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452La machinerie est désormais en marche et l’on ne voit pas quelle force au monde pourrait arrêter sa puissante poussée. Une audition au Congrès US de l’amiral Stavridis, commandant en chef suprême des forces de l’OTAN (SACEUR), notamment, en a apporté la démonstration… D’habitude souriant et plein d’une bonhommie qui marque son habileté diplomatique, Stavridis paraissait, durant cette audition, plutôt gêné et contraint. Il faut reconnaître que quelques phrases, dites ici et là, n’ouvrent pas des perspectives enthousiasmante pour les gens de la “coalition”, de la “communauté internationale” ou du bloc américaniste-occidentaliste (BAO), qui cherchent cette formule miracle qui leur éviterait, tout en obtenant politiquement satisfaction, un engagement durable, contraignant, coûteux et politiquement catastrophique, en Libye. Cette perspective d'un règlement satisfaisant et contrôlé s’éloigne de plus en plus sous les coups de boutoir de la dynamique de puissance dont ces acteurs de la coalition sont les prisonniers.
Voici donc quelques mots de l’amiral Stavidris et nombre de commentaires qui les accompagnent…
• Le site Danger Room, le 29 mars 2011, s’arrête essentiellement à ces citations de l’amiral Stavridis reconnaissant que oui, peut-être, l’OTAN serait bien forcée de déployer quelques forces au sol… L’idée de “possibilité”, dans le contexte général et compte tenu de tout ce que nous dit l’expérience récente, pourrait être aisément et rapidement remplacée par celle d’“inéluctabilité”.
«The mantra, from President Obama on down, is that ground forces are totally ruled out for Libya. After all, the United Nations Security Council Resolution authorizing the war explicitly rules out any “occupation” forces. But leave it to the top military officer of NATO, which takes over the war on Wednesday, to add an asterisk to that ban.
»During a Senate hearing on Tuesday, Sen. Jack Reed of Rhode Island asked Adm. James Stavridis about NATO putting forces into “post-Gadhafi” Libya to make sure the country doesn’t fall apart. Stavridis said he “wouldn’t say NATO’s considering it yet.” But because of NATO’s history of putting peacekeepers in the Balkans — as pictured above — “the possibility of a stabilization regime exists.”»
• Ce sont également les quelques allusions de Stavridis à la possibilité d’“infiltration” des rebelles par des éléments d’Al Qaïda et du Hezbollah qui retiennent l’attention. Le Daily Telegraph, qui a été très attentif à cette question, insiste particulièrement sur ce passage des déclarations du SACEUR. Il s’agit en effet de la première occurrence où un officiel de très haut rang, qui joue un rôle essentiel dans la coalition et dans la crise libyenne, dit sa préoccupation à partir d’indices épars venus du renseignement. Dans un premier texte (du 29 mars 2011), le Telegraph mentionne la déclaration de Stavridis, avec quelques commentaires : «Admiral James Stavridis, Nato's Supreme Allied Commander, Europe, said that American intelligence had picked up “flickers” of terrorist activity among the rebel groups. […] While the opposition's leadership appeared to be “responsible men and women” fighting the Gaddafi regime, Admiral Stavridis said, “we have seen flickers in the intelligence of potential al Qaeda, Hizbollah, we've seen different things.” “But at this point I don't have detail sufficient to say there is a significant al-Qaeda presence or any other terrorist presence,” he added.»
Des officiels du gouvernement britannique ont commencé à réagir à ces informations venues du SACEUR, pour dire leur préoccupation de cet élément qui semble nouveau pour eux (ils n’avaient sans doute pas lu le Telegraph). Dans un autre texte, également du 29 mars 2011, le Daily Telegraph observe que cette affaire ne devrait pas être une surprise, en fonction de ce que l’on sait de la situation en Libye. Il ne s’agit pas seulement des affirmations de Kadhafi sur le rôle supposé d’Al Qaïda dans la révolte, mais bien d’éléments plus anciens, qui sont avérés.
«While the Gaddafi regime has undoubtedly exaggerated the extent of al-Qaeda's influence in their country, there is nevertheless disturbing evidence that the Islamist terror group is seeking to turn the current political unrest to its advantage. The Libyan Islamic Fighting Group, a militant Islamist group committed to the establishment of a fundamentalist Islamic state in Libya, was set up in 1995 … […]
»British intelligence officials have said it was mainly because of Col Gaddafi's concern about the growing influence of jihadist groups in Libya that he was persuaded to give up his nuclear weapons programme in 2003. In return he agreed to work closely with MI6 and the CIA to share information of mutual interest on al-Qaeda's terrorist activities. As a consequence in 2005 the British government proscribed the LIFG and banned a number of its leaders from entering the country. But Libyan militants continued their campaign for an Islamic state, and Libyan suicide bombers played a prominent role in attacking US forces in Iraq during the insurgency. US officials claim many of them came from the Benghazi area. […]
»Given that Libya has effectively been closed to the West for most of Col Gaddafi's 41-year rule, it is difficult to make a precise assessment of the overall strength of the al-Qaeda movement in Libya. Some intelligence experts say it is no more than a few hundred; others say it has thousands of supporters…»
• Enfin, à la conférence de Londres sur la Libye, hier, les intentions de certains pays (notamment France, UK, USA) d’armer les rebelles se sont précisées. Certains pays (l’Italie, par exemple, et même la France, d'une certaine façon) estiment que de telles possibilités ne font partie du cadre d’intervention de la résolution 1973 de l’ONU. L’OTAN elle-même n’est pas favorable à de telles livraisons, cultivant l’appréciation qu’elle est “neutre” dans ce conflit. (Ainsi les représentants de l'OTAN répondent-ils, lorsqu'on leur pose la question, que si les rebelles tiraient sur des civils, l'OTAN interviendrait contre les rebelles.) Tout cela ne va pas sans accentuer le désordre au sein de la vaste coalition réunie pour la Libye.
Ces différents éléments tendent évidemment à donner de l’évolution de la crise libyenne une perspective de plus en plus pessimiste d’aggravation de la situation pour la coalition, par rapport à sa liberté d'action et aux conditions de contrainte de son intervention. Il faut bien avoir à l’esprit, selon notre appréciation, qu’il ne s’agit pas d’une situation politique dans son élaboration, qu’il s’agit d’une situation bien particulière, que nous définissons par la phrase écrite plus haut, – “La machinerie est désormais en marche et l’on ne voit pas quelle force au monde pourrait arrêter sa puissante poussée”. Cette “machinerie”, c’est ce que nous désignions le 22 mars 2011 comme “le système dans toute la puissance de sa crise”, c’est-à-dire la poussée qui semble irrésistible d’un ensemble répondant à l’“idéal de puissance”, du système du technologisme, d’une bureaucratie impitoyable dans sa marche aveugle en avant, etc. Les hommes du Système, soi-disant aux postes de commandement et de contrôle, ne peuvent que céder et encore céder, à la fois victimes et complices… Nous écrivions dans notre texte du 22 mars :
«Autant le secrétaire à la défense Gates que le président du JCS, l’amiral Mullen, semblent engagés dans une quête désespérée pour tenter de contenir l’élargissement du “conflit”, le dépassement de la mission de l’ONU, l’enlisement dans une sorte de nouvelle “guerre” qu’on craindrait de voir évoluer selon le modèle irakien ou afghan, ou toute autre catastrophe du domaine. Ils n’ont pourtant contre eux aucune autorité politique arrêtée, aucune pression d’influence bien organisée, et ce sont eux qui tiennent nominalement la maîtrise des moyens qui sont en train de forcer à cet “élargissement du ‘conflit’”. Au contraire, comme le voit à suffisance, le désordre de l’autorité politique garantit l’absence d’une obligation cohérente qui pourrait effectivement forcer à un engagement important, alors que même ce but d’un engagement important est bien plutôt écarté que promu. Gates et Mullen, et d’autres, dont le général qui commende AFRICOM et jusqu’au président Obama lorsqu’il lit bien ses fiches de communication, ne parlent que de transférer le commandement de l’opération vers les Européens (“une question de jours, pas de semaines”, dit Obama) ; cela serait un des meilleurs moyens pour les USA de s’interdire tout engagement important, d’autant plus que l’on répète par ailleurs l’intention de ces mêmes USA d’effectivement se retirer de la première ligne pour se mettre en position de soutien. Pourtant, il y a comme une impression d’impuissance à cet égard, une impression d’incapacité d’abandonner une position de maximalisme interventionniste…»
La crise libyenne constitue un cas exemplaire d’une dynamique d’engagement dans une situation qui ne recèle pas par elle-même sa possible aggravation, mais où cette aggravation devrait essentiellement venir de cette poussée du système du technologisme. Il n’y a aucun élément qui puisse faire penser à un plan préconçu, à des intentions politiques et militaires d’investissement mûrement élaborées, mais tous les éléments au contraire pour décrire le cas d’un engagement suscité, accéléré et aggravé par la dynamique du système qui gouverne la politique américaniste-occidentaliste. C’est dire si la prospective incline au plus grand pessimisme, puisqu’un tel engagement serait réalisé, dans sa pratique, sous la contrainte de cette dynamique systémique qui est évidemment sans stratégie arrêtée, et surtout pas une “stratégie de sortie”, pour se dégager du conflit, et qui s'exprime en une force aveugle et nihiliste que personne ne semble capable de freiner, sans parler de l’arrêter.
La situation est particulièrement délicate quand s’y ajoutent des éléments divers, qu’on qualifierait d’“objectifs” dans ces circonstances, pour accentuer les dissensions au sein de la coalition d’une part, pour faire apparaître des facteurs d’aggravation effectivement “objectifs” sur le terrain (la question de la présence éventuelle de terroristes parmi les “rebelles”). L’engagement auquel pousse la dynamique du système risque alors de se faire dans une situation extraordinairement complexe, avec des tensions contradictoires, des suspicions considérables au sein même de la coalition et vis-à-vis des forces qu’on juge vertueuses dans cette même situation, etc. Les conditions les plus extrêmes et les plus graves semblent donc en train de prendre forme pour créer la pire situation possible pour cet engagement en Libye. Tout esprit raisonnable tenterait par tous les moyens d’écarter cette perspective. Mais les esprits raisonnables ne sont pas de taille, face à la puissance de la dynamique du système. Après l’Irak et l’Afghanistan mais beaucoup plus rapidement que l’Irak et l’Afghanistan, et surtout sans aucune capacité de contrôle et de décision même à l’origine contrairement aux cas irakien et afghan, la Libye se profile comme devant être une étape de plus pour cette poussée maximale du Système qui se transforme de plus en plus en sa Chute pure et simple.
Mis en ligne le 30 mars 2011 à 14H38
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