La Libye, conformément au plan prévu…

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Les affaires libyennes du bloc BAO continuent à évoluer selon ce qui était prévu : un enlisement dans les normes de la chose, conformément à la finesse stratégique américaniste-occidentaliste. On doit y ajouter, pour que la mayonnaise prenne selon les normes du système de la communication, quelques bruits parcellaires d’accroissement de l’effort de l’un ou l’autre, de l’éventualité d’un engagement un tout petit peu plus “terrestre”, de l’exaltation de la solidarité (américaniste-occidentaliste), de l’affirmation que l’absence des USA du conflit est en réalité une habile manœuvre derrière laquelle se dissimule la présence des USA dans le conflit. Le voyage de BHO en Europe, avec notamment le sommet du G8, est l’occasion de cette mise en perspective très rassurante. Il y a bien un pilote, et même plusieurs, dans la cabine de pilotage. (La seule incertitude est peut-être de déterminer si l'on parle du même avion : vaste question.)

Ceci, en un peu plus précis, de The Independent du 25 mai 2010...

«During talks in Downing Street, the Prime Minister and US President are expected to agree to press other Nato countries to shoulder more of the burden of the military effort to drive Muammar Gaddafi from power.

»Mr Obama wants Britain and France to remain in the lead. But British ministers denied that Mr Cameron would demand that America do more towards the air campaign. “It's a myth that the US is doing nothing,” one British source said. “This is about ensuring that we don't lose momentum in Libya.” While any differences over America's role are likely to be kept private, Libya is expected to top the agenda in today's bilateral talks. […]

»Libya will also be high on the agenda at the G8 summit starting tomorrow in the French resort of Deauville. Concern over the apparent impasse surfaced in the Commons yesterday after it emerged that Britain is ready to deploy helicopter gunships to Libya.

»Nick Harvey, the Armed Forces minister, denied accusations of “mission creep” with British and French forces widening their military effort. He disclosed that the Government is considering paying an “operational allowance” to servicemen and women involved in Libyan missions – a sign that ministers could be preparing for a lengthy commitment…»

Mais comme nous sommes en démocratie, il est bon que s’expriment quelques pensées divergentes, on dirait presque “dissidentes”, de la pensée officielle. Il paraît que c’est le cas d'un héritier de Lord Nelson, qui vient de faire connaître sa différence. Conformément aux enseignements de ses plus grandes gloires (dito, Nelson), la Royal Navy reste vigilante du côté de la pensée stratégique à l’heure des guerre “humanitaires”, à défaut de disposer de navires de guerre en nombre suffisant pour encore exister à peu près. C’est la remarque que nous inspire, et encore plus à la lumière de ce qui précède, l’article du Guardian du 23 mai 2011, que nous a signalé un ami fort mal intentionné. L’article concerne quelques considérations de l’amiral à la retraite de la Royal Navy, le contre-amiral Chris Parry, à propos de la Libye. (Le rédacteur de l’article précise, à notre intention et à notre attention, que Parry pourrait bien parler pour les autres, impliquant effectivement une prise de position de la Royal Navy : «Parry's analysis is understood to be shared by many senior strategists at the Ministry of Defence, who cannot speak out despite growing frustration at the limits of Nato's activity.»)

Quelques extraits de l’article du Guardian

«Nato's military campaign in Libya “defies strategic logic” and needs to be completely rethought before the country descends into anarchy, a former Royal Navy admiral has warned. Rear Admiral Chris Parry said the conflict was becoming all too reminiscent of the campaigns in Iraq and Afghanistan, and a “classic example of how to act in haste and repent at leisure”.

»Writing in the Guardian, Parry says Nato must accept that the UN resolution which allowed coalition forces to protect Libyan civilians will not bring an end to the fighting, and that diplomats should now consider seeking a new mandate.

»“What might a decent strategy look like? The Libyan people should, with international assistance, establish and articulate the political ends they require for themselves and their country.” “The UK and its Nato allies could then conduct a campaign that is built around an explicit political purpose, expressed in a single, unambiguous aim (the ‘master principle of war’).” “That would focus and prioritise military activities. This would also enable a more sensible assessment of whether further authorisation from the UN might be required.”»

Notre commentaire

Récemment, on nous décrivait l’atmosphère, un peu surréaliste lorsqu’on a conscience des choses, qui règne à Naples, à ce quartier-général de l’OTAN où sont préparées et contrôlées certaines des missions contre la Libye. Les militaires font leur travail d’une façon impeccable, sérieuse, concentrée, – nous dirions “en bureaucrates” beaucoup plus qu’“en guerriers”, naturellement, lorsqu'on voit le résultat sur le terrain. Et notre source remarquait là-dessus : «C’est un peu surréaliste, parce qu’aucun d’eux ne se demande à quoi tout cela sert-il, où cela nous mène-t-il, quand cela se terminera-t-il et ainsi de suite ?...»

Voilà, semble-t-il, la situation que “défie toute logique stratégique”, selon le mot de l’amiral Parry,– et qui lui donnerait tort, à lui qui, au contraire des autres, s'interrogent sur les fins dernières ? Là où les choses se corsent, c’est lorsque Parry suggère une “stratégie décente”, selon le qualificatif qu’affectionnent les “guerriers” anglo-saxon : que “le peuple libyen” établissent ses buts pour lui et son pays avec “l’assistance internationale”. (Quel “peuple libyen” ? Que fait-on de la partie de ce “peuple” qui est sous contrôle de Kadhafi ? Quel mécanisme pour que “le peuple” établissent ses buts ?) Ensuite, que l’OTAN intervienne, cette fois à bon escient, pour que ces buts soient atteints, et cela après qu’il ait été établi si, oui ou non, un nouveau mandat de l’ONU est nécessaire pour cette opération. (Un coup de téléphone à Moscou et à Pékin, avec tous nos vœux, pour savoir si l’on voterait à l’ONU dans ce sens ?) La “stratégie décente” de l’amiral Parry est vite identifiable : elle se situe entre le vœu pieux et à la réactualisation du dicton fameux, de “impossible n’est pas français” en “l'impossible n’est pas postmoderne”. Si la critique est bonne, la proposition se heurte au constat d’une situation créée à partir d’une absence totale de buts politique et stratégique, et résultant effectivement en une impasse dont nul, par définition, ne peut voir l’issue. Lorsque Parry compare la Libye à l’Irak et à l’Afghanistan, dans l’orientation que prend ce conflit («a classic example of how to act in haste and repent at leisure»), il a évidemment raison, sauf qu’il semblerait bien que l’on y soit déjà, que la Libye soit d’ores et déjà un Irak ou un Afghanistan de plus.

Ce qui précède les remarques de Parry, c’est-à-dire les discussions sur la question libyenne de nos dirigeants politiques (BHO, Cameron, Sarko, etc.) , ne laisse guère d’espoir que quoi ce soit puisse être modifié. On en est, comme toujours, à réaffirmer les platitudes de communication, à demander de l’aide à l’un ou à l’autre, d’ailleurs sans savoir ce qu’on en ferait, à réaffirmer les sempiternelles solidarités, etc. Rien de nouveau, rien de dynamique, mais l’habituel commentaire virtualiste des situations bloquées, – puisque les “situations bloquées” n'autorisent rien d'autre. Il est manifeste que la vraie question que pose la Libye est de savoir si le bloc américaniste-occidentaliste est aujourd’hui capable de déclencher des conflits que personne ne lui demande de déclencher, autrement que dans ce sens de l’enfermement dans des situations sans issue ; c’est d’ailleurs une question de convenance, tant la réponse positiver est évidente.

La Libye est d’ores et déjà un “nouvel Irak” ou un “nouvel Afghanistan”, – c’est selon et c’est au choix. La situation ainsi constatée répond à l’absence complète de politique, y compris d’une stratégie, dans les relations internationales aujourd’hui. Seules comptent la communication, et le moralisme humanitaire qui l’accompagne, et la force militaire brutale qui semble être la véritable vertu de notre civilisation, – cela, parfaitement conforme à ce qui est en vérité une “contre-civilisation” toute entière conduite par la dynamique de la puissance matérielle, conformément à l’“idéal de puissance” et selon l’attraction irrésistible du système du technologisme. La visite d’Obama en Europe et la réunion du G8 de toute la bande, où ils vont beaucoup parler de la Libye, devraient constituer une sorte d’officialisation de cette situation : oui, la Libye est devenue un bourbier de plus, dans la longue chaîne de situations de la sorte que nous avons établies ; une crise de plus, déclenchée par la chaîne crisique qui s’est répandue dans les pays arabo-musulmans, installée désormais dans la durée, qui tient son rang dans l’étrange logique crisique de notre temps caractérisée par une sorte de paralysie générale, dans le cadre général de la grande crise du Système. Un signe sympathique du “monde meilleur” dont le même Obama nous annonce l’arrivée.


Mis en ligne le 25 mai 2011 à 09H31