et surtout, à ceux, très nombreux, qui attaquent le système par ce biais).


Mis en ligne le 22 septembre 2009 à 06H53

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