La machine rechigne en attendant le pire

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La machine rechigne en attendant le pire


27 septembre 2006 — Deux événements, ces derniers jours, montrent que la tension à l’intérieur du système de sécurité nationale US poursuit sur sa route d’accélération régulière, et bien entendu d’ores et déjà dans des zones de très grande intensité.

• Le premier événement significatif est le refus du général Shoomaker, chef d’état-major de l’U.S. Army, de présenter son budget 2008. C’est une position sans précédent, comme l’était la décision de Rumsfeld de déléguer aux services le soin de présenter leur propre budget à l’OMB (Office and Management of Budget) ; la première, bien sûr, répond à la seconde.

• Le second événement concerne la description de la situation en Irak. Après les fuites sur le National Intelligence Estimate (NIE) sur la situation en Irak publiées samedi dernier par le New York Times, l’administration GW Bush a publié des extraits officiels du document pour tenter d’atténuer les effets de la fuite. C’est surtout cette fuite qui est significative. Elle s’est produite sans soulever la moindre interrogation, ni, lors de la publication, la moindre indication sur les origines.

• La publication officielle d’extraits du NIE a eu un effet accélérateur des antagonismes puisqu’elle n’a nullement supprimé l’effet catastrophique des fuites et a servi surtout à mettre en lumière la très forte agressivité qui s’est installée entre républicains et démocrates, avec l’entrée en piste des Clinton. Le Guardian d’aujourd’hui décrit ainsi ce développement :

«George Bush yesterday suffered a blow to his argument that the removal of Saddam Hussein had made Americans safer after he ordered the release of an intelligence report warning the war in Iraq had become a “cause celebre for jihadists”.

»Mr Bush's decision to declassify a small portion of a leaked National Intelligence Estimate, six weeks before the midterm elections, was seen as an attempt to get in front of Democratic critics, led by Bill Clinton, who accuse the administration of not doing enough to catch Osama bin Laden.

»After five years of relative civility, the unspoken entente cordiale between the Bush and Clinton administrations to avoid assigning blame for the 9/11 attacks came to an abrupt end yesterday, with both leaders and their aides fighting for their respective legacies. But Mr Bush's ‘war on terror’ narrative was contradicted by the report.

»“The Iraq jihad is shaping a new generation of terrorist leaders and operatives; perceived jihadist success [in Iraq] would inspire more fighters to continue the struggle elsewhere,” it said.

»“The Iraq conflict has become the 'cause celebre' for jihadists, breeding a deep resentment of US involvement in the Muslim world. If this trend continues, threats to US interests at home and abroad will become more diverse, leading to increasing attacks worldwide.”

»The report, reflecting a consensus of 16 intelligence agencies, acknowledged some US success in disrupting al-Qaida. But it said these gains were outweighed by other factors, fuelling al-Qaida's spread: anger at corrupt Muslim regimes, anti-US sentiment, and a decentralised leadership that made it harder to penetrate.»

Toujours les mêmes mots, toujours les mêmes maux

Dans les deux cas exposés (avec l’appendice de l’affrontement devenu extrêmement vif et destructeur entre républicains et démocrates), on peut parler de l’accroissement de la paralysie et du désordre au sein de l’appareil de sécurité nationale US. Les deux cas illustrent deux domaines : celui des rapports de l’appareil avec le public (au sens le plus large) et celui des rapports entre les différents centres de pouvoir au sein de l’appareil. Les deux cas sont particulièrement significatifs parce qu’ils ont lieu dans une situation de grande tension (proximité des élections et situation en aggravation constante en Irak). On ne peut s’en tenir à la seule formule de dire que cette tension exacerbe la réalité ; il faut plutôt constater qu’elle la révèle en l’exacerbant, c’est-à-dire en crevant l’enveloppe (la bulle) protectrice du virtualisme.

Les conditions sont également significatives. Une source européenne observait hier que la fuite initiale (dans le presse, samedi dernier) concernant le NIE s’est produite «d’une façon presque naturelle, comme allant de soi, comme s’il était normal que des extraits d’un tel document soient portés à l’attention du public». Cette remarque semble répondre aux exhortations de Daniel Ellsberg (l’analyste du Pentagone qui avait rendu publics en 1971 les “Pentagon Papers”), qui demande aujourd’hui à tous les fonctionnaires US de considérer comme un “devoir patriotique” de divulguer des documents secrets embarrassant le gouvernement. Une autre analogie est celle de la pratique de la glasnost, ou “publicité” des pratiques de la bureaucratie, dans l’URSS de Gorbatchev (mais là, cette “publicité” ou mise à jour publique était organisée par le pouvoir lui-même, pour lutter contre la bureaucratie). Dans les deux cas, il s’agit de situations de crise où les règles du secret sont dénoncées au nom des abus commis par les gardiens de ces secrets.

L’appareil de la sécurité nationale à Washington s’enfonce dans la guerre partisane, bien entendu dans une mesure jamais vue auparavant. Nous avançons sur une terra incognita. La fin de la “paix armée” entre le clan Clinton et les républicains est un signe très significatif. Bill Clinton s’est toujours montré très prudent depuis le 11 septembre 2001, jusqu’à l’“apeasment” pour utiliser le terme fameux illustrant l’infamie suprême ; Hillary, elle, a toujours plus ou moins appuyé l’effort de guerre en Irak en critiquant par intermittence la méthode. Toutes ces civilités sont écartées. La guerre est ouverte, achevant de faire voler en éclats ce qu’on pourrait nommer l’“unité partisane” de l’establishment washingtonien (attitude de solidarité concernant les “bipartisane issue”). Il s’agissait de la mobilisation et de l’unité de l’establishment face aux crises menaçant ses fondements, quels qu’en fussent les auteurs. Ce réflexe d’auto-défense n’existe plus.

A la place de l’auto-défense, la paralysie, qui implique qu’aucun des camps qui s’affrontent ne prend le dessus et que l’autorité centrale continue à se dissoudre. L’affrontement Rumsfeld-Schoomaker est significatif. (Il l’est d’autant plus que Rumsfeld avait disgracié le prédécesseur de Schoomaker, le général Shinseki, en mai 2002, pour aller chercher le même Schoomaker à la retraite et l’installer à la tête de l’U.S. Army, comme un de “ses” hommes. On voit le résultat.) Actuellement, la question du budget de l’U.S. Army est bloquée. Elle sera résolue par des compromis forcés qui ne résoudront rien, avec intervention du Congrès qui en profitera pour encore plus imposer sa loi anarchique. Les remarques sur la perte d’autorité du pouvoir civil (au Pentagone) restent plus que jamais valables. Cela ne rehausse pas pour autant la position de l’Army, qui continue et continuera à s’abîmer dans sa crise complètement insoluble — puisque l’issue dépendrait d’un changement de politique en Irak et d’un bouleversement des méthodes de la bureaucratie du Pentagone — deux choses sur lesquelles l’U.S. Army n’a aucune prise et dont elle est elle-même partiellement affectée.

Résumons : fin de l’auto-défense du système, paralysie, réduction générale de l’autorité et désordre. Nous sommes désolés de devoir nous répéter dans notre diagnostic mais il faut bien commenter, parfois en direct, la chute en accélération régulière du système américaniste, toujours avec les mêmes mots parce qu’à cause des mêmes maux. La chose est grosse mais son explication est simple.