La Maison-Blanche double le Pentagone

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Il y a des signes intéressants selon lesquels on pourrait avancer l’hypothèse que la Maison-Blanche veut avoir un droit de regard direct sur certains programmes d’armement à grande importance politique. On fait cette remarque en fonction de la nouvelle de ce 20 mai 2009, selon laquelle le nouveau rapport sur le réseau anti-missiles BMDE en Europe a été remis, du côté US, au général Jones, président du NSC et conseiller direct d’Obama pour les questions de sécurité nationale. C’est une procédure qui peut s’expliquer par l’urgence du sujet (les négociations START en cours à Moscou, où la question du BMDE est à l’ordre du jour), mais qui n’empêche pas de remarquer qu’en l’occurrence le Pentagone semble, d’après ce qu’on sait, quelque peu court-circuité.

L’intérêt d'autant plus grand du propos est qu’il ne s’agit pas de la première situation de cette sorte. On a vu, le 12 mai 2009 avec le cas du JSF à capacités nucléaires, une intervention de la Maison-Blanche (c’est-à-dire du NSC à nouveau) dans une matière, le programme JSF, qui est d’abord de la responsabilité du Pentagone, – et l’on sait avec quelle jalousie le JPO (JSF Program Office) tient à exercer cette prérogative, jusqu’à l’exclusivité de la gestion, de l’information et des décisions concernant le programme. Dans ce cas, le JPO et le Pentagone ont été supplantés par cette prise de position de la Maison-Blanche. (Il n’y a guère eu de suite à cette affaire et, surtout aucun commentaire venu du Pentagone, par les sempiternelles “sources officielles”, ni dans la presse spécialisée proche du Pentagone d’habitude si prolixe sur la question.) Là également, on comprend l’enjeu politique important (la question du nucléaire par rapport à Israël), comme on comprend de même l’importance du programme JSF lui-même dans ce contexte très politique.

Quelles que soient les explications et les raisons ponctuelles de ces interventions, il n’empêche qu’il s’agit d’une procédure très inhabituelle, sinon inédite. (Le souvenir historique le plus précis à cet égard est celui de l'époque 1969-1972, lorsque Kissinger dirigeait le NSC et court-circuitait le Pentagone en obtenant des informations directes de la CIA sur les systèmes stratégiques soviétiques, en en gardant l'exclusivité pour son action dans les négociations SALT-I, – dont le traité fut signé en mai 1972.) Des questions aussi clairement liées à l'armement devraient passer d’abord par le Pentagone, avant d’aller à la Maison-Blanche éventuellement, si la Maison-Blanche le demande. Le circuit habituel a été court-circuité. C’est un événement bureaucratique important et une indication pour plusieurs aspects. On peut résumer le commentaire en trois remarques, qu’on doit considérer en ayant à l’esprit qu’il ne s’agit que d’hypothèses.

• La Maison-Blanche veut contrôler directement certains dossiers essentiels. Il s’agit, avec les cas évoqués, des relations avec la Russie et des relations avec Israël, dans divers domaines délicats, – les négociations stratégiques, le réseau anti-missiles en Europe, le nucléaire au Moyen-Orient, les relations avec l’Iran. La Maison-Blanche craindrait que des interférences par le biais des gestionnaires des programmes, qui ont beaucoup de liens avec les pays concernés et leurs propres “politiques”, aient effectivement des conséquences incontrôlables sur ces dossiers.

• La Maison-Blanche voudrait également exercer un contrôle stratégique sur ces programmes, cette fois dans le but d’avoir son mot à dire dans la réforme du Pentagone. Certaines orientations politiques, de coopération avec des pays non-US notamment, peuvent renforcer le statut de programmes qu’on voudrait pourtant réduire, freiner, réorienter, etc. Les deux programmes considérés (BMDE et JSF) ont effectivement un important volet de coopération avec des pays étrangers.

• La position de Gates dans ces situations hypothétiques pourrait être incertaine. Elle ne serait pas nécessairement du côté du Pentagone. Au contraire, on pourrait faire l’hypothèse que Gates, pour imposer certaines contraintes à sa bureaucratie alors qu’il est engagé dans une bataille pour réformer le Pentagone, appuierait en sous-main ces interventions de la Maison-Blanche.


Mis en ligne le 20 mai 2009 à 15H39