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43542 mai 2021 – Au moins, “les quartiers” obéissent aux généraux. Après la description d’une France proche de la guerre civile et du chaos (au choix, ou les deux) par le fameux multi-« quarteron[s] de généraux en retraite », “les jeunes” garnements, – qu’il faut savoir “écouter” en les respectant, – se sont exécutés : coups de feu, bang-bang, douilles de 9mm...
Vidéo en action, impressionnante, le 1er mai au soir : « Non ce n’est pas le tournage d’un film mais la réalité dans certains quartiers. Images impressionnantes d’une fusillade à Valence dans le quartier de Fonbarlettes où la police a interpellé récemment des trafiquants de drogue » (tweet du Syndicat des Cadres de la Sécurité Intérieure).
Drôle de situation en France, comme on disait “drôle de guerre”, mais en moins drôle... J’ai suivi avec une dérision assez lasse, avec le sens du pathétique d’une tragédie qui n’arrive pas à se débarrasser du bouffe tragique de ses participants les plus institutionnalisés, la saga de la “Lettre Ouverte” (des généraux). J’ai apprécié à sa juste valeur le courroux de leur ministre, et la raideur service-service au service empressé de la République d’un chef d’état-major demandant il y a 3-4 jours des sanctions après avoir exhorté les cadres et esprits de l’armée, en janvier 2018, à faire ce que ces généraux-félons ont fait, – et qu’ainsi devaient éclore les Cent-Fleurs de la parole libérée de la Grande Muette aux oreilles séduites de la Nation :
« ...Le général regrette alors [en janvier 2018, dans une tribune du Figaro] “l’effacement de la parole du soldat ”, depuis le traumatisme de 1940 et la guerre d’Algérie. Plutôt que d’être “résignés au mutisme”, il enjoint les militaires à écrire et à “développer la réflexion sous toutes ses formes et dans toutes les dimensions”. Objectif : “Que les consciences s’éveillent à la centralité des thèmes relatifs à la confrontation et au fait guerrier”, pour sortir de “l’illusion des dividendes de la paix”. Trois ans plus tard, son vœu est exaucé dans Valeurs Actuelles, où la tribune signée par plus de 8000 soldats met en garde contre la possibilité d’une guerre civile. » (“Valeurs Actuelles” [VA] n’a pas raté cette célébration mémorielle.)
On connaît la musique des réactions à cette “Lettre Ouverte”, de la part des habitués de l’outrage. Pour avoir un peu de vent frais, on lira la tribune du 30 avril de l’avocat Gilles-William Goldnadel (Tiens, encore un de VA), qui assumera la défense des militaires qui seront ou seraient poursuivis. On croirait entendre, en moins bombastique et en plus sarcastique, le Tixier-Vignancourt du procès Salan.
Nous y sommes... Salan, avril 1961, etc. J’ai vécu le putsch d’avril 1961, à Alger, au cœur du chaudron, et moi-même élève assez moyen profitant de n’importe quelle occasion pour me dissiper, pourtant (encore) bien loin de la conscience politique, c’est-à-dire dans une extraordinaire inconscience, très en retard pour mon âge et tout à mon imagination. Mais dans cette terrible séquence, les événements nous menaient à un train d’enfer, et cela je le ressentais bien.
Ainsi en suis-je arrivé, après bien des tangages et des roulis mais encore plus à la lumière d’aujourd’hui et de ses événements, à juger la politique officielle d’alors dont je suis malheureusement obligé d’y reconnaître du pur de Gaulle, comme une catastrophe qui ne justifiait en rien qu’on baptisât, sans s’en expliquer un peu plus, cette action des généraux du qualificatif honteux et sans retour de « sédition ». Il y était plutôt question, à côté des naïvetés, – des inconséquences, des erreurs tactiques, des accusations horrifiées, d’honneur, d’héroïsme et de parole donnée-retirée, – et passez muscade... (*)
Le parallèle entre la “Lettre Ouverte” et avril 1961 est complètement obscène. Seule l’absence de culture du plus grand nombre, et le cynisme oublieux de certains (Mélenchon), permettent de telles obscénités, et si l’on considère objectivement ce jugement que je présente on doit conclure qu’il ne mérite ni ne supporte aucune contradiction. Par contre, on peut observer certaines conséquences de la “Lettre Ouverte”, passés l’écho des incroyables cris d’orfraie poussés et entendus à cette occasion, conformément aux standards-Système, et les 58% de soutien de cette “Lettre Ouverte” dans la population, selon un sondage.
• L’une des plus remarquables, sans aucun doute, est l’écho (autre sorte d’écho, mais conséquence de l’écho-Système parisien) obtenu dans certaines presses étrangères, notamment anglo-saxonne. Ces presses sont friandes de nouvelles sensationnelles venues de France, et la nouvelle est aussitôt dépouillée de toute nuance puisqu’elle affirme la revendication d’un régime militaire. « Des généraux [français] appellent à un régime militaire pour empêcher la France de “se désintégrer avec les islamistes” », écrit le “Times” de .Londres. Beaucoup du reste est à l’avenant.
• Pendant ce temps, une autre nouvelle de la même eau et que je tiens fermement pour une conséquence directe et impérative du bruit de la “Lettre Ouverte”, pour ce qui est de l’acte de la fuite et de l’écho qui accompagne ses effets. Dans le JDD (“Journal Du Dimanche”) de ce jour, on trouve donc des nouvelles fuitées sur un rapport du CRI (Cercle de Réflexion Interarmées) remis le 14 avril aux groupes parlementaires de l’Assemblée Nationale, et, on vous l’assure, sans rapport aucun sinon celui des jeunes pousses de printemps avec la fameuse “Lettre Ouverte”...
« Un travail “responsable et impartial”, souligne l’un des rédacteurs, sans rapport, selon lui, avec la lettre ouverte controversée des généraux à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, mais qui fait pourtant le même constat...
« ....“Une guerre hybride nous a été déclarée, elle est multiforme et s'achèvera au mieux sur une guerre civile, ou au pire sur une cruelle défaite sans lendemain”...Les menaces qui pèsent sur le pays seraient l’“islamisme, l’immigration, la bi-nationalité et la perte de repères dans la jeunesse”... “[Il faut] forger les armes psychologiques, sociologiques, morales, éducatives, juridiques et pénales pour la conduire et la gagner” »
La “Lettre Ouverte” publié d’abord sur le site Place d’Armes le 13 avril n’avait eu aucune conséquence de communication. Si la même non-réaction, ou au plus un commentaire du type “à bas-bruit”, avait accueilli la publication sur VA, on aurait déjà oublié l’affaire et on serait passé à autre chose. Je suis assez proche de croire que les effets et échos importants que l’on recueille un peu partout, et jusques et y compris dans la presse anglophone où l’on passe allègrement à la proposition d’un gouvernement militaire en France, que ces effets et échos sont pour l’essentiel sinon exclusivement dus à la réaction parisienne, outrancière et extraordinaire, à la Mélenchon en flanc-garde de l’horreur exprimée par les fidèles archers de la Macronésie du gouvernement et de l’Assemblée.
Et ainsi l’ensemble constitue-t-il un événement important, sans tenir compte un seul instant de la valeur de tout ce qui s’est dit. Seules comptes l’ampleur du bruit et les réactions pavloviennes et compulsives déclenchées par des slogans aussi vieux et aussi consistants que la neige de la prise du Palais d’Hiver ou les débris fumants de l’incendie du Reichstag.
Sur C.News lundi, Charlotte d’Ornellas, de VA, jugeait « hallucinante » la manœuvre de Mélenchon, consistant à allumer un feu roulant, une sorte de contre-feu de communication, contre la “Lettre Ouverte”, pour faire oublier, de ce même point de vue de la communication, le dernier attentat terroriste contre une policière et l’implication de l’islamisme qui l’accompagne. J’admettais que c’était bien jugé d’une part (d’Ornellas), bien joué tactiquement d’autre part (Mélenchon). Aujourd’hui, mon jugement est complètement renversé sans pour autant démentir le premier du genre, – c’est simplement que les choses vont si vite, et que la communication est un outil si puissant.
Tout ce bruit dont Mélenchon est effectivement le tambour-major, impose par sa force mais tout à fait au contraire de son contenu ridicule, une nouvelle réalité, un renforcement décisif de l’idée que l’armée a son mot à dire dans le débat sur la situation sécuritaire et stratégique de la France, que la guerre « est en cours », que le rapprochement des deux choses (“armée” et “guerre”) mesure l’extrême gravité de la situation française.
L’alerte mélenchonesque est si fortement appuyée sur la mollesse et l’inconsistance des attendus, que le résultat est le renforcement décisif de ce qu’elle prétend dénoncer. La vérité-de-situation se situe là où l’essence des choses se situe, et nullement du côté de tel ou tel incendiaire, fût-il animé des plus délicates attentions du monde. Grâce à sa lanterne où il a l’habitude de balancer les aristos, Mélenchon a bien éclairé une nouvelle dimension de la situation française qu’il a si élégamment contribué à créer.
... J’énoncerais cela, – l’entrée de l’armée dans le débat, – comme une hypothèse qui est presque un fait achevé et mis en place, dont on ignore ce qu’il va donner, plutôt qu’un motif de satisfaction ou l’esquisse affreuse d’une alarme qui ne l’est pas moins. Il est vrai que je n’ai pas d’élection en vue. Je vous avise que ma lanterne à moi se nomme nostalgie.
(*) Pour cette partie de la guerre d’Algérie, de 1958 à l’indépendance, il serait de bon esprit de lire le livre de Georges-Marc Benamou, « Un mensonge français, Retours sur la guerre d’Algérie. » Pied-noir, Benamou était un proche assez ambigu de Mitterrand, et je le classerais plutôt dans ce qu’on pourrait nommer “le parti de Camus”, ce qui n’en fait nullement un inconditionnel, loin s’en faut, de ce qu’on pourrait nommer “le parti de l’Algérie française”.
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