La “guerre du gaz” a bien eu lieu

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La “guerre du gaz” a-t-elle duré treize jours? C’est l’avis de l’excellent analyste et ancien diplomate indien M. K. Bhadrakumar, sur atimes.com ce 17 janvier, – avec la réserve qu’il faut plutôt parler d’une phase achevée, et qu’il y en a d’autres à venir («More battles ahead in Russia’s “gas war”»).

M. K. Bhadrakumar fait la chronologie et l’analyse de la “guerre”, dont l’origine directe remonte à plusieurs mois. Il décrit les relations russo-ukrainiennes, la situation très particulière de l’Ukraine avec la bataille sans fin entre les deux leaders de la “révolution orange” (Youchtchenko et Tymochenko), qui commence à ressembler à un conflit endémique et incontrôlable; les péripéties depuis le Jour de l’An 2009, début des “hostilités”, le double jeu supposée des USA. Enfin, M K Bhadrakumar expose ce qu’il juge être la position de l’Europe (UE), qui rend bien compte de l’évolution de l’UE par rapport avec la Russie.

«But the shrill propaganda failed to click. The hard-boiled Old Europeans had no time for it. The European Union reprimanded Kiev when Jose Manuel Barroso, president of the European Commission, warned that Ukraine's failure to deliver Russian gas might hurt its aspirations for close ties with Brussels.

»Other European leaders also refrained from criticizing Russia. After meeting German Chancellor Angela Merkel, French President Nicholas Sarkozy called the dispute a “bilateral [Russian-Ukrainian] matter”. At the height of the crisis, former German chancellor Gerhard Schroeder visited Putin in Moscow in a show of solidarity. (Putin is scheduled to pay an official visit to Germany.)

»It seems the Europeans eventually saw through the Ukrainian game, despite the adverse media publicity that Moscow received in the early stages. They decided to associate with the new monitoring mechanism suggested by Moscow to ensure that Kiev does not any more steal from the Russia gas transiting to the European market. In the medium term, European countries may also seek to create their own strategic gas reserves with Russian help. Gazprom is reportedly planning to build the biggest gas storage facility near the city of Hinrichshagen (Meklenburg-Upper Pomerania Federal Land) with a huge capacity of 10 bcm of natural gas, with some of it earmarked as strategic reserves for Germany.

»Another positive fallout for Russia is that the European countries may take a renewed interest in Russian pipeline projects – the Nord Stream under the Baltic Sea and the South Stream under the Black Sea – which aim at bypassing Ukraine for supply of gas to the European market. At a joint press conference with the visiting Czech Prime Minister Mirek Topolanek (the Czech Republic currently heads the EU presidency), Putin said in Moscow last week, “The current crisis confirms that there is a need for a true diversification of the ways to deliver our energy resources to the main consumers in Europe.” He and Schroeder agreed that Nord Stream, which is expected to come on stream in 2011, would be a guarantee against supply disruptions.

»On balance, therefore, Washington will be disappointed to note that Europe's euphoria over the Orange revolution has all but evaporated. The message was loud and clear when Barroso said with uncharacteristic bluntness, “If Ukraine wants to be closer to the EU, it should not create any problems for gas to come to the EU.” Washington underestimated that for Europe, a war over energy security is not the stuff of propaganda, but is a flesh-and-blood issue for their economies especially in these troubled times and uncertain future.»

M. K. Bhadrakumar est extrêmement prudent, sinon sceptique, quant aux perspectives. Il juge que tous les facteurs qui furent causes de la crise restent réunis, très actifs ; par conséquent, il est logique d’attendre de nouveaux épisodes, de nouvelles batailles dans cette guerre, – “drôle de guerre”, qui est une bataille incertaine et contrastée dans une “guerre” plus large. Voici sa conclusion.

«So, is the gas war over? To be sure, Russian gas supply to Europe via Ukraine has resumed. But the great game continues. Washington can draw satisfaction that only a temporary solution has been found but the final armistice depends on a Russian-Ukrainian gas deal with three interlocking elements: pricing, debts and the volume of gas to be sent across Ukraine. Europe will not find it an easy job to mediate between Russia and Ukraine.

»At the root of the impasse lies the unresolved question of Ukraine's admission to NATO, which Washington insists on despite European reservations. Washington is determined to have its way and hardliners are hoping Obama will endorse the line, while Moscow has made it clear to the Western world that it is the “red line”. And Washington commentators are peeved that Old Europeans do not want to annoy Russia. Increasingly, they run down Germany for expanding its ties with Russia.

»Indeed, there are any number of issues over which Washington can instigate Yushchenko to exacerbate tensions in Ukraine's relations with Russia, such as NATO membership, Crimea and the Black Sea fleet, the Russian language, the World Trade Organization membership, territorial disputes, etc – and attempt to draw the EU into them.»

L’analyse de M. K. Bhadrakumar, comme c’est l’habitude chez ce commentateur, nous semble assez juste, équilibrée, heureusement assez indifférente aux artifices de propagande habituels. Depuis la publication (la rédaction) de ce texte, un développement intéressant concerne le projet, lancé par les Russes, d’un consortium gazier réunissant Gazprom (Russie) et divers partenaires ouest-européens sous la direction du groupe italien ENI. Le Financial Times publie un article sur le cas ce 16 janvier; Novosti nous donne les dernières nouvelles sur la chose, ce 17 janvier. Les négociations sur ce consortium ont lieu ce week-end.

«Le premier groupe gazier et pétrolier d'Europe OMV et le hollandais Gazterra ont accepté de rejoindre Gazprom, E.ON Ruhrgas, ENI, Wingas et GDF qui se sont mis d'accord pour former un consortium pour remédier à la crise, a déclaré le porte-parole de Gazprom Sergueï Kouprianov. Il devra fournir aux Ukrainiens le gaz technique permettant aux gazoducs de fonctionner en vue d'une reprise de livraisons de gaz à l'Europe dans l'attente d'un accord entre Moscou et Kiev.

»Jeudi le 15 janvier, au cours d'une rencontre avec le PDG de Gazprom Alexeï Miller et le numéro un d'Eni Paolo Scaroni, le premier ministre russe Vladimir Poutine a proposé à ses partenaires européennes de partager les risques liés au transit en fondant un consortium international chargé d'acheter à Gazprom le volume de gaz nécessaire pour maintenir le réseau gazier ukrainien sous pression et permettre à Kiev d'assurer le transit vers l'Europe.»

Il nous semble que cette étrange et assez originale “guerre du gaz” contient plusieurs ingrédients intéressants, dont il reste à fixer l’orientation et la signification. Plutôt que considérer cette “guerre du gaz” comme une évolution déjà existante, on pourrait tenter de l’analyser comme une rupture dans le développement de la situation considérée. La période présente y invite, avec de grands bouleversements jusqu’à paraître révolutionnaire par certains aspects. Plusieurs points peuvent être développés.

• Le rôle et les réactions du côté américaniste dans cette affaire, tels que les expose M. K. Bhadrakumar, n’impliquent pas nécessairement la poursuite de la politique US/neocon (pour faire court mais juste) en Europe de l’Est. (Les commentaires d’une presse US complètement pavlovienne dès qu’il s’agit d’un sujet un peu lointain et sur un thème particulièrement référencé et convenu, – l’hostilité à la Russie est un de ces automatismes, – n’ont aucune signification politique conjoncturelle particulière.) On se trouverait devant le cas de la poursuite d’un commentaire et d'une action de communication par simple logique bureaucratique et subversive, dans la période de transition actuelle où rien n’est vraiment fixé. Ainsi, il n'est pas assuré, par exemple, que le président ukrainien, dont les liens avec les USA sont évidents et très voyants, ait agi dans ce cas sur consignes spécifiques des groupes d'influence US; il est possible qu'il n'a fait que poursuivre une politique désormais classique, mais qu'il a surtout suivi ses intérêts personnels, y compris financiers, et surtout poursuivi son affrontement avec sa première ministre Timochenko.

• Effectivement, comme on l’a déjà vu, le comportement ukrainien, ou, éventuellement, plutôt le désordre ukrainien, a contribué à une évolution certaine de la position européenne (UE), devenue moins anti-russe qu’à l’habitude. Les raisons sont sans doute, en partie, économiques, mais elles sont aussi, en bonne partie politiques et psychologiques. Il est fortement probable que cette évolution ne serait pas aussi prononcée s’il n’y avait pas eu entretemps la crise géorgienne, si le projet d’adhésion de l’Ukraine (et de la Géorgie) à l’OTAN n’avait pas subi un très sérieux coup d’arrêt (à la réunion de l’OTAN, en décembre 2008), s’il n’y avait eu la crise générale ouverte en septembre 2008 et la présidence française de l’UE, si l’on ne se trouvait pas en période de transition et d’incertitude aux USA.

• L’initiative du consortium en cours de constitution avec les pays ouest-européens est une mesure technique qui a évidemment une dimension politique, voire éventuellement une valeur structurante entre la Russie et l’UE. Ce n’est pas complètement un hasard si l’ENI est leader dans cette initiative. Berlusconi recueille le fruit de ses liens avec Poutine et la position de l’ENI est aussi un reflet du soutien de la Russie par l’Italie, notamment dans la crise géorgienne. L’intérêt démonstratif du consortium est qu’il tend à établir, par un moyen technique, une structure qui passe par-dessus l’antagonisme Russie-Ukraine, qui écarte cet antagonisme comme un écarte un obstacle placé sur la route de l’amélioration ou du changement des relations de la Russie avec l’UE.

• Il est évidemment difficile de déterminer ce que sera la politique US avec l’administration Obama après cet épisode pris comme le dernier d’une série d’événements qui, depuis un an, ont fortement modifié la situation en Europe, surtout entre l’UE, la Russie et les “satellites” US/neocons en Europe de l’Est. Il n’en reste pas moins qu’on peut envisager que la “guerre du gaz” et surtout ses effets, avec les événements qui ont précédé en 2008, établissent une situation générale différente en Europe, dans les relations de l’UE avec la Russie. Les USA ne peuvent pas ne pas en tenir compte, surtout qu’eux-mêmes se trouvent dans une période de changement d’administration et que les relations avec la Russie sont un des domaines principaux sur lesquels l’administration Obama pourrait envisager des changements importants par rapport à ce qui a précédé, dans le sens de l’apaisement, pour soulager son “front intérieur”.


Mis en ligne le 17 janvier 2009 à 23H32