La guerre étant gagnée, la victoire est inutile

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Il y a d’étranges déclarations de chefs militaires (US, of course) qui se succèdent concernant la situation en Afghanistan. Ces chefs proclament des victoires importantes en Afghanistan, sinon la victoire tout court.

• Il y a le général du Corps des Marines Richard Mills dans USA Today, le 12 janvier 2010: «U.S. forces have driven the Taliban from most towns and villages in the strategic Helmand province of Afghanistan, leaving incoming troops with the mission of holding key areas and rebuilding the economy, Marine commanders say. “They've taken on the Taliban, the insurgency, right in the heartland and they've defeated them,” said Marine Maj. Gen. Richard Mills in an interview with USA Today.»

• Précédemment, il y avait eu McChrystal, qui avait été encore plus affirmatif et même paradoxal, puisqu’annonçant la victoire du “surge” décidé par le président Barack Obama, avant même que celui-ci ait eu lieu. Le 12 janvier 2010, Jason Ditz, dans Antiwar.com, présente la chose en s’étonnant des paradoxes étranges de ces déclarations…

«Somewhat of a shocking development, considering the situation in Afghanistan continues to deteriorate, and most of the “surge” troops won’t even arrive for several months, but General Stanley McChrystal today declared the Afghan surge was already a success with “turned the tide” against the Taliban. [… McChrystal] insisted that considerable progress has been made, citing territory seized in the most recent Helmand Province offensives. Interestingly enough, those offensives occurred in late summer and autumn, while the escalation wasn’t even announced by President Obama until early December.

»While the administration is obviously eager to find evidence of some sort of progress in Afghanistan, it seems to be jumping the gun to declare a surge which has scarcely begun a success, and even less reasonable to cite dubious gains made months before the surge’s announcement as proof.»

Lorsqu’on sort des dernières nouvelles concernant la CIA en Afghanistan, pour lire les déclarations de McChrystal, un trouble incontestable envahit l’esprit. Commentons-le.

Notre commentaire

@PAYANT Ces déclaration sont décrites par Ditz, un peu en désespoir de cause semble-t-il, comme une tentative de l’administration Obama de faire régner un peu d’optimisme sur les perspectives de la guerre en Afghanistan. (C’est même beaucoup d’optimisme puisque c’est la victoire quasiment acquise… Passons.) Comme le souligne Ditz, les circonstances de ces déclarations, qui semblent être une consigne, une “ligne” délibérée des militaires puisqu’un général des Marines en remet, sont particulièrement rocambolesques. Elles concernent une situation établie il y a déjà quelques mois, qui n’a strictement rien à voir avec le “surge” qui commence à peine, ni même avec McChrystal puisque l’offensive en question avait été préparée et lancée par son prédécesseur; et ainsi en déduit-on la victoire rétroactive découlant d’une décision qui n’avait pas été prise, dont les effets commencent à peine à se faire sentir aujourd’hui. Il semble parfois que plus les affirmations sont grotesques, plus le personnel du système semble les goûter – et puis McChrystal, qui est un philosophe, parle sans doute de l’“esprit de la chose”.

Il faut tout de même noter qu’en même temps que la victoire nous est annoncée, la situation continue à se détériorer et que les nouvelles sont remplies de la dimension de la catastrophe qui a frappé la CIA il y a deux semaines. Ainsi peut-on lire de la plume de spécialistes respectés et bien informés du système (le FT et Strafor.com) que cette guerre est ingagnable dans les conditions actuelles alors que McChrystal annonce qu’elle est gagnée.

Quelle(s) explication(s) avancer? Nous serions tentés de chercher les hypothèses du côté des relations entre les différents services et des effets des nouvelles récentes.

• Soit McChrystal veut affirmer la prééminence des militaires par rapport au renseignement, dont tout le monde proclame aujourd’hui le rôle essentiel dans le conflit afghan et qui échappe notablement à l’autorité du général commandant en chef du théâtre. Dans ce cas, cette proclamation de victoire de McChrystal constraste dramatiquement avec le bilan catastrophique de l’attaque contre la station de la CIA. Cela revient à affirmer que seules les opérations militaires donnent de bons résultats tandis que le renseignement qui dépend de la CIA et du coordinateur national du renseignement US est incapable d’évoluer d’une manière efficace en Afghanistan. Pour un général commandant en chef, la chose est toujours bonne à prendre, qui permettrait de dire au bout du compte si les choses tournaient mal: “Voyez, les opérations militaires ont bien marché et marchent bien mais l’inefficacité catastrophique du renseignement compromet gravement cet acquis”.

• La deuxième explication est plus aimable: McChrystal veut rattraper l’effet catastrophique de l’attaque contre la CIA par des affirmations de victoire, pour le bien de tout le corps expéditionnaure US et OTAN en Afghanistan. La bienveillance de cette hypothèse nous conduit à la considérer comme la plus improbable, connaissant les rivalités existantes entre services et chefs de ces services.

Dans tous les cas, on peut être assuré que le “surge” verra une dimension importante de son activité occupée par la communication, l’interprétation de la situation par les chefs militaires et autres, les proclamations répétées de victoire avec parallèlement des revers pour souligner le contraste séduisant entre communication et réalité. Pour les militaires US, aujourd’hui, comme on l’a vu également avec Mullen et Peraeus, le temps n’est plus aux gémissements pour obtenir plus de forces et plus de pouvoirs, mais aux déclaration tonitruantes pour tenter de réaffirmer la puissance militaire US d’une façon générale. Aux affirmations que les USA peuvent attaquer l’Iran répondent donc les affirmations de McChrystal que la victoire en Afghanistan est quasiment acquise. Tout cela relève plus de la soupe interne du système et des manœuvres habituelles pour affirmer une prépondérance bureaucratique et “corporatiste” au sein du système, que de la stratégie militaire en général.


Mis en ligne le 13 janvier 2010 à 17H30