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122511 avril 2003 — La guerre va vraiment très vite. La première phase à peine achevée sur un “triomphe” d’une demi-journée, l’accent est mis sur la nouvelle réalité en plein développement : le développement de l’anarchie et la complète passivité des forces US (les forces britanniques ont un comportement différent mais des moyens d’action limités : elles essaient de passer des accords locaux pour établir des pouvoirs qui rétablissent l’ordre.)
Ci-dessous, pour donner une indication de la situation, nous présentons une courte appréciation de la situation par YellowTimes.org. (« Factions Arising In Iraq », publié sur le site YellowTimes le 10 avril 2003). Elle confirme ce qu’on a déjà vu par ailleurs en lisant le Financial Times et Thomas Friedman : l’Irak est livrée au pillage et prend très vite l’orientation du désordre et de l’anarchie, avec accessoirement le développement de guérillas diverses.
« The war in Iraq is now shifting phases into one of post-invasion factionalism featuring various forces of varying degrees of power, legitimacy, and influence arising almost spontaneously in different parts of the country.
» One such militia — backed by American special forces — began forcefully exerting itself in Hay Al Ansar this past week. The Iraqi Coalition of National Unity (ICNU), apparently an unknown group, has been accused of threatening and beating civilians and widespread looting by residents of the town. [...]
» Another incident occurred over the weekend when a militia several thousand strong took control of the town of Amara. Reuters reported that CIA operatives in the region informed the group's leader, Abu Hatem, that the U.S. was prepared to bomb the town if he did not relinquish his control immediately.
» Such incidents are an indication of what U.S. forces throughout Iraq will be facing in the weeks and months to come if a smooth transition is not made by Washington. »
Le risque existe désormais que l’Irak évolue vers le désordre et l’instabilité. La responsabilité de l’U.S. Army (et du Marine Corps) dans cette situation est immense, peut-être sans que ce soit une politique voulue de Washington, — selon l’hypothèse d’ailleurs très acceptable que Washington n’a aucune politique à cet égard. (Washington a préparé la prise en mains des pétroles, Washington a nommé divers représentants martiaux, qui se gardent bien d’intervenir pour l’instant. La sécurité de la population irakienne est le dernier des soucis de Washington. C’est aussi le dernier des soucis des militaires comme, par exemple, le signale un reporteur australien, “assigné” à la 1ère division du Marine Corps. Il observe : « At marine headquarters, 20 kilometres east of central Baghdad, Major-General Jim Mattis, commander of the 20,000-strong 1st Division, talks to journalists for the first time since the war started, making it clear that looting is the least of his concerns. » La Croix-Rouge à Genève est furieuse devant l’inaction des forces US, alors que les pillages ont atteint les hôpitaux, obligeant à la cessation des activités malgré leur surcharge en blessés, pour la plupart effets des bombardements US.)
Les militaires américains ont deux priorités : battre l’armée irakienne, en rase-campagne et avec l’appui massif de l’aviation et de l’artillerie (c’est fait, paraît-il) ; protéger les forces US elles-mêmes. Cette dernière priorité est devenue la première et quasiment exclusive. Les forces US, suivant leur vieille habitude, ont désormais tendance à se replier sur elles-mêmes, en tenant en respect les guérillas diverses et en vivant comme d’habitude. Par exemple, on a pu entendre hier le quartier-général de CENTCOM déclarer que les forces US à Bagdad ne pouvaient se charger de la sécurité de la ville par manque d’effectifs alors que des reportages arrivaient sur un régiment de Marines “au repos” près de l’aéroport de Bagdad, avec des Marines-clichés nous faisant partager leur détresse : les boys s’ennuient, ils ont le mal du pays, ils voudraient bien rentrer chez eux. Nous compatissons.
Par ailleurs, nous observons combien tout cela sied bien à l’état d’esprit courant à Washington, qui se nourrit d’images telles que la “creative destruction” de l’économiste Joseph Schumpeter, et qui renvoie surtout, nous l’avons également souvent observé, à la doctrine trotskiste de la “révolution permanente”. Les néo-conservateurs inspirent tout cela, venus pour bon nombre, directement ou par tradition, des rangs trotskistes des années 1940-70 selon l’âge. Dans la médiocrité washingtonienne généralisée, tout cela vous a des allures de pensée originale.
D’où l’hypothèse que l’U.S. Army suit, au fond, une stratégie trotskiste en Irak, — autre nom pour la bonne vieille trouille. William Pfaff évoquait cet aspect des choses dans une récente chronique, du 7 avril.
« [The] chaos is the predictable consequence of the allied attack. Create a battlefield and destroy existing structures of government, and this is what happens. The allies did not seriously prepare for this development because the absurd ideological preconceptions of American planners, and listening to the dreams and illusions of Iraqi exile politicians, had convinced them that the invading army would be welcomed by happy crowds, civic structures still intact.
» Officials were convinced that Saddam Hussein's regime would ''collapse at the first whiff of gunpowder.'' Like the president himself, they believed their ''instincts'' were better than actual knowledge about Iraq - or, for that matter, about battlefields.
» Avowedly tough-minded, they might have consulted Carl von Clausewitz, who wrote that ''philanthropists may easily imagine that there is a skillful method of disarming and overcoming an army without causing great bloodshed ... (but this) is an error which must be extirpated; for in such dangerous things as war, the errors which proceed from a spirit of benevolence are the worst.''
» The neoconservative leadership thinks of itself in ''philanthropic'' terms and has convinced others in Washington and in the country to take it as such. It really believes that it is bringing democracy and enlightenment to Iraq.
» Whatever the intentions, the immediate result of what Washington is doing is to produce chaos. The neoconservatives like to quote the economist Joseph Schumpeter on ''creative destruction,'' as if this phrase, meant to describe a process in the development of capitalism, were a general statement of truth, guaranteeing that destruction produces creation. It does not.
» One of the many curious things President George W. Bush is quoted as saying, this time in Bob Woodward's book, ''Bush at War,'' is that U.S. strategy in Afghanistan ''is to create chaos, to create a vacuum.'' Out of the chaos and vacuum, good would come. This echoes the Trotskyist belief in the constructive effect of ''permanent revolution.'' »
Bien, laissons là les théories, y compris la trotskiste. Observons cette étrange réalité d’une armée qui vient, dit-on et écrit-on, de remporter une victoire et qui observe, sans rien faire de sérieux, le désordre gagner. Une autre façon de voir les choses est que l’armée US, applaudie comme l’armée “la plus puissante du monde”, est en train de faire la preuve de sa complète incompétence et de sa complète inadaptation aux normes de la guerre moderne, où le contrôle des populations est beaucoup plus important que des obus de 120mm tirés contre les hôtels abritant des journalistes indépendants. C’est le produit d’un système qui a érigé le conformisme en vertu cardinale, et l’une des idées du conformisme est cette aberrante conception que la première tâche d’une armée est de se protéger elle-même pour limiter des pertes, — et espérer que le reste se fasse, et que du chaos naisse l’ordre démocratique favorable aux États-unis d’Amérique.