La logique de la raison virtualiste contre la réalité irakienne

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La logique de la raison virtualiste contre la réalité irakienne


29 octobre 2003 — C’est un argument que l’administration GW ne cesse d’exposer de plus en plus souvent puisqu’il apparaît chaque fois que les choses vont plus mal en Irak, ce qui est aujourd’hui monnaie courante. Il s’agit d’affirmer que cette aggravation est justement le signe que la guérilla, ou la résistance, est désespérée, donc à bout de souffle. On trouve cette argumentation principalement dans des confidences faites par GW à des journalistes, après les attaques des 26-27 octobre.


« Bush spoke only hours after bombings in postwar Baghdad killed dozens of people and after conferring at the White House with the top U.S. general and civilian official in Iraq.

» “The more progress we make on the ground, the more free the Iraqis become, the more electricity that's available, the more jobs are available, the more kids that are going to school, the more desperate these killers become,” Bush told reporters. »


L’argument est développé plus en détails par divers commentateurs, dont celui du Christian Science Monitor, qu’on retient ici. La sophistication est plus grande que dans les déclarations GW, on sent qu’on a pensé un peu plus loin que le bout de son nez. Cela n’est pas rassurant pour autant.

Le résultat est par conséquent bien celui-ci : plus les terroristes tapent, plus la situation s’aggrave en Irak, plus ils (les terroristes) nous prouvent que tout va mieux en Irak. C’est la « desperation escalation »

Voici quelques strophes de l’éditorial du Christian Science Monitor :


«  Call it desperation escalation. The more daily life in Iraq is stabilized and the country wins international support, the more terrorists desperately hit highly symbolic targets, trying to create an impression that Iraq's not stable.

» The latest bull's-eye was the International Committee of the Red Cross. A suicide bomber in an ambulance struck the ICRC's Baghdad office on Monday, one day after an attack on the city's most heavily fortified hotel, where Paul Wolfowitz, US deputy defense secretary, was staying. The last big attack was on the United Nations offices.

» Don't be fooled.

» These dramatic hits are aimed at swaying world opinion (mainly American) and not Iraqis, who prefer to vote for a new government rather than revolt against the Iraqi Governing Council and the multinational force led by the United States.

» Someone with a sense of history, either Saddam Hussein or terrorists connected to Al Qaeda, may think they can bring about in Iraq what the Tet Offensive did in South Vietnam in February 1968, when a desperate Hanoi ordered futile attacks on US positions, notably the embassy in Saigon. The attacks created an impression that the US was losing militarily. It wasn't true, but the TV images helped turned American opinion against the war.

» In Iraq, the desperate attackers show signs of losing the opinion war.

» Over just the past two weeks, the ''dead-enders,'' as the Bush administration calls the terrorists, have seen the UN Security Council vote unanimously to endorse the US-led restoration of Iraq, while a 73-nation donors' conference in Madrid came up with more than $33 billion in pledges — twice the size of the Iraqi economy — to aid Iraq's rebuilding.

» And while President Bush and Congress argue over whether the US portion of that aid is a grant or partially a loan, the package will eventually pass, a reflection of the public's willingness to slog it out (as Donald Rumsfeld might say). »


La question qui se pose ne concerne pas l’urgence de juger d’une telle argumentation, éventuellement d’y répondre. (Inutile de s’appesantir sur la validité d’arguments appuyés sur le vote du Conseil de Sécurité ou la Conférence des donneurs, à Madrid, comme signe du renforcement du soutien de la communauté internationale.) La question concerne la forme du raisonnement, par conséquent la psychologie qui préside à l’appréciation qui est donnée de la situation.

Les Américains refusent d’aborder ce problème ou bien ils ne le peuvent pas, — même s’ils effleurent par moments son aspect le plus fondamental, sans doute d’une façon involontaire. Un article du New York Times sur Wolfowitz en Irak, publié hier, présente une analyse très classique, ou, plutôt, très classiquement américaine, — sur les difficultés de la situation, les difficultés de parvenir à rétablir la sécurité, à chasser les guérilleros, et faire évoluer une situation qu’on voudrait déjà sécurisée et stabilisée. (Tout cela à propos de Wolfowitz, qui semble porter sur lui cette incapacité américaine.) Très curieusement, en page une, quelques mots résument l’article en disant quelque chose qu’on n’y trouve pas du tout et qui est pourtant l’essentiel du seul problème intéressant : « The rocket attack on the Rashid Hotel emphasizes the gap between the Bush administration's description of progress and actuality »

L’administration GW, on pourrait même dire la psychologie de cette administration et de l’essentiel du monde washingtonien, est complètement captive de la “réalité virtualiste”. C’est elle qui fait la prémisse de toute appréciation de la situation. Cette pression insupportable conduit à des sophismes aussi grands que celui qui nous est exposé ici : plus nos adversaires attaquent, plus cela signifie qu’ils sont désespérés (et qu’ils vont perdre, par conséquent). Donc, plus nous reculons sous leurs coups, plus nous avançons puisqu’ils vont perdre.

A leur tour, ces sophismes interdisent complètement toute leçon utile d’être tirée, donc toute mesure constructive d’être prise. On se demande même si la psychologie GW/washingtonienne est encore, aujourd’hui, capable d’accepter le fruit de l’expérience de la réalité pour parvenir à appliquer des leçons utiles. Cet ensemble de blocages psychologiques signifie, au moins, que, pour Washington, le drame irakien pourrait aller vraiment très loin.