La guerre sur les chapeaux de roues crevées

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Parmi les diverses réactions après l’annonce d’Obama de l’engagement dans “sa” guerre, il y a celle d’une fraction d’irréductibles conservateurs-intervertionnistes (quoique les deux mots montrent entre eux quelque contradiction, semble-t-il). Ceux-là accordent tout leur crédit à la date de début de retrait des troupes d’Afghanistan en juillet 2011 et constate que le “surge” victorieux pourrait être un piège.

Voici ce qu’en dit Daniel Gouré, vice-président du Lexington Institute dont Loren B. Thompson est un des fleurons, sur le blog de cet institut, Early Warning, ce 16 décembre 2009:

«…Monday’s Christian Science Monitor reported that “the full complement of American forces deploying to Afghanistan under President Obama’s new strategy will not arrive until November.” The source was no less a person than the Chairman of the Joint Chiefs of Staff, Admiral Michael Mullen. This seems like a direct contradiction of the President’s statement in his West Point speech that the 30,000 additional troops would be deployed in the first half of 2010.

»The point of a surge is to put as much force as can be deployed as rapidly as possible into Afghanistan so as to, in President Obama’s own words “break the Taliban’s momentum.” When such a deployment is spread out over nearly a year, it loses much of its effect. The Taliban will have time and, what is worse, space in which to respond. According to Admiral Mullen, the time we have lost over the past year has had significant consequences for our efforts in Afghanistan. “Getting at this network, which is now more entrenched, will now become a far more difficult task than it did even a year ago.” Imagine what the Taliban can do with another year to prepare.»

Gouré explique alors combien la situation opérationnelle va être compromise, le fameux “surge” évidemment compromis, et la victoire elle-même compromise à cause de la décision de commencer le retrait des troupes en juillet 2011. En effet, Gouré tient dur comme fer que cette décision sera exécutée et que toute cette affaire se résume finalement à une manœuvre d’Obama pour se retirer d’Afghanistan en faisant porter le chapeau aux militaires, après les avoir privés des moyens d’effectivement remporter la victoire annoncée.

«Instead of eighteen months to change the situation in Afghanistan, General McChrystal will have essentially seven months. This makes no sense militarily. But it is brilliant politics. President Obama gave everyone something. Conservatives got a troop increase and liberals got a light at the end of the tunnel. But in reality it is a set up, a fraud. An eight year war cannot be turned around in seven months. But it is the perfect excuse to get out.»

Notre commentaire

@PAYANT On ne sait s’il s’agit bien d’une manœuvre d’Obama, mais le raisonnement, lui, est impeccablement manoeuvrier. On veut dire par là qu’il annonce peut-être bien les explications qui vont commencer à fleurir pour prévenir les reproches d’absence de progrès dans la guerre en Afghanistan, d’absence de victoire décisive, etc. Du reste, on observe que ce n’est pas seulement l’imagination fertile de Gouré qui est en action, mais l’avis de l’amiral Mullen lui-même qui, déjà, laisse aller la suggestion que les trois mois pris par Obama pour parvenir à la décision d’accepter à peu près tout ce que McChrystal lui demandait en août-septembre ont considérablement aggravé la situation et, implicitement, ont vidé d’une bonne partie de sa substance évidemment victorieuse au départ le plan de McChrystal.

Par ailleurs, il y a la question du délai qui, elle, correspond bel et bien à la capacité de déploiement des forces US sur un théâtre d’opération. 30.000 hommes avec tout leur barda et leur vertigineux environnement logistique et autre déployés en un an (puisque la décision d’Obama, annoncée le 1er décembre, était déjà quasiment officielle autour du 20 novembre et qu'on annonce la fin du déploiement pour novembre 2010), pour une opération proposée en juillet-août 2009, donc déjà planifiée, donne une idée des formidables capacités de lenteur, si pas de paralysie de la machine de guerre US. La démonstration en temps réel, ou en planification réelle, est à couper le souffle, et situe le niveau de délabrement et de paralysie bureaucratique où se trouve aujourd’hui cette machinerie. On observera en plus que le raisonnement de Gouré en référence à l’Irak (la rapidité du “surge” comme condition de son succès) est terriblement boiteux si l’on accepte la version la plus proche du “succès” du “surge”, qui est simplement que l’opération a consisté à payer le plus de groupes de résistance possible pour qu’ils cessent leurs actions anti-US, et à replier les forces US sur des positions bien protégées, en laissant le gouvernement central chiite assurer le pouvoir dans la région centrale, et les sunnites et les kurdes assurer le leur dans leurs régions.

Ce type d’argument qui va sans doute se répandre sur les entraves mises aux opérations du “surge” par Obama, en acceptant comme un fait inévitable, dont Obama aurait du tenir compte pour accélérer sa décision, la lenteur incroyable du déploiement, témoigne dans tous les cas de l’état d’esprit des militaires. Commencer à polémiquer de la sorte pour désigner les responsables d’un possible échec avant même de commencer une opération qui nous promet un succès retentissant montre combien le climat général à Washington est délétère. On mesure également le degré extraordinaire de méfiance existant entre Obama et ses généraux, ou entre les généraux et Obama si l’on veut, malgré une décision partout considérée comme belliciste et comme favorisant les généraux, voire même qui ferait considérer Obama comme un complice des généraux. Le fait est que personne n’est sûr de rien, que personne ne sait vraiment s’il y a une chance de victoire, que plus personne ne sait insuffler à la machine de guerre américaniste un élan victorieux, que tout le monde passe des alliances avec tout le monde au sein du système en éprouvant pour ses partenaires la plus extrême méfiance et en n'éprouvant aucune confiance dans les décisions d'action prises en commun. Si ce n’est une nième version de “la discorde chez l’ennemi”…


Mis en ligne le 18 décembre 2009 à 12H27