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248912 août 2017 – Somme toute et toutes choses étant bien considérées, je pencherais pour l’idée qu’après tout un conflit majeur entre les USA et la Corée du Nord, sinon un conflit nucléaire voulu comme “limité” au départ mais risquant bien d’impliquer la Chine avec conséquences, qu’une telle soupe grotesque et sanglante jusqu’au carnage effaçant tout le reste serait parfaitement adaptée à notre situation courante. Elle en serait un reflet assez approchant, l’expression d’une colossale vérité-de-situation embrassant notre situation générale, tranchant notre époque, couronnant notre Fin-des-Temps.
D’abord, tout le monde comprend aussitôt qu’il ne peut être question que d’une tragédie-bouffe comme on l’a décrite sur ce site. Je tiens énormément à cette expression, tellement elle sied superbement à cette époque, sa façon de mêler des choses horribles et insupportables, inimaginables de cruauté et très profondément tragiques, avec des comportements, des jugements et des paroles ridicules, des choses grotesques dans le sens de complètement immatures sinon sans rapport avec rien de ce qui compte ; des choses dites un peu comme on en entend dans le théâtre de l’absurde mais interprétées par des crétins ahuris, qui ne jouent pas avec la sensation de dire des choses absurdes ; paroles sans la moindre retenue ni substance de la réflexion et de la mesure, dont on observe les effets et les conséquences dans les secondes qui suivent, la minute ou deux, avec la vidéo qui va avec, et qu’on a, à la troisième minute et à la vidéo d’après, complètement oubliée ; des paroles comme des bulles de savon, sitôt dites avec l’apparence d’un brio de circonstance, sitôt éclatée et réduite à rien et au vide.
(A ce point, je fais une parenthèse pour observer qu’il m’apparaît évident pour mon cas que la tragédie-bouffe est l’opérationnalisation d’une sorte de “doctrine” que je nommerais “doctrine-Audiard”, – et il faudra y revenir pour préciser la chose. La “doctrine-Audiard” serait basée sur le fameux Postulat, qu’on nommerait Postulat d’Audiard, à l’image du Postulat d’Euclide si vous voulez, plus ou moins définie, et certainement symboliquement bien décrite par la formule désormais fameuse et venue des Tontons flingueurs : « Un con ça ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît. » Facteur fondamental de la tragédie-bouffe, sorte d’Evangile de la chose, à respecter s’il vous plaît, et prescription à suivre avec attention. Il est important de comprendre, – cela pour relativiser mon propos en impliquant que les acteurs comptent plus que les actes, – que dans ce postulat le sujet compte plus que l’acte ; l’authenticité irréfragable de “con” est supérieure à la relativité du “ça ose tout” parce que ce “ça ose tout“ dépend si complètement du sujet-“con” ; exactement comme dans celui d’Euclide, à mon humble et ignorant avis, selon lequel le sujet “droite” est absolu tandis que l’acte, “une seule droite par un point”, “parallèles”, etc., est nécessairement relatif... Enfin, vous le comprenez, n’est-ce pas ?)
... Je veux dire qu’une tragédie-bouffe se fait toujours avec des acteurs spécialisés dans le bouffe (des bouffons, si vous voulez), et si elle tourne en “vraiment-une-tragédie” à un moment donné il n’empêche qu’il lui reste un petit quelque chose de bouffe. La situation USA-Corée du Nord, si proche du nucléaire observe-t-on radicalement et avec des mines extrêmement graves, eh bien c’est exactement cela : une menace de guerre nucléaire selon le Postulat d’Audiard. La guerre nucléaire reste la guerre nucléaire mais les acteurs répondent au Postulat, et finalement tout le reste suit.
Ils ont beau dire et beau faire, Kim & Trump, ou plutôt plus ils en disent et plus ils en font, la tragédie-bouffe devient de plus en plus tragique parce que tout de même ils montent très vite au nucléaire dans leurs menaces, mais eux sont de plus en plus bouffons. Lorsque Trump vous dit que la Corée du Nord peut craindre qu’elle soit dévorée par “le feu et la fureur” de la puissance des USA si elle poursuit son attitude jugée de défiance inacceptable, et que Kim répond par une fureur redoublée de son côté, Trump précise deux jours après, entre poire et fromage, que “mes mots n’ont sans doute pas été assez durs” et qu’il voulait dire que la riposte US à n’importe quelle attaque de la Corée du Nord serait “un événement d’une puissance telle que personne dans l’histoire n’en a jamais vu de semblable”. Cette précision faite à la suite d’une question d’un journaliste lors d’un dîner public, Trump se replonge avec entrain dans la dégustation de son simili-fromage... “Je suis maître de moi comme de mon fromage”, dirait Trump-Auguste.
Comme ce dialogue Kim & Trump se poursuit depuis des mois, que c’est sans doute la troisième ou la quatrième fois en moins d’un an que l’on parle de la crise nucléaire la plus grave que l’on ait vue depuis celle des fusées de Cuba en octobre 1962, cette débauche de fureur imagée et de menaces exaltées sinon hystériques faite au milieu d’activités courantes comme celle d’une partie de golf que Trump affectionne pendant ses vacances rejoint effectivement le côté bouffe de la chose. Pour en ajouter encore, vous avez le physique des personnages, chacun dans son genre, irrésistibles de bouffonnerie, – tous les deux ; vous auriez beau déguiser un Kim en Trump ou un Trump en Kim, ils en restent tout aussi bouffons, rien à faire. Ce n’est pas de leur faute d’ailleurs, non c’est l’époque qui veut ça.
Je vais encore vous agacer avec mes souvenirs de vieux routiers revenu de l’antédiluvien, mais la décade que nous avons vécu entre le 20 et le 30 octobre 1962 vous avait une allure complètement différente. On savait tous et nul n’était besoin d’en détailler la mise en scène, ni de développer des hypothèses sur les bizarreries des uns et des autres. La tragédie, le sens de la terreur de la chose étaient partout et écartait toutes les remarques critiques habituelles, les mots déplacés, les considérations annexes, les débats accessoires ; l’esprit était happé, emprisonné pour se concentrer sur l’événement de la tragédie pure qui nous prenait tous à la gorge. On n’aurait jamais imaginé un parlementaire US répondre de cette façon à une question sur la crise, ceci de la part du député démocrate (un qui n’aime pas Trump, certes, mais ce ne devrait plus être le sujet), et aussi vice-président du parti démocrate, Keith Ellison :
« La Corée du Nord est une chose sérieuse. Vous avez ce type (Trump) qui fait des déclarations belliqueuses contre quelqu’un qui a vraiment très peu à perdre. Kim Jung-un, le monde entier croyait que ce n’était pas un dirigeant responsable. Eh bien, il agit d’une façon plus responsable que ne fait ce type (Trump). Et, comme je vous l’ai déjà dit et je vous le répète, une fois que vous verrez les missiles partir, vous verrez ce que vous verrez ; vous comprenez le moment pour faire démarrer la machine antiguerre, c’est maintenant. Alors, si vous ne voulez pas que nous soyons tous emportés dans le grand feu d’artifice, il vaut mieux commencer immédiatement à faire intervenir la diplomatie avec la Corée du Nord... »
C’est une remarque prise au hasard, au pied-levé, rien d’autre et des remarques de cette sorte il y en a tant d’autres... Je veux dire que je n’en veux ni au député Ellison, ni au journaliste (pour cette fois) et à sa question, ni à Kim ni “à ce type” (Trump) mais qu’il m’importe de mettre en évidence cette espèce de légèreté des propos et des vaticinations alors que l’on parle de la perspective catastrophique qu’on sait. Même lorsque quelqu’un vous dit “c’est extrêmement, c’est affreusement grave”, vous avez l’impression qu’il y a dans le ton quelque chose d’outrancier, de pompeux ou de bombastique comme j’aime à dire souvent, ce qui prive le propos de sa véritable tension tragique. Vous ne pouvez vous départir de la sensation que dans ce qui pourrait être, non dans ce qui devrait être une catastrophe totale se glisse un petit air de “ce n’est pas vraiment sérieux”. Pourtant, le fautif n’est pas celui qui dit cette sorte de remarque, mais l’air du temps, la couleur de l’époque qui marquent absolument tout de leurs nuances “bling-bling” et “fluo” à la fois.
J’ignore à quoi précisément attribuer cette sensation, d’ailleurs bien plus du fait de l’embarras du choix, du fait de l’abondance des causes possibles que de leur absence. Cette époque est tellement folle et tellement insensée, tellement hors de soi et hors de ses gonds, – et curieusement, “hors de ses gonds” sans véritable colère, – qu’elle n’arrive pas à se faire prendre au sérieux, même au plus sérieux de tous les propos ; et cette entreprise de destruction massive qu’elle est, même sans nécessité de nucléaire, est si absurde et si complètement dépourvue de sens qu’elle ne parvient pas à nous glacer de la terreur absolue qu’elle devrait pourtant dispenser. La terreur, la vraie terreur, ne laisse aucune place pour une interrogation sur le sens, la santé, l’équilibre de la chose qui est censée dispenser cette terreur ; elle vous terrorise, c’est tout...
Je me demande si ce n’est pas là sa faiblesse ultime, cette façon qu’elle a, en devenant tragédie de plus en plus grande et de plus en plus terrible, de ne pas pouvoir se débarrasser complètement de son côté bouffe qui lui colle à la peau, comme le sparadrap du capitaine Haddock, et qui suffit par sa présence devenue de plus en plus incongrue et accusatrice à dénoncer son caractère d’imposture. Cette époque, “leur époque”, est trop un simulacre, je veux dire faite d’un simulacre trop grossièrement tracé comme tel, avec le trait si appuyé comme si elle parlait absolument et complètement sous l’empire du Postulat d’Audiard, pour que la tragédie-bouffe parvienne au bout du chemin à s’imposer comme tragédie pure... J’ai même l’impression ultime que même si nous étions détruits dans la catastrophe nucléaire, nous parviendrions tout de même à emporter dans notre trépas un peu de cet air de bouffe de la tragédie finalement accomplie, car même la mort aurait une allure de simulacre.
Nous ne sommes plus, ni au temps des Grecs et des Romains, ni au temps de Corneille et de Racine. Nous sommes au temps de Kim & Trump, des BHL & des LGTBQ. Nous sommes au temps des simulacres d’imposteurs, un temps où même les imposteurs ne semblent être que des simulacres.
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