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261031 mai 2012 – Nous allons nous arrêter à un aspect fondamental de l’évolution de ce qu’il est de moins en moins possible de nommer de l’expression neutre et terne de “relations internationales”, ou du mot de “politique", et dont l’affaire du massacre de Houla est la dernière manifestation spectaculaire (voir notamment ce 30 mai 2012)… Des termes tels que “spasme”, “nausée” ou “pathologie” seraient mieux appropriés pour caractériser ce domaine de l’activité humaine, en général considérée comme rationnel, et en l’occurrence devenue une inversion totale du sens noble de l’idée de politique. Mais on ne doit pas en rester au diagnostic médical ; derrière, et plus profondément, on trouve en vérité un phénomène complètement fondamental, de nature à la fois perverse et métaphysique, qui rend compte de la complète exceptionnalité (évidente par ailleurs, par le fait même) de la crise haute caractérisant notre époque. Une telle approche nous conduit aux limites extrêmes des racines de cette crise, celle-ci alors considérée dans sa globalité, comme la crise fondamentale de notre civilisation, ou “contre-civilisation” pour ce qui est de sa véritable nature que chaque jour de notre temps lui-même exceptionnel découvre.
Nous rappelons quelques faits récents et courants de ces “relations internationales” dans le chef du comportement de ce que nous nommons le bloc BAO, réunissant les pays de l’aire américaniste-occidentaliste (principalement USA et Europe). Le bloc BAO est évidemment le moteur de la crise, dans sa fonction d’exécutant servile et absolument aveugle (dito, sans intention de nuire, trop court pour cela) du Système.
• Nous revenons sur la rencontre avortée et reportée de Poutine et d’Obama, que nous présentions le 10 mai 2012. Dans notre appréciation de cet événement, nous mettions en avant l’insatisfaction russe de certains points fondamentaux dans les relations russo-américanistes, et notamment ce que nous nommons l’“agression douce”, c’est-à-dire l’ingérence US dans les affaires intérieures russes, et la violation par conséquent du principe de la souveraineté nationale. Cette idée a été défendue avec force par Vladimir Poutine lors d’une rencontre impromptue et fort discrète, le 4 mai, en marge de la conférence de Moscou sur les euromissiles, avec le conseiller d’Obama pour la sécurité nationale Thomas Donilon. Nous avons consacré un texte à cette rencontre (le 11 mai 2012), où nous confirmions cette attitude générale d’un Poutine reprochant aux USA leur “agression douce” contre la souveraineté russe. (Le 25 février dernier, lors de la campagne électorale, Poutine mettait cet interventionnisme US contre le principe de la souveraineté nationale sur le même plan que les interventions du bloc BAO en Libye et en Syrie : «Referring to the Russian and Syrian situations, Putin warned that Moscow would “counter attempts to use human rights concepts as an instrument of political pressure and interference in the internal affairs of states.”»).
Il s’agit évidemment d’une mise en cause d’un activisme qui touche fondamentalement au principe de la souveraineté nationale russe. Ce qui est remarquable dans ce schéma de l’activisme américaniste en Russie, c’est sans aucun doute la transgression affichée d’un principe, ou du Principe d’une façon générale, encore plus que le fait même de l’activisme. Le fait extraordinaire et absolument significatif est l’implication directe, visible, même affirmée et affichée de l’ambassadeur US à Moscou McFaul, qui provoque désormais des remous officiels avec le gouvernement russe.
• Comme on le sait, cette tendance est devenue systématique dans l’activisme du bloc BAO, suivant en cela les USA, comme en Libye et en Syrie bien entendu, mais aussi dans les diverses actions “couvertes” (en Iran, au Pakistan, au Yemen, etc., etc.). Le comportement le plus souvent “à ciel ouvert”, paradoxalement même pour les activités dites “couvertes” qui sont présentées dans la communication qui en est faite comme tout à fait légitimes, est, dans ce cas également, encore plus remarquable que l’activisme lui-même. (Ce point tranche complètement avec les attitudes dans les époques précédentes. Alors, un agent secret ou un commando spécial envoyé sur un territoire étranger était nanti de l’avertissement des autorités commandant l’intervention : “Si vous vous faites prendre, sachez bien que nous ne vous connaissons pas, que nous n’avons rien à voir avec vous”.) C’est le facteur fondamental de ces activités telles qu'elles sont devenues, celui qui en est la marque, la justification, le paradigme : en quelque sorte, on justifie l’activisme lui-même par le droit, sinon le devoir de violer la souveraineté nationale d’autrui, pour marquer combien l’activisme du Système est légitime. Il y a la nécessité de violer un principe (la souveraineté) pour affirmer une “conduite” qu’on voudrait faire prendre pour un “principe” (la légitimité de l’ingérence), et qui n’en est évidemment pas un (illégitimité par contradiction dans les termes de la “légitimité de l’ingérence” : une violation d’un principe ne peut fonder un principe ; elle n’est acceptable que si elle se fait en mode “covert”, répondant à une realpolitik qui est nécessairement sans principe). On pourrait alors observer qu’il y a négationnisme du Principe, littéralement comme s’il n’existait pas… Le résultat se trouve dans des forces armées transformées peu à peu, puis de plus en plus vite, par privatisation, nécessité de l’action non détaillée, etc., en violeuse professionnelle de tous les principes, en ce que nous désignons et définissons (voir le 26 mai 2012) comme «une sorte d’organisation-tueuse, ou organisation mafieuse par excellence, agissant comme telle, à la façon des gangs du crime organisé dans les années 1930 et 1930. On donne à dessein cette image, dans la mesure où cette évocation du “crime organisée” implique effectivement, dans cette action internationale, un mépris complet de la notion du Principe en général, du principe de la souveraineté nationale en particulier.»
Comme nous l’observions le 24 mai 2012, cette attitude va jusqu’à détruire toute esquisse de légitimité, même dans les cas les plus rocambolesques du “terrorisme” que des pays du bloc BAO “sponsorisent” pour lancer des attaques contre les structures en place, puisque rien n’est proposé à la place (doctrine du “regime change”, formule sophistique qui devrait en fait être nommée “regime destroy”). Par ce rien, nous entendons une sorte de chaos par défaut, fardé comme une fille de “valeurs” qu’on fait prendre pour des principes, dont nul observateur de bon sens n’ignore la tromperie faussaire et qui agissent ainsi en accélérateur de la chose, laquelle s’avère finalement être une dynamique incontestable du susdit rien, – rien multiplié par rien. Seule notre contre-civilisation, née du “déchaînement de la Matière” peut justifier une telle équation… Dans ce cas, il est évident que non seulement nous détruisons le Principe structurant, mais nous le détruisons avec notre propre absence de principe : l’illégitimité enfantée par l’illégitimité, donc illégitimité présentée comme son contraire, – à nouveau le maquillage d’une fille… D’où le résultat :
«…Du côté des “forces” ainsi “sponsorisés”, un phénomène qu’on peut décrire classiquement comme un effet-miroir s’est développé. On le mesure en deux phrases extraites d’un long rapport extrêmement documenté de source européenne, sur la situation en Libye, qui reste par ses effets l’opération fondamentale et fondatrice de cette phase de l’expansionnisme américaniste-occidentalioste ; c’est-à-dire un expansionnisme dissolvant, au départ qui semble dissolvant pour l’objectif visé selon l’ersatz de stratégie affirmée (regime change), et qui le devient, dissolvant, de plus en plus pour cette stratégie elle-même, puis pour toutes les dispositions tactiques engendrées par ces actions, donc pour l'expansionniste lui-même. Ces deux phrases extraites du rapport caractérisent la situation d’AQIM (Al Qaïda In Maghreb) en Libye, puisqu’il est désormais admis sans la moindre gêne ni réserve qu’al Qaïda est présent partout : «Nevertheless, it would appear that AQIM no longer relies on crime to finance terrorism. Instead terrorism has become used as a cover-up for the crime…» En d’autres termes, notre expansionnisme dissolvant, basé sur une stratégie vide, ou nihiliste par simple insubstance d’elle-même, parvient même à transformer les “forces” dites terroristes et disposant d’un semblant d’organisation, en structures de crime organisé, ou de “crime opérationnel”, qui se dissimule sous le label de “terrorisme” (AQIM) ; et il parvient même à transformer la perception à ce point où le mot “terrorisme”, par rapport au chaos de la dissolution et au chaos en dissolution, devient un label d’honorabilité…»
• L’intérêt de ce débat est que cette attitude s’est étendue à d’autres domaines, très différents de celui de l’ingérence activiste, politico-idéologique ou politico-militaire, dans la souveraineté nationale de pays jugés comme “hostiles” ou “inamicaux” par rapport au bloc BAO. Nous nous rapportons dans ce cas à un récent texte de Daniel Goure, du Lexington Institue, institut de type “frontiste” travaillant sous la couverture d’un institut d’étude pour l’industrie d’armement, ou dit autrement, pour le complexe militaro-industriel (CMI). Dans ce texte du 2 mai 2012, Goure fait quelques observations peu ordinaires, résumées par le titre de son articles selon lequel “la souveraineté nationale [est] la faiblesse mortelle de l’OTAN et de l’UE”. On notera effectivement que ce texte s’adresse aux alliés des USA, directement aux autres pays du bloc BAO… Allons-y pour le texte de Goure, que nous avons concentré sur l’argument essentiel que nous voulons mettre en évidence.
«Today, it is no exaggeration to say that the fate of two of Europe's – really the world's – greatest collective organizations of nations hang by a proverbial thread. Having successfully ended the Gaddafi regime in Libya, but at the price of revealing to the world its fundamental weaknesses in will, wallet and the means of war, NATO must now demonstrate its ability to address these deficiencies or risk a fundamental Trans-Atlantic breach. The European Union (EU) is equally beset by difficulties that call into question its relevance and even viability… […]
»Much and perhaps most of NATO and the EU's current travails can be traced to the same basic flaw: national sovereignty. Both organizations have elaborate consultative and rule-making structures. […] Yet, the central fact that determines the way both organizations function – or in this case fail to do so – is that their members retain their sovereign rights as independent states.
»[…M]ost of the military forces the Alliance has are the result of decisions by individual countries. Rather than this being seen as a serious problem for the Alliance, its members view the exercise of national sovereignty in ways that do damage to the collective security of all members as something in which to take pride. The EU's current problems are a consequence of protecting its members’ individual rights, particularly the right to cheap money and to mishandle their national budgets, and not mandating individual responsibility. Faced with the possible collapse of the single currency, the Union's members cling ever tighter to their sovereignty. […]
»Supporters of both institutions will no doubt respond that if national sovereignty had not been protected there never would have been a NATO or an EU. Fair enough. However, if national sovereignty is also a fatal weakness in both, then we are all kidding ourselves about their future prospects.»
On ne s’attardera pas à la stupidité et à la fausseté du matériel intellectuel et documentaire de l’argumentation. (D’ailleurs, on en a éliminé le principal, qu’on peut retrouver dans le texte complet, – vraiment aucun intérêt, sinon pour qui cherche à se documenter sur l’argument primaire-Système.) Depuis plus de soixante ans qu’existe l’OTAN, la psychologie américaniste, appuyée sur l’inculpabilité et l’indéfectibilité, alimente l’esprit américaniste des mêmes sophisme du niveau du bazar dont la promotion de l’achat de matériels de défense US est l’un des buts. La substance même de l’argument est tissée du mensonge involontaire et systématique de la démarche, dont le seul but est la glorification par défaut de l’américanisme et de tout ce qui en dépend.
Mais ce n’est pas ce qui nous importe. Cette vue complètement faussaire sur les vertus imaginaires de l’OTAN (gardons ce seul cas, en plaçant l’UE en second dans les préoccupations de Goure) est, elle aussi, vieille de plus de 60 ans, depuis que les USA prétendent s’intéresser au reste du monde (ROW). Ce qui nous intéresse, c’est la structure fondamentale de la démarche. Durant les longues années stériles que nous avons évoquées, l’argument US qui fustige les alliés pour leur prétendue inefficacité et leur recommande de se regrouper derrière la bannière étoilée par l’intermédiaire de l’OTAN, et en achetant Made in USA s’il vous plaît, a toujours été appuyé sur des propositions techniques et bureaucratiques d’interopérabilité, de coopération, d’intégration, etc., – tout cela sous contrôle US exclusif, cela va de soi. Cela liquidait évidemment la souveraineté nationale des coopérants européens, ce qui était un problème mineur pour la plupart d’entre eux, qui n’en ont point (de souveraineté nationale). Mais c’est la première fois, à notre connaissance, que l’argument touche nommément le Principe lui-même, dans une extraordinaire inversion intellectuelle : le Principe, qui est la structure même, ce qui fait la cohésion, la légitimité, l’autorité, etc., est présenté comme “une faiblesse”, – le tronc central de toute civilisation présenté comme une tare, comme un moteur de dissolution, comme une “faiblesse mortelle” (“fatal weakness”), – comme si un architecte venait vous présenter le plan d'une maison en vous disant : “pas de fondations, pas de poutre maîtresse ; tout cela c'est plus qu'inutile, c'est une faiblesse mortelle”. Il y a une sorte de perfection qu’on qualifierait de sublime dans l’inversion.
On comprend que ces divers cas et exemples développés ne sont pas limitatifs, qu’ils sont effectivement exemplaires d’une situation générale qui est le négationnisme absolu de la souveraineté, de la légitimité, etc., – en un mot, de ce que nous nommons le Principe puisque, en l’occurrence, la souveraineté et la légitimité en sont ici les émanations. Le but de l’exposition par nous de la même attitude dans des cas si différents est effectivement de montrer qu’il s’agit désormais d’une attitude universelle dans le chef du bloc BAO et du Système. Il s’agit d’une attitude de type systémique et sur un mode systématique, cela va de soi, une attitude où l’acte n’a plus aucun besoin de justification et n’est plus gouverné par la pensée, où il est accompli comme gouverné par une fatalité et attiré comme par un aimant par la destruction du Principe comme achèvement de lui-même. Certes, nous avons surtout cité des exemples américanistes parce qu’ils sont les plus évidents, et qu’ils sont les plus intéressants à examiner comme étant les plus significatifs, mais on observera que cette tendance est présente effectivement dans tout le bloc (attitude des pays de l’OTAN non-US vis-à-vis de la Libye, de la Syrie, attitude de l’UE vis-à-vis de certains États membres comme la Grèce, etc.). Cette attitude de type systémique et selon une action systématique émane du Système, avec la situation évidente que l’américanisme en est le principal moteur.
Cette attitude profite-t-elle à l’américanisme en tant que structure d’un principe de souveraineté ? On pouvait encore avancer l’argument, déjà discutable, il y a quelques années. Aujourd’hui, cela nous paraît quasiment impossible. Outre le fait fondamental pour nous que l’américanisme per se n’est pas une entité régalienne, jusque dans l’essence de sa fondation qui en est l’antithèse, et ne peut donc secréter de souveraineté ; que cette souveraineté n’a jamais existé qu’au niveau des États de l’Union et qu’elle a été, sinon détruite, du moins contrainte d’une main de fer par la Guerre de Sécession ; outre cela, il y a des signes de plus en plus convaincants de la dissolution de l’américanisme dans ses apparences de souveraineté… Le pays lui-même est soumis à des tensions centrifuges qui ne cessent d’émietter ce qui lui sert de structure artificiellement principielle, et le chaos de sa direction, sa rupture totale avec sa population autant que la subversion de sa politique extérieure font que les véritables “souverainistes” aux USA sont ceux qui s’opposent au centre, à sa politique extérieure destructrice de souveraineté, au gouvernement central au profit des États (cas des “paulistes”, ou partisans de Ron Paul). Du point de vue même de la situation géostratégique de la puissance soi-disant souveraine, certaines situations de zones des USA comme celles de la frontière mexicaine sont installées dans des caractères de non-droit et de non-souveraineté, montrant la dissolution de l’espace américaniste lui-même, témoignant de l’insubstance manifeste du point de vue principiel. La pratique générale d’un capitalisme US (structure financière et corporate power) totalement déchaîné, sans aucune régulation et absolument transnational, pulvérise les frontières et rend encore plus grotesque toute identification souveraine ; ses effets aux USA sont la destruction de l’économie, du corps social et des structures fondamentales du pays, ainsi que de la psychologie collective installée depuis deux siècles par les pressions constantes de la communication. Tous ces exemples renvoient eux-mêmes à l’attitude systémique et systématique émanant du Système, montrant que l’action du Système n’épargne absolument en rien son propre moteur principal qu’est l’américanisme.
Ainsi, l’attaque contre la souveraineté est-elle générale et semble ne profiter à personne ; ou bien, profiterait-elle à un pouvoir caché, qui tendrait à se révéler en effectuant une “prise de pouvoir” subreptice au nom de “pouvoir mondial”, d’un “nouvel ordre mondial”, etc., comme le craignent certains ? Il est incontestable que des structures dans ce sens existent, et que le projet d’un “gouvernement mondial” existe, comme il a d’ailleurs toujours existé. Un tel projet est aussi vieux que le monde et que l’espèce et se retrouve au fil de la décadence de l’histoire vue d’un point de vue métahistorique, chronologiquement dans les notions d’Empire ou d’“Empire du monde”, de sociétés secrètes, dans le caractère naturellement multinational/supranational du monde financier, ou du capitalisme lui-même, ou encore dans les courants révolutionnaires, communistes et apparentés, etc. Les USA eux-mêmes furent créés, implicitement appuyés sur de telles notions. Mais l’état de l’esprit et d’une conception aussi vieille ne reflète pas nécessairement la vérité de notre situation. L’attaque contre le Principe, contre la souveraineté, la légitimité et l’identité, n’implique en rien, comme ce serait le cas par automatisme de vases communicants, un triomphe par antithèse, comme si l’acte absolument négatif de la dissolution recélait un double positif de structuration au profit d’un “gouvernement mondial”, comme si l’attaque prédatrice contre le “principe du Principe” dans un cas pouvait nourrir le “principe du Principe” dans un autre, – conception absurde et impossible. Notre appréciation opérationnelle est même que nous fûmes bien plus sous la domination de structures de facto supranationales hier (alors qu’on en parlait peu, signe de leur puissance) qu’aujourd’hui (alors qu’on en parle beaucoup, signe de leur crise), parce qu’hier le Principe n’était pas l’objet de l’attaque qu’il subit aujourd’hui. (Tout cela va sans parler de situations historiques beaucoup plus vieilles où régnaient effectivement des “ordres mondiaux” spécifiques, fussent-ils ceux, incomparablement puissants et légitimes, de la Pax Romana ou de l’Église au sommet de sa dynamique d’influence, au “temps des cathédrales”, aux XIIeme et XIIIème siècles.)
Un exemple particulièrement frappant de cette situation qui dilue et dissout dans l’attaque contre le Principe la possibilité même d’un “gouvernement mondial” dans la séquence longue de notre époque, c’est l’ONU. Perçue à partir de 1945 comme l’instrument principal d’une finalité d’une “gouvernance mondiale” (“le machin” du général de Gaulle), l’ONU a évolué d’une manière complètement paradoxale. Dès 1989-1991, son rôle commença à changer décisivement, pour complètement basculer en 2001. En 2003, l’ONU fut l’instrument qui permit à la France de s’opposer à la légitimation faussaire et invertie d’une attaque anglo-saxonne majeure (l’Irak) contre la souveraineté, contre le Principe. (Paradoxe et inversion puisqu’une telle légitimation eut impliqué l’affirmation du Principe de la légitimité pour violer le Principe de la souveraineté, ce qui est logiquement absurde.) Aujourd’hui, l’ONU est le principal instrument de résistance des pays qui défendent la souveraineté et le Principe, la Chine et la Russie avec leur droit de veto. Effectivement, ce qu’on a peiné d’abord à distinguer mais qui apparaît de plus en plus évident, c’est que la “résistance” contre l’“hégémonie” anglo-saxonne (cœur du bloc BAO) par le biais de l’ONU s’avère en réalité une résistance contre le Système, lequel porte en lui l’instinct de la mort du Principe, cette haine contre le “principe du Principe”.
Ce qui nous conduit à notre constat essentiel en nous amenant au fondement de notre propos : la question de “la gouvernance mondiale” ou du “nouvel ordre mondial” ne se pose pas, parce que le mouvement qu’on croirait porteur de ces ambitions (“gouvernance mondiale”, “nouvel ordre mondial”) est en réalité devenu, ou plutôt s’est révélé en découvrant ce qu’il dissimulait, un mouvement qui porte en soi, comme caractéristique unique, la haine du “principe du Principe”, c’est-à-dire la volonté de mort du Principe. Il en résulte évidemment que ce mouvement ne peut pas s’inscrire lui-même dans le Principe, il ne peut créer une souveraineté, il ne peut affirmer une légitimité. Il ne peut donc être ni “gouvernance”, ni “nouvel ordre”, car ces deux choses nécessitent le Principe, pour affirmer leur légitimité et faire régner leur souveraineté qui, seules, leur donneraient sureté, puissance et droit. On entre alors dans un autre domaine.
Quelles que soient les calculs, les ambitions et les volontés des uns et des autres, des “machins” comme l’OTAN, Wall Street ou les Bilderbeg, il nous paraît manifeste que la bataille en cours a quitté le champ des habituelles querelles terrestres. Désormais, ce que nous nommons le Système joue un rôle absolument dominateur dans l’orientation de l’attaque générale en cours, qui n’est plus faite contre des nations, des intérêts, des aires ouvertes à la domination et à l’exploitation, des races, des religions, des idéologies, etc., – mais contre “le principe du Principe”. Il s’agit d’une attaque contre tout ce qui est structure, organisation fondée sur le Principe, équilibre, etc. Cette attaque se définit d’ailleurs fondamentalement par son but, qui est celui de la déstructuration, puis de la dissolution, puis de l’entropisation du monde. La dynamique du “déchaînement de la Matière” joue désormais un rôle fondamental, écrasant et dévastateur.
Nous avons chaque jour l’exemple de l’hystérie que déclenchent les contradictions insupportables de politiques rationnellement folles chez ceux (les sapiens des directions politiques) qui croient les conduire alors qu’elles sont enfantées par la haine du “principe du Principe” qu’impose le Système. C’est encore le cas pour le massacre de Houla, en Syrie, la semaine dernière. Cette hystérie doit être pesée pour ce qu’elle est : la réaction du fou, de la psychologie sous l’empire de la suggestion et de la sujétion, trouvant dans ses mensonges hurlées sous le coup de l’émotion de la communication un argument qui l’exonère, en lui faisant croire un instant à sa maîtrise et à sa cohérence, de toutes ses angoisses et impuissances éprouvées devant cette “politique” qui l’enchaîne à l’autodestruction. Il y a là la manifestation d’une force qui dépasse l’organisation humaine et qui agit en état de surpuissance (selon le schéma surpuissance-autodestruction) sur les psychologies humaines qui lui sont soumises. Il est effectivement de notre devoir intellectuel de considérer le phénomène de cette force selon l’hypothèse très puissante que cette force n’est pas de facture humaine, tant il est évident que les humains n’en ont aucun contrôle, n’y entendent rien et n’y voit qu’un baume temporaire à leur hystérie incompréhensible pour eux. C’est un devoir intellectuel de considérer l’hypothèse de l’extra-humain dans l’ordre de la puissance, en observant que cette force a manifestement une finalité négative d’entropisation mais qu’elle produit dans sa dynamique un effet de destruction d’elle-même (d’autodestruction). C’est également un devoir intellectuel d’envisager avec tout le sérieux et la hauteur d’une raison où la subversion serait réduite par l’intuition haute de considérer l’hypothèse de la métahistoire intervenant désormais directement dans notre histoire, – celle-ci devenant ainsi “Histoire”.
Selon une autre référence qui nous est chère, qui est celle de Joseph de Maistre, notre jugement est que nous subissons, ou expérimentons, une crise qui est un “Moment” exceptionnel de l’histoire, où l’histoire devient Histoire, c’est-à-dire directement métahistoire. C’est ce que le comte Joseph exprimait en qualifiant effectivement de “Moment” nécessaire la Révolution française («Il fallait que la grande épuration s’accomplît et que les yeux fussent frappés…»), ce Moment où la métahistoire, ou la transcendance, quittant les voies indirectes habituelles, s’adresse directement à nous:
«[…I]l fallait que le métal français dégagé de ses scories aigres et impures, parvînt plus net et plus malléable entre les mains du Roi futur. Sans doute, la Providence n’a pas besoin de punir dans le temps pour justifier ses voies ; mais, à cette époque, elle se met à notre portée, et punit comme un tribunal humain.» (*)
A cette observation de l’intervention directe de la métahistoire dans notre Moment, pour décrire la “crise haute” qui bouleverse notre temps, nous ajoutons précisément la spécificité du cas ; nous ajoutons la notion de Système comme représentation paradoxalement structurée du “déchaînement de la Matière”. Le Système enfante dans sa course folle la transmutation de sa dynamique de surpuissance en dynamique d’autodestruction, ce qui passe tout aussi paradoxalement par la destruction du Principe dont la manifestation artificielle, grossièrement caricaturale et absolument invertie, – toujours le maquillage d’une fille, – est entretemps devenu le tronc central subverti de sa propre structuration. S’étant structuré selon une référence principielle qui est la source de toute structuration, mais pour détruire le Principe, le “déchaînement de la Matière” devenu Système se détruit elle-même, ou lui-même ; et cette destruction se fait dans d’affreux tourments du Système lui-même, puisque c’est la haine du “principe du Principe” et la mort du Principe qui le conduisent, et qu’alors c’est lui-même qu’il tue en même temps ; et ce qu’il tue, et qu’il croit être le Principe, n’étant plus, grâce à lui-même (le Système), qu’une caricature invertie du Principe...
C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Le spectacle est grandiose et, en un mot, il est sublime. Observez-le comme il se révèle à nos yeux, grandiose et sublime, comme la fin de notre Temps de l’inversion.
(*) Les deux citations sont de Considérations sur la France, 1796, et le souligné en gras est de nous. (Dans Joseph de Maistre, Œuvres, Bouquins, Robert Laffont, Paris 2007.)
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