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14 octobre 2005 — Zbigniew Brzezinski est, avec son compère-rival Henry Kissinger, une des vieilles icônes survivantes de la grande période de la diplomatie musclée des USA durant la Guerre froide. Ses paroles représentent ou ont la réputation de représenter, à tort ou à raison selon ce qu’on juge de ce qu’il a fait, la voix d’une certaine sagesse politique à Washington, en même temps qu’elles suggèrent une orientation générale du parti démocrate en politique étrangère. Cette image a un poids médiatique et politique non négligeable. Son article du 13 octobre, qui exécute GW avec des mots sans appel, ajoutera grandement à la solitude de la direction US et au désarroi du système.
Brzezinski écrit de la situation actuelle qu’il s’agit d’un “suicide”, non d’un homme précisément mais d’une politique, c’est-à-dire d’une activité qui engage un pays (« George W. Bush's suicidal statecraft »). Bien entendu, il parle de l’Irak d’abord (justement décrit comme la transformation d’un « manageable, though serious, challenge largely of regional origin into an international debacle »), ensuite de la guerre contre le terrorisme menée d’une façon inepte, enfin du reste (la non-prolifération saccagée, l’isolation grandissante des USA, la fin de son statut d’“exceptionnalisme moral”, ses folies budgétaires, etc). Dans le début de son article, il cite, “tristement” semble-t-il, c’est-à-dire sans guère d’illusions malgré la fin de l’article où il tente de proposer quelque chose de constructif, l’historien des civilisations Arnold Toynbee.
« Sixty years ago, Arnold Toynbee concluded, in his monumental ‘A Study of History,’ that the ultimate cause of imperial collapse was “suicidal statecraft.” Sadly for President George W. Bush's place in history but — much more important — ominously for America's future, it has lately seemed as if that adroit phrase might be applicable to the policies pursued by the United States since the cataclysm of 9/11. »
Après le passage en revue de ce qu’il juge être les catastrophiques échecs de la politique étrangère de GW Bush, Brzezinski en présente les effets, — une position devenue extrêmement fragile et vulnérable des USA dans le monde, avec des adversaires potentiels (on retrouve les obsessions de Brzezinski) attendant d’en profiter : « It should be a source of special concern for thoughtful Americans that even nations known for their traditional affection for America have become openly critical of American policy. As a result, large swathes of the world - be it East Asia, or Europe, or Latin America — have been quietly exploring ways of shaping closer regional associations tied less to the notions of trans-Pacific, or trans-Atlantic, or hemispheric cooperation with the United States. Geopolitical alienation from America could become a lasting and menacing reality.
» That trend would especially benefit America's historic ill-wishers or future rivals. Sitting on the sidelines and sneering at America's ineptitude are Russia and China: Russia, because it is delighted to see Muslim hostility diverted from itself toward America, despite its own crimes in Afghanistan and Chechnya, and is eager to entice America into an anti-Islamic alliance; China, because it patiently follows the advice of its ancient strategic guru, Sun Tzu, who taught that the best way to win is to let your rival defeat himself.
» To be sure, since America is extraordinarily powerful and rich, it can afford, yet for a while, even a policy articulated with rhetorical excess and pursued with historical blindness. But in the process America is likely to become isolated in a hostile world, increasingly vulnerable to terrorist acts and less and less able to exercise a constructive global influence. Flaying away with a stick at a hornets' nest while loudly proclaiming “I will stay the course” is an exercise in catastrophic leadership. »
Ici, il est moins important d’observer combien Brzezinski est fidèle à lui-même, éventuellement de le confronter à certains de ses écrits, notamment sur la nécessité d’affirmer la puissance US dans le monde, auxquels la politique de GW pourrait se référer ; il est plus important d’observer que Brzezinski, avec tout son prestige, condamne une politique, non par souci de justice ou d’avantage politique, mais par crainte bien réelle qu’elle pèse fondamentalement sur la puissance américaine, jusqu’à menacer de la détruire. Et il nous reste encore trois ans de GW Bush, sans la moindre perspective, sans le moindre signe pour l’instant qu’il change quelque chose à sa politique. (Notre conviction est que la psychologie du président américain, — explosif mélange de médiocrité et de conviction entêtée appuyée sur une foi aveugle — invite à penser qu’il ne changera rien.)
Brzezinski présente à la fin de son article une proposition classique d’une politique bipartisane à l’occasion de laquelle des modifications seraient apportées aux choix actuels.
« In a bipartisan setting, it would be easier not only to scale down the definition of success in Iraq but actually to get out — perhaps even as early as next year. And the sooner the United States leaves, the sooner the Shiites, Kurds and Sunnis will either reach a political arrangement on their own or some combination of them will forcibly prevail.
» With a foreign policy based on bipartisanship and with Iraq behind us, it would also be easier to shape a wider regional policy that constructively focuses on Iran and on the Israeli-Palestinian peace process while restoring the legitimacy of America's global role. »
Cette proposition doit être prise pour ce qu’elle est: il est difficile, lorsqu’on s’appelle Brzezinski, de terminer un article sur une note aussi catastrophique et désespérée que celle qui marque l’essentiel du texte. Il faut une note qui paraisse plus constructive. Elle est jouée sans conviction et, sans doute, sans grand espoir qu’elle soit entendue dans l’immédiat. Le texte de Brzezinski sert surtout à mesurer le degré de pessimisme et de fureur impuissante où se trouve actuellement réduit l’establishment washingtonien, devant un président complètement incontrôlable, engagé dans une politique qui pulvérise le statut, la puissance et l’influence des Etats-Unis.
Sur le plus long terme et dans le meilleur (ou le moins mauvais) des cas selon Brzezinski, — c’est-à-dire une victoire démocrate aux élections législatives de novembre 2006 — on peut faire l’hypothèse que cette proposition serait probablement reprise après avoir été actualisée. Il s’agirait alors de l’action d’un Congrès dominé par les démocrates, dans l’hypothèse de leur victoire en 2006, proposant cette politique bipartisane à l’administration. L’initiative aurait fort peu de chances d’aboutir et l’on entrerait dans une période d’affrontement extrêmement vif entre le législatif et l’exécutif, impliquant une paralysie encore plus grande des Etats-Unis.
• A noter dans la formulation de Brzezinski, la place que celui-ci fait à l’Iran dans une politique rénovée au Moyen-Orient. L’Iran, pour Brzezinski, doit être ménagé et doit constituer un facteur de stabilité dans la région. Brzezinski n’est pas loin, sinon d’approuver, du moins d’expliquer avec une réelle compréhension l’évolution des Iraniens vers la puissance nucléaire, cette évolution étant due, dans son interprétation, à la politique de l’administration GW: « America's ability to cope with nuclear nonproliferation has also suffered. The contrast between the attack on the militarily weak Iraq and America's forbearance of the nuclear-armed North Korea has strengthened the conviction of the Iranians that their security can only be enhanced by nuclear weapons. »
• A noter également cette phrase à propos de la guerre contre l’Irak et de ses motifs, avec une remarque soulignée par nous : « That war, advocated by a narrow circle of decision makers for motives still not fully exposed… ». L’allusion aux néo-conservateurs et à l’opacité de leurs motifs pour pousser à la guerre indique qu’on pourrait bien, dans d’autres circonstances, assister à de sévères règlements de compte à propos des conditions d’engagement de cette guerre et des motifs qui y ont présidé. Encore une fois dans l’hypothèse où les démocrates reprendraient la main en 2006, on pourrait voir constituées des commissions d’enquête sérieuses du Congrès pour explorer cette question très controversée et très polémique.
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