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7 juin 2004 — Chaque jour nous apporte l’occasion d’écrire à nouveau “jamais”, dans la phrase convenue selon laquelle “jamais le décalage entre la réalité et la représentation politique (virtualiste) de la réalité n’aura été si grand”. Virtualisme, certes…
Il s’agit du décalage entre la pompe des cérémonies du 6 juin 2004 et les acclamations convenues sur les alliances, l’amitié indéfectible et le reste, et la réalité de la perception de l’Amérique par le reste (bien entendu, c’est autour de la perception de l’Amérique que tout cela doit être apprécié). Décalage entre Chirac affirmant que les Français n’oublieront jamais l’intervention américaine présentée comme un acte quasiment sacré et de pure générosité, et les résultats du sondage du Parisien Libéré, avec ces résultats particulièrement significatifs :
« Les Français s'estiment aussi, toujours dans ce sondage, “suffisamment reconnaissants” envers les Américains dont le débarquement les libéra de l'occupation allemande et 50 % estiment même qu'ils “n'ont pas de dette morale” à avoir envers les Américains. »
On trouve par ailleurs sur ce site deux textes donnant les résultats de plusieurs sondages sur ce qu’il est convenu d’appeler l’“image” de l’Amérique. Le résultat est digne d’un tremblement de terre dans son intensité, mais, par ailleurs, sans la moindre surprise. L’image de l’Amérique s’effondre partout, résultat direct du gâchis réalisé en fait de politique par la direction GW, parfaitement préparé par la politique clintonienne d’affirmation de puissance à partir de 1995-96.
Bien entendu, ce qui reste à la fois mystérieux et confondant, c’est l’inaptitude complète des dirigeants américains à analyser la composition de la puissance qu’ils ont créée, qu’ils dirigent et manipulent, c’est-à-dire à comprendre que cette puissance repose sur l’influence (l’“image” de l’Amérique) et que tout doit être fait pour la protéger). Cette inaptitude s’est certainement révélée et renforcée au moment même où cette puissance commençait à donner tous ses effets, à partir de 1945. A cet égard, on peut bien parler d’une décadence accélérée, car la décadence se trouve évidemment dans l’affaiblissement pathologique de la psychologie. Le point intéressant de l’Amérique est évidemment que cette décadence démarre au moment même où l’affirmation globale américaine commence, en 1945. Cela tendrait à donner raison à ce journal démocrate américain qui affirmait en 1933, au moment de la grande Dépression : « L’Amérique est le seul pays qui soit passé directement de la barbarie à la décadence. ».
L’explication de cette faiblesse psychologique de la direction politique US ne peut se trouver qu’au niveau des sentiments les plus primaires, comme l’hubris et la vanité, qui font penser que la puissance américaine repose sur le visible, le spectaculaire, sur la lourdeur de l’appareil militaire notamment. Mais l’Amérique est l’antithèse de la puissance militaire parce que sa psychologie bureaucratisée est complètement étrangère au risque et à l’audace, qu’elle est marquée par l’obsession de la sécurité et la crainte outrancière de l’agression extérieure. Ce qui a fait la prépondérance américaine, de façon bien différente, c’est évidemment ce que Joseph S. Nye Jr, présente sous le vocable de soft power : la capacité de projeter l’influence par le biais des communications et de l’information manipulée.
C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier et mesurer les récents événements, les déboires militaires US en Irak autant que la mise à jour d’un système de tortures et de sévices organisé. Le dernier cas est particulièrement préoccupant. Nous parlons moins de la dimension morale de l’affaire des tortures que des conséquences psychologiques et, au-delà, politiques et le reste, de cette affaire des tortures.
Les deux textes que nous signalons et publions expriment une tendance générale extrêmement caractéristique, qui est un pessimisme général très affirmé par les personnes interrogées. (Cette tendance est qualifiée d’“inquiétante” en général mais il ne nous semble pas qu’elle le soit : il n’est pas “inquiétant” qu’une perception générale rencontre la réalité d’une situation et ne s’en compte pas là-dessus. Il est bien plus “inquiétant” de constater l’optimisme forcé et l’affirmation de constructions de mensonges pour tenter de définir la réalité du monde chez nos dirigeants et nos élites. Il est enfin remarquable, encore plus qu’“inquiétant”, de voir la population avoir une impression réaliste de la situation du monde alors qu’elle est soumise à de telles pressions officielles en faveur du contraire.)
Cette tendance générale des personnes interrogées peut être décrite par deux points apparaissant dans les deux sondages.
• Le premier (dans le texte de Lobe) est la baisse de confiance générale dans les États-Unis, perçue en parallèle à une très forte baisse de confiance dans l’évolution générale dans notre époque. Cela semble indiquer que, dans l’esprit des personnes interrogées, la tendance générale actuelle qui est une politique moderniste et “globalisante” est directement identifiée aux États-Unis. Il s’agit d’une réalisation d’une réalité fondamentale souvent dissimulée. Ce pessimisme à l’encontre du mouvement moderniste est un phénomène important.
• Le second point, apparaissant dans l’article du Figaro, est la perception en France que les USA ne sont plus l’allié “le plus sûr” de la France, comme ils l’étaient en général depuis 1945. Il s’agit de l’abandon d’une tendance sentimentale des Français, appuyée sur la croyance du quasi-automatisme de l’intervention US en Europe, en général en faveur du camp où se trouve la France. Il s’agit également de la réalisation bienvenue d’une réalité politique et géopolitique.