La leçon bien apprise, ou le philosophe-robot

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Il faut noter, lire et apprécier un article du philosophe français André Glucksman, dans l’International Herald Tribune du 5 octobre. Le sujet, c’est bien sûr l’Iran, ou plutôt, la guerre contre l’Iran qui ne saurait tarder, — espérons-le. Le contenu, c’est la leçon bien apprise, — de tout ce que vous voulez (néo-conservateurs US? Les grands courants de pensée Rive-Gauche? Le Pentagone? Les réseaux du ministre Kouchner? Bof, le choix est si vaste). La cause de l’article, c’est que Kouchner se sent un peu seulet en ce moment, et qu’il a besoin du soutien des amis. Dont acte.

Passons à l’accessoire… Quelques morceaux de choix divers dans l’article. Voici que le philosophe parle du danger de la bombe iranienne:

«It is now high time to assess the risks openly and frankly. Is there a real threat? All experts agree on Iran's technical capabilities. Two to four years will be sufficient to reach the point of no return. Therefore, time is of the essence. But is the prospect of a nuclear Iran enough to scare the Western democracies into urgently mobilizing to prohibit Iran from crossing the ultimate threshold? Or should one rather consider, as Jacques Chirac did in January 2007, that one nuclear power more or less should not lead to so much fuss?

»The idea that an Iranian nuclear bomb would be without consequences for world peace emanates from the most ignorant fantasies, as Saudi Arabia, Turkey and Egypt would not bow to the nuclear hegemony of Iran. Beware of the damage! In the dime-sized Middle East, with its ill-defined borders, its theological disputes and its oil, a potential nuclear civil war is painted on the horizon.»

Le général Abuzaid est-il un fantaisiste, lui qui pense comme Chirac tel que cité par Glucksman? Ou un traître, comme le démontre aisément Michael Ledeen, inspirateur et co-directeur de conscience de Glucksman? Et nieriez-vous que l’Iran se répare à une “nuclear civil war”, comme le suggère le général “néo-conservateur” McInerney, par ce biais second co-directeur de conscience de Glucksman? Il n’est pas sûr qu’il soit bien nécessaire de poursuivre le questionnaire. Glucksman aurait pu faire plus court en proclamant, comme madame Cagan: «In any case, I hate all Iranians.» Mais non, il faut qu’il s’explique, qu’il démontre. Un vrai philosophe, qui mériterait d’être entendu à Washington-robot.

Et puis il se fait historien. A notre sens, c’est le morceau de choix, pour ne pas dire le morceau de roi. C’est la démonstration que tout va assez bien en Irak, c’est-à-dire pas si mal, qu’il fallait y aller, qu’heureusement que les US sont là et ainsi de suite. Vraiment, l’Irak c’est leur breloque à tous ces gens, leur calvaire, leur casserole et leur fil à la patte. Il leur faut démontrer que cette bouillie sanglante est une chose vertueuse.

«Has nobody learned anything from the Iraqi doldrums? We think we know what we are talking about when we speak of “insurgents” and “Iraqization,” but we err.

»The Spanish guerrilla war against Napoleon, the resistance against Hitler and the anti-colonial insurgencies were first and foremost directed against a foreign army, secondly against “collaborators” and lastly and only sporadically against the people in order to mobilize them by intimidation.

»In Iraq, the order of the targets is inversed. American troops are no longer the priority targets. The Americans lost 3,700 of their own in four years. During each of the “hot months” though, over 3,000 Iraqis lost their lives, mainly women and children, blown to pieces not by Americans but by the so-called insurgents. The Americans' frustration is due to the fact that they are facing an adversary who can kill as many of their own as they like, indefinitely, true to the motto “the more of our own we kill, the more you loose.”

»It is impossible to protect every Iraqi against this indiscriminate terrorism. In this case, chaos is stronger than helicopters, tanks and money. Today, homicidal and suicidal bombers are creating the implacable strategy of the scorched population. This is neither a resistance against an invader nor even a civil war, but, more diabolically, a war against the civilian population.»

Le propos est intéressant quoique la “narrative” en général soit un peu éculée à Washington. Mais enfin. Il s'agit de défendre les Irakiens contre leurs démons, on dirait presque: contre eux-mêmes et contre leur gré. La référence aux guerres coloniales où les guérillas attaquaient de préférence les forces armées adverses, et de préférences les forces coloniales les plus armées possibles, et de préférence les chars blindés quand le rebelle n'avait un fusil de chasse, — tout cela est intéressant et fait partie de l’histoire authentifiée. Y croient-ils sérieusement? Pourquoi n’y pas croire, se disent-ils, en relisant leur article.

Il leur importe de montrer l’évidence que les forces US, à l’inverse des salopards des guerres coloniales, sont bien-aimées parce qu’elles sont là pour une tâche humanitaire, qu’elles ne cessent de le montrer en se mêlant affectueusement à la population, distribuant bonbons, cigarettes, gilets pare-balles et giclées de balles de 5,56mm. Les faits parlent pour Glucksman. Les forces US sont venues et, non contentes d’abattre Saddam, elles ont installé un bordel considérable, des complexes hôteliers à bas prix, dont le Hilton-Abou Ghraib, montrant qu’effectivement leur présence est nécessaire pour défendre la population. Elle n’épargnent aucun effort pour cela, et sont prêtes à virer autant de $milliards qu’il le faut à Halliburton pour assurer la protection de la même population. Elles vont jusqu’à payer les types de Blackwater à prix d’or, dont on sait la souplesse de gâchette dans l’exercice de leur mission de protection. Le problème, peut-être, est qu’ils ne savent pas vraiment qui ils doivent protéger. Passons outre.

Mais Glucksman n’a pas tout dit. Il devrait s’adjoindre le renfort d’un compagnon d’esprit, nous avons nommé le fameux Gerard Baker, du Times. Le 14 septembre, Baker observait notamment:

«But if America is to emerge from Iraq with a renewed sense of its global role, you shouldn’t really debase the motives of those who lead US forces there. Because in the end what they are doing is deeply honourable – fighting to destroy an enemy that delights in killing women and children; rebuilding a nation ruined by rapine and savagery; trying to bridge sectarian divides that have caused more misery in the world than the US could manage if it lasted a thousand years.

»It is helpful to think about Iraq this way. Imagine if the US had never been there; and that this sectarian strife had broken out in any case – as, one day it surely would, given the hatreds engendered by a thousand years of Muslim history and the efforts of Saddam Hussein.»

Baker nous offre “la solution finale” de la plaidoirie. Les US sont en Irak pour reconstruire une nation qui aurait pu, non qui aurait du être détruite s’ils n’étaient pas venus. Donc, ils l’ont détruite pour mieux montrer qu’ils sont là pour la reconstruire? Euh, en un sens oui… Mais là n’est pas l’argument. L’argument principal est en ceci que les US n’ont fait qu’agir par intuition géniale sinon divine. Ils sont intervenus pour interrompre une guerre intérieure épouvantable qui n’avait pas éclaté, qui n’était pas en préparation ni rien du tout mais qui aurait inéluctablement éclaté s’ils n’étaient pas intervenus, vous comprenez? Leur guerre préventive, c’est en fait une paix préventive. Eh eh, «It is helpful to think about Iraq this way» (“Cela facilite les choses [le raisonnement?] de réfléchir à l’Irak de cette façon”). C’est vrai, on ne peut dire le contraire. “Imaginez si les US n’étaient pas intervenus; et que cette bagarre ethnique aurait éclaté de toutes les façons, — comme elle aurait sûrement fait, à cause des haines engendrés par le millénaire d’histoire musulmane et les efforts de Saddam Hussein”…

Oups… Gerard reposa son cinquième whisky, relut ce passage de son article et se dit: “Après tout, c’est vrai ça”. Pourquoi les US ne viendraient-ils pas débarquer chez nous pour empêcher qu’éclatent cette bagarre ethnique entre Anglos, Saxons, Ecossais, Gallois, Irlandais, qui éclatera de toutes les façons, non? Leurs guerres préventives, ce sont en fait des guerres qu’ils livrent dans l’avenir du monde, bien au-delà de la mémoire inversée des philosophes-robot.


Mis en ligne le 6 octobre 2007 à 17H14