La guerre en technicolor : “Kill all these sonovobitches, putain!”

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Une thèse courante est que GW est une marionnette, manipulée par des forces de l’ombre, l’espèce de directoire mystérieux du système qui conduit les desseins de l’américanisme. Nous avons toujours été fort hésitants devant cette thèse que nous jugeons bien élaborée pour rendre compte d’un phénomène plutôt marqué par la sottise, l’aveuglement et une extraordinaire vanité primaire. Nous pensons plutôt que les psychologies des dirigeants US sont à la fois prisonnières et sous l’influence automatique du réseau général de communication du système, fonctionnant selon les orientations naturelles de la vanité et de la puissance, – ce qui tend à donner une espèce d’uniformité des grandes orientations psychologiques, illustrée avec plus ou moins de brio selon les qualités individuelles. GW est un esprit d’une pauvreté sans fin et d’une inculture épouvantable, clinquante et irresponsable, un caractère médiocre cela va de soi, – mais il n’en est pas manipulé pour autant. Nous dirions presque, au contraire, qu’il correspond parfaitement aux canons du système; donc, aucune nécessité de manipulation.

Dans ce domaine, Tom Engelhardt nous est d’une aide précieuse. L’éditeur du site TomDispatch.com est aussi l’auteur d’un livre, The End of Victory Culture, qui donne une analyse saisissante du rôle de la “culture populaire”, à commencer par l’influence du cinéma hollywoodien le plus primaire jusqu’à celle des héros de cartoons, sur les psychologies des dirigeants politiques US (et des citoyens), notamment durant la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre froide. Dans le texte qu’il publie aujourd’hui, Engelhardt donne une analyse de la présidence de GW comme une “présidence hollywoodienne”, conforme aux préceptes de “l’industrie du cinéma” qui garde toujours, malgré des exceptions “déviationnistes” heureusement de plus en plus nombreuses, une vision manichéenne, stéréotypée et complètement manipulée du monde.

Engelhardt a débusqué un passage des “mémoires de guerre” (en Irak) que vient de publier le général Sanchez, qui commanda en Irak de 2003 à 2006. Le passage, si remarquable comme on va le voir, commence à être cité ici et là, comme le signale Engelhardt. («As far as I know, the key passage in Sanchez's memoirs quoted in this piece was first noticed and commented upon by that indefatigable Iraq reporter Patrick Cockburn. Unlike the key passages in Scott McClellan's memoir, this one from Sanchez's book has been little attended to. However, Dan Froomkin (cited in this piece), who does the Washington Post's online column, White House Watch, also noted its existence.»)

Voici donc le passage, dans l’article que Engelhardt a mis en ligne sur Antiwar.com aujourd’hui, où il rapporte ce témoignage de Sanchez sur une vidéo-conférence, le 6 avril 2004, entre d’une part Bush, Powell et Rumsfeld à Washington, d’autre part lui-même en Irak.

«…I'm thinking of another insider, former commander of US forces in Iraq, Lt. Gen. Ricardo Sanchez. He got next to no attention for a presidential outburst he recorded in his memoir, Wiser in Battle: A Soldier's Story, so bloodthirsty and cartoonish that it should have caught the attention of the nation – and so eerily in character, given the last years of presidential behavior, that you know it has to be on the money.

»Let me briefly set the scene, as Sanchez tells it on pages 349-350 of Wiser in Battle. It's April 6, 2004. L. Paul Bremer III, head of the occupation's Coalition Provisional Authority, as well as the president's colonial viceroy in Baghdad, and Gen. Sanchez were in Iraq in video teleconference with the president, Secretary of State Colin Powell, and Secretary of Defense Donald Rumsfeld. (Assumedly, the event was recorded and so revisitable by a note-taking Sanchez.) The first full-scale American offensive against the resistant Sunni city of Fallujah was just being launched, while, in Iraq's Shi'ite south, the U.S. military was preparing for a campaign against cleric Moqtada al-Sadr and his Mahdi Army militia.

»According to Sanchez, Powell was talking tough that day: ''We've got to smash somebody's ass quickly,” the general reports him saying. “There has to be a total victory somewhere. We must have a brute demonstration of power.” (And indeed, by the end of April, parts of Fallujah would be in ruins, as, by August, would expanses of the oldest parts of the holy Shi'ite city of Najaf. Sadr himself would, however, escape to fight another day; and, in order to declare Powell's “total victory,” the U.S. military would have to return to Fallujah that November, after the U.S. presidential election, and reduce three-quarters of it to virtual rubble.) Bush then turned to the subject of Sadr: “At the end of this campaign al-Sadr must be gone,” he insisted to his top advisers. “At a minimum, he will be arrested. It is essential he be wiped out.”

»Not long after that, the president “launched” what an evidently bewildered Sanchez politely describes as “a kind of confused pep talk regarding both Fallujah and our upcoming southern campaign [against the Mahdi Army].” Here then is that ‘pep talk.’ While you read it, try to imagine anything like it coming out of the mouth of any other American president, or anything not like it coming out of the mouth of any evil enemy leader in the films of the president's – and my – childhood:

»“‘Kick ass!’ [Bush] said, echoing Colin Powell's tough talk. ‘If somebody tries to stop the march to democracy, we will seek them out and kill them! We must be tougher than hell! This Vietnam stuff, this is not even close. It is a mindset. We can't send that message. It's an excuse to prepare us for withdrawal.

»“‘There is a series of moments and this is one of them. Our will is being tested, but we are resolute. We have a better way. Stay strong! Stay the course! Kill them! Be confident! Prevail! We are going to wipe them out! We are not blinking!’”

»Keep in mind that the bloodlusty rhetoric of this “pep talk” wasn't meant to rev up Marines heading into battle. These were the president's well-embunkered top advisers in a strategy session on the eve of major military offensives in Iraq. Evidently, however, the president was intent on imitating George C. Scott playing Gen. George Patton – or perhaps even inadvertently channeling one of the evil villains of his onscreen childhood.»

Engelhardt a raison de citer le George C. Scott de Patton, – sauf que Patton avait l’esprit de citer des poètes antiques en visitant des ruines romaines en Afrique du Nord, et de proclamer sa détestation de son époque démocratique et médiocre, – tout cela, hors de portée des personnages cités. Tout de même, ce qui nous arrête dans cette instructive portion de mémoires, c’est qu’on y trouve en bonne place l’éminent général Colin Powell, cité et acclamé partout pendant des années comme le sage de l’administration GW Bush, l’homme avisé et lucide qui lutta désespérément contre la folie primaire de ses camarades du gouvernement. A bien y regarder, il semble que Powell soit en première ligne pour la manifestation de l’esprit ambiant, adepte de la “brute force”, de l’écrasement de toute cette racaille irakienne et ainsi de suite. L’Africain-Américain devenu général et secrétaire d’Etat, traité de “house slave” (sorte d’“esclave collaborateur”) par Harry Belafonte, n’échappe manifestement pas aux us et coutumes du système, – preuve si besoin est que les tristes querelles et rancunes de racisme et autres s’effacent devant les pressions psychologiques du système.

Notre sentiment est que nous ne sommes pas au bout de nos surprises dans le constat d’un système complètement paralysé par les contraintes automatiques que son fonctionnement mécanique impose à ses acteurs, avec ces contraintes écartant toute pensée élaborée et laissant libre cours aux sentiments les plus primaires. La scène rapportée par le général Sanchez est bien celle d’une direction US incapable de dépasser les éructations d’une vanité de puissance (mieux que “volonté de puissance”, ce qui serait leur faire bien de l’honneur) qui paraît avoir été et être toujours le seul guide de la politique US. Là-dessus, que GW glisse un quatrain sur la démocratie («If somebody tries to stop the march to democracy, we will seek them out and kill them!») complète le tableau. Cela lui vaudra sans aucun doute l’indulgence de BHL et autres Glucksman et mesurera parfaitement la vertu inhérente aux conceptions et choix définitifs de la civilisation qui nous abrite en son sein.


Mis en ligne le 2 juin 2008 à 12H57