La majorité globalisée contre la démocratie

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La majorité globalisée contre la démocratie

La démocratie n’a plus, mais alors plus du tout la côte dans la populace du monde, nous dit un rapport de l’université de Cambridge. (Le rapport est publié par le Centre for the Future of Democracy, financé par le Bennett Institute of Public Policy effectivement intégré dans l’université de Cambridge, et fonctionnant largement sur des fonds US.) Le rapport note que 2005 fut l’année fatale où la popularité de la démocratie jusqu’alors en phase ascendante (38,7% d’insatisfaits de la démocratie en 2005 dans le monde) commença à décliner : aujourd’hui, 15 ans plus tard, 57,5% des citoyens du monde sont insatisfaits. La majorité n’aime plus du tout la démocratie.

Les pays en tête de ce désamour : les États-Unis, le Brésil, le Nigeria et le Mexique. Une très grande attention est évidemment portée aux USA, qui est originellement l’ontologique perfection démocratique, The Shining City on a Hillou la révolution démocratique accomplie du fait même de leur fondationLes commentateurs s’interrogent avec angoisse et stupéfaction sur cette évolution, spécialement sinon exclusivement pour les États-Unis qui (bis repetitat) nous sont effectivement présentés comme cette ontologique perfection signalée plus haut.

Ce qui est le plus stupéfiant dans la présentation de ces résultats, qui n’ont pas besoin d’une enquête scientifique rigoureuse pour animer notre conviction, c’est la persistance, dans le chef des élites-Système (zombieSystème) qui en font le commentaire, de la croyance dans le simulacre historique (ou a-historique) dans la signification et l’interprétation de ce que furent les États-Unis à l’origine, et peut-être bien jusqu’à 2005 après tout. Simulacre au cuir épais...

Jacques Barzun, intellectuel français du début du XXème siècle, émigré aux USA et devenu un des plus prestigieux universitaires là-bas, décrivait dans son considérable et remarquable From Dawn to Decadence – 500 Years of Western Cultural Life [publié en 1999] la naissance de cette démocratie exemplaire et révolutionnaire :

« S’il y en avait un, le but de la Guerre d’Indépendance américaine était réactionnaire : ‘Le retour au bon vieux temps!’ Les contribuables, les élus, les marchands et négociants, les propriétaires voulaient un retour aux conditions existantes avant l’établissement de la nouvelle politique anglaise. Les références renvoyaient aux droits classiques et immémoriaux des Britanniques : autogouvernement par le biais de représentants et d’impôts garantis par les assemblées locales, et nullement désignées arbitrairement par le roi. Aucune nouvelle idée suggérant un déplacement des formes et des structures du pouvoir – la marque des révolutions – ne fut proclamée. Les 28 affronts reprochés au roi George avaient déjà été souvent cites en Angleterre. Le langage de la Déclaration d’Indépendance est celui de la protestation contre des abus de pouvoir, et nullement celui d’une proposition pour refonder le gouvernement sur de nouveaux principes. »

Las, ZeroHedge.com tout comme le rapport du Centre for the Future of Democracy, présentent ce déclin de la croyance dans la démocratie aux USA (le reste compte peu) comme un paradis perdu, comme si les USA et la démocratie avaient été à l’origine autre chose que le simulacre qu’ils furent.

« “2005 a marqué le début de la récession démocratique mondiale”, observe le rapport “Global Satisfaction with Democracy 2020” de l'Université de Cambridge.

» “Cette année-là a également marqué le point culminant de la satisfaction à l'égard de la démocratie”. En 2005, seuls 38,7 % des citoyens dans le monde étaient insatisfaits de la démocratie. “Depuis lors, la proportion de citoyens insatisfaits a augmenté de 18,8 % pour atteindre un niveau record de 57,5 %”.

» Ce bond en avant de l’insatisfaction est mené par les États-Unis, le Brésil, le Nigeria et le Mexique. C’est aux États-Unis que la hausse a été la plus prononcée. Après plusieurs décennies d’après-guerre, où moins de 25 % des citoyens des USA se déclaraient insatisfaits, une majorité de 55 % d’entre eux sont aujourd'hui mécontents de la démocratie. 

» Le problème est double. Une démocratie saine exige que la grande majorité des citoyens croient en des élections équitables. Contrôle et équilibre, institutions intègres, État de droit, respect par la majorité des droits de la minorité. Si cette foi est perdue, alors chaque faction se bat très rationnellement pour dominer ses adversaires à tout prix, par tous les moyens. C'est tribalisme.

» Ce qui conduit au deuxième problème - l'Amérique a été construite par des immigrants qui ont laissé le tribalisme derrière eux. En travaillant ensemble, nous avons montré à l'humanité les grandes merveilles que l'on peut obtenir par la coopération, l'intégration, l'assimilation. L'optimisme. L'idéalisme.

» “Pendant une grande partie de son histoire moderne, l’Amérique s'est considérée comme “The Shining City on a Hill”, – une démocratie modèle, pouvant servir d'exemple à d’autres qui souhaitent connaître son succès”, écrivent les auteurs du rapport.

» “Après la crise financière de 2008, cependant, cela a commencé à changer, l'évaluation par les Américains du fonctionnement de leur système politique continuant à se détériorer d'année en année.

» ”La polarisation politique croissante, les fermetures de gouvernements, l'utilisation généralisée de la fonction publique à des fins privées, une guerre coûteuse en Irak et l'inégalité spatiale et intergénérationnelle croissante ont tous pesé contre la vision qu'ont les Américains de la capacité de leur démocratie à tenir ses promesses”.

» Que se passera-t-il lorsqu'une majorité de citoyens de la première démocratie du monde, de sa plus grande économie et de sa plus puissante armée, perdra la foi en ses fondements mêmes ? »

 

Mis en ligne le 3 février 2020 à 08H26