La guerre, plus que jamais avec notre arme suprême du virtualisme

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La guerre, plus que jamais avec notre arme suprême du virtualisme


9 avril 2004 — Plus que jamais, le gouvernement en place à Washington s’appuie pour faire face aux événements de guerre en Irak sur son “arme secrète”, à la fois son attitude d’instinct, sa drogue, le domaine où il excelle et celui qui lui a donné sa puissance : le virtualisme. Il s’agit bien entendu de ce phénomène qu’on peut décrire par l’acte de repousser la réalité et d’affirmer, à côté d’elle, une autre réalité, qui sera alimentée par toutes les démarches publicitaires, de relations publiques et de communications, et les technologies de communication à mesure.

Nous ne pouvons tenir cela pour un simple exercice de mensonge universel, qui impliquerait que Washington a conscience de la réalité de la situation ; notre conviction est, en effet, que ces hommes croient en bonne partie à ce qu’ils disent. En d’autres mots, “GW n’est pas Nixon”.

On doit attribuer à la poursuite de cette politique du virtualisme radical la position prise depuis trois ou quatre jours par la Maison-Blanche, et relayée par Rumsfeld et d’autres, une position selon laquelle les événements en Irak sont de peu d’importance. (Selon Rumsfeld, « the fighting in Iraq was just the work of thugs, gangs and terrorists and not a popular uprising  ; le général Myers, président du Joint Chief of Staff : « It's not a Shiite uprising. Sadr has a very small following. »)

Mais Washington est également un champ de bataille, où la férocité ne le cède en rien au théâtre irakien. C’est pourquoi, très rapidement, des précisions anonymes sont apparues, pour dénoncer les conceptions exposées par la politique officielle. Ces précisions viennent, notamment, d’analystes de la CIA. Il ne serait pas étonnant (quand on connaît la position antagoniste de la CIA et de la Maison-Blanche/le Pentagone) qu’il y ait une consigne officieuse mais venue du plus haut niveau, au sein de l’Agence, pour disséminer cette sorte d’interprétation. Un article significatif du New York Times du 8 avril expose à la fois la méthode, et l’information sur la situation.


« United States forces are confronting a broad-based Shiite uprising that goes well beyond supporters of one militant Islamic cleric who has been the focus of American counterinsurgency efforts, United States intelligence officials said Wednesday.

» That assertion contradicts repeated statements by the Bush administration and American officials in Iraq. On Wednesday, Secretary of Defense Donald H. Rumsfeld and Gen. Richard B. Myers, chairman of the Joint Chiefs of Staff, said that they did not believe the United States was facing a broad-based Shiite insurgency.

» Administration officials have portrayed Moktada al-Sadr, a rebel Shiite cleric who is wanted by American forces, as the catalyst of the rising violence within the Shiite community of Iraq.

» But intelligence officials now say that there is evidence that the insurgency goes beyond Mr. Sadr and his militia, and that a much larger number of Shiites have turned against the American-led occupation of Iraq, even if they are not all actively aiding the uprising. »


Autres acteurs de la comédie virtualiste: les militaires américains

Les militaires américains, bien qu’ils soient victimes de cette politique virtualiste dont l’aventure irakienne est l’enfant principal (bien peu de militaires voulaient cette aventure), sont aussi de formidables consommateurs de virtualisme. L’essentiel de leurs opérations dans cette guerre est totalement interprété par des conceptions virtualistes. Les militaires américains ont conduit une guerre qui n’existait pas (celle d’il y a un an, après avoir acheté leurs adversaires), ils l’ont gagnée naturellement, et, depuis un an, ils tentent d’écarter la réalité qui veut reprendre sa place. Les événements de ces jours derniers tendent à montrer qu’ils n’y ont pas réussi.

Rory McCarthy nous montre, avec un exemple significatif, cet étrange phénomène du fonctionnement du système américain, côté militaire, complètement hors des réalités du monde qu’il prétend régenter.


« It was the middle of November last year when Major-general ‘Chuck’ Swannack announced that security was improving so quickly in the once-troubled town of Ramadi that Americans could soon withdraw and leave a city at peace.

» For several days the US military used F-16s, Apache helicopters and AC-130 gunships to pound targets across the Sunni areas north and northwest of Baghdad. They believed that Operation Iron Hammer, as it was called, had subdued the resistance.

» “I believe our joint patrols with the police between now and January 1 will allow us to move to a second stage in regards to security in Ramadi where American forces step back,” said the general, a vast, rugged man who commands the 82nd ‘All American’ Airborne Division.

» The troops never did leave. Last month the All Americans were replaced by the 1st Marine Expeditionary Force, who promised a more considered, cautious approach but that elusive peace has never materialised. On Tuesday 12 marines were killed near the governor's palace in Ramadi in a seven-hour firefight. Some of the fiercest gun battles since the war a year ago were being fought last night on the streets of Ramadi and 30 miles further east in Falluja, another of the Sunni towns that have shaped the resistance to America's occupation. »


La situation en Irak évaluée grâce à des sondages “occidentalisés” (sans doute pour faire plus propre)

Voulez-vous un autre aspect du virtualisme en action, — ou comment les Américains se sont préparés de façon magistrale à ne rien voir venir, à n’y rien comprendre, et à réagir parfaitement à des situations qui n’existent pas ? Alors, lisez ce commentaire de Brendan O’Neill, de Spiked.com, qui ne manque pas cette occasion de rappeler qu’il a fait paraître une étude excellente (notamment dans le Guardian), détaillant les déformations et les inflexions complètement virtualistes des sondages occidentaux effectués en Irak, sur le moral des Irakiens, — qui ne l’ont jamais eu aussi bon, jamais été aussi heureux vous dit-on (« Iraq has never had it so good », de Mark Steyn, dans le Spectator du 27 mars). Leur insurrection est le feu d’artifice de leur complète satisfaction de leur américanisation.

Quelques paragraphes du subtil O’Neill, qui nous décrit simplement ce monde plongé dans les contradictions du virtualisme et des psychologies pathogènes qui le nourrissent.


« If the coalition's intervention gave rise to the current instability, its panicky response to the violence has made things worse. Cautious coalition leaders tend to view Iraq through doom-tinted spectacles, where every protest or act of violence is a warning sign of a coming civil war or national uprising. Presently, Bush officials are seeking to play down the extent of the problem in Iraq. But it was they who first described al-Sadr's movement as 'the greatest threat to democracy'. Democrat senators, watching the violence of the past three days, described Iraq as a 'Vietnam-style quagmire'; 'Iraq is George Bush's Vietnam', declared Ted Kennedy earlier this week. The media have taken their cue from these doom-laden predictions of disaster; on 6 April, both the UK Guardian and Independent led with the frontpage headline: 'On the brink of anarchy.'

» Postwar Iraq is certainly looking anarchic, and the reported American bombing of a mosque in Fallujah today is likely to inflame tensions. But the talk of 'another Vietnam', and potential civil war and bloodshed after the coalition nominally hands power to an interim government on 30 June, is a consequence of a culture of fear and loathing that grips America and Britain as much as it is of the recent violence in Iraq.

» Indeed, the coalition's nervous approach to Iraq, its attempt to pre-empt anything that smacks of an 'uprising', did much to provoke the current instability. Coalition officials claim that al-Sadr and his Mehdi army (to the extent that it is an army) are behind much of the violence, especially in the south and in parts of Baghdad. Yet al-Sadr was, until recently, a 'minor cleric', in the words of the Los Angeles Times; estimates of the number of armed supporters he has vary from 1000 to 10,000. The majority of Shia clerics, including those being courted by the coalition, want nothing to do with al-Sadr.

(...)

» Watching recent events in Iraq, it is hard to be optimistic. Iraqis seem to have the worst of both worlds — invaders who destabilised their country, and American stooges and publicity-seeking mullahs to fill the vacuum. »


Bien entendu, la presse US est de la partie: alignée sur les consignes du Parti

Enfin, l’inévitable cerise de l’énorme pièce montée virtualiste : la vertueuse presse américaine. Ce canon de l’objectivité occidentale s’avère, une fois de plus, complètement aligné sur les consignes du Parti, — le Pentagone en l’occurrence. Les esprits critiques sont déjà au travail et nous livrent les premiers résultats de leurs enquêtes. Le 7 avril, Danny Schechter, de MediaChannel.org, nous donne une excellente étude sur le phénomène, la façon dont les médias américains ont interprété faussement les événements, contribuant à renforcer l’irréalité du tableau, ou la réalité virtualiste.

Cette histoire n’est pas originale mais, au moins, elle est révélatrice. Elle décrit l’un des aspects de l’auto-désinformation où l’Amérique est plongée, comme par système.


« For the most part, the US media, even while reporting on the deterioration of the situation in Iraq, continues to mimic the government's desired media message. That view puts all the blame for the violence largely onto the actions of Shi'ite cleric Moqtada al-Sadr, who has been described as an unrepresentative, mentally unbalanced mullah bent on violence. He is depicted as a hot head, an outlaw and a terrorist. This demonization rarely has been backed up with documentation or detailed analysis.

» Behind the details of the various fire fights and clashes, behind the coverage of a US missile that struck a mosque or even the barbaric images of American military contractors or mercenaries killed and hung on a bridge is a context that most of our media has missed.

» Most US media has not had access to the battlefield. There was only one embedded reporter, Tony Perry from The Los Angeles Times, present in Falluja. Some network reporters have acknowledged that “it is not safe” to leave their offices. Reports on Iraq are now coming out of Pentagon press offices.

» Rahul Mahajan, author of several books on Iraq, says: “We're being told a convenient and self-serving [story about] a few barbaric ‘isolated extremists’ from the ‘Saddamist stronghold’ of Falluja who killed four contractors.” “The truth is rather different,” Mahajan told me. ''Falluja, although heavily Sunni Arab, was hardly in Saddam's pocket. Its imams got into trouble for refusing to obey his orders to praise him personally during prayers.” According to the author, Falluja became a hotbed of resistance on April 28, 2003, when U.S. troops opened fire on a group of 100 to 200 peaceful protesters. Fifteen protesters were killed. »


Post-scriptum: non, finalement la cerise sur le gâteau va à la “coalition”

C’est juste, — la vraie cerise sur la pièce montée doit aller à la “coalition”. Cette entreprise stupéfiante d’achats, dollars sonnants et trébuchants, des alliances pour les USA, pour faire nombre, devient franchement comique, — si ce n’était la tragédie de la situation — face aux événements qui s’aggravent.

Les uns et les autres s’expliquent donc. Ils ne sont pas là en mission de guerre, ils ne partiront pas mais il ne faut surtout pas les voir comme des ennemis. Ici et là, on négocie des accords locaux avec les insurgés. Les autorités de tel et tel “coalisés” annoncent qu’il n’y aura pas de renforcement, qu’il n’y aura pas de remplacement lorsque les troupes reviendront, etc.

Le Guardian nous fait un rapport sérieux de ces sympathiques événements, sans trop s’attarder sur le caractère absolument hollywoodien de cette coalition lorsqu’elle fut constituée, — à coups de subventions, de promesses d’aide, de dons, etc. On pourra se rappeler de ces circonstances en revenant sur un texte de l’époque, sur la façon dont les Américains rassemblèrent cette coalition, organisèrent les pétitions, etc.


« The Shia uprising is exposing the fragility of the US-led coalition in Iraq and putting a strain on the smaller partners. While the 110,000-strong US force and the 8,700-strong British force are geared for combat, many of the other countries joined the coalition in expectation of peacekeeping and reconstruction.

» To the dismay of US central command, Japanese and South Korea forces have retreated to their compounds after coming under fire while Ukrainian and Kazakh forces have been driven out of the town of Kut by Shia fighters. The US military is considering whether it needs to re-deploy 25,000 expected reinforcements from its sector around Baghdad to the south to bolster the coalition forces. The Pentagon has already shored up its troop levels to deal with the deepening chaos by halting the rotation of some 25,000 soldiers due to go home after a year in the war zone. »