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674Le FMI a publié son rapport biannuel sur les perspectives économiques mondiales (WEO, ou World Economic Outlook). La marque en est un pessimisme accentué, après une troisième révision en baisse, pour sa prospective pour l’année 2009. Le révisionnisme semble être la marque de la prévision économique. L’AFP, via RAW Story, donne une analyse succincte de l’Outlook du FMI, ce 22 avril 2009.
«The International Monetary Fund Wednesday forecast the global economy will contract a punishing 1.3 percent this year because the financial crisis is proving more entrenched than expected. “The global economy is in a severe recession inflicted by a massive financial crisis and acute loss of confidence,” the IMF said in its semi-annual World Economic Outlook (WEO) report. The IMF warned the outlook was “exceptionally uncertain,” with risks weighing on the downside, in its assessment that the world economy was sliding into “the deepest post-World War II recession by far.”
»It was the third time the IMF has slashed its 2009 world growth estimate this year. In January, the multilateral institution saw growth of 0.5 percent, but by March it had forecast a contraction of between 0.5 percent and 1.0 percent. According to IMF economists, the global economic and financial crisis will hammer the advanced economies the hardest, with their gross domestic product (GDP) – a measure of a country's goods and services output – shrinking at an annual rate of 3.8 percent this year.»
Le FMI prévoit un début très lent de reprise pour 2010, – mais que faire d’une telle prévision alors que la prévision pour 2009 est continuellement revue, à la baisse certes, de mois en mois depuis le début de l’année? Le FMI estime que la crise “coûtera” plus de $4.000 milliards, là aussi une estimation revue déjà plusieurs fois, et dans ce cas, bien entendu, revue dans le sens de l’augmentation. Ajouter avec une ironie fatiguée que cela n’est pas fini relève du lieu commun.
Nous regardions par mégarde, – le mot est tentant, – la ministre française de l’Economie et des Finances Christine Lagarde, invitée “sérieuse” de l’émission Le grand journal de Canal +, hier soir. Dans cette sorte de technique interview-talk show où se mêlent futilités, interruptions des uns et des autres, remarques “people” et questions conventionnelles, l’invité se trouve souvent coincé entre une obligation de conformisme, une attention constante à l’utilisation des lieux communs, le respect des consignes générales de communication d’un système aux abois, et quelques moments, ou quelques instants bien peu nombreux où émerge une rare franchise, et puis un ton, parfois, qu’on ne peut complètement dissimuler. On ne peut donc parler d’“information” réelle dans le chef de la ministre, ni de raisonnement structuré, mais d’un “climat” où baignaient ses déclarations.
«Est-ce que vous doutez?», demande, en l’interrompant bien sûr, l’un des hôtes du talk show; instant rapide d’hésitation, interruptions à nouveau, retour sur la question, puis : «Oui, bien sûr, je doute…», – suivi d’explications structurées et assurées, histoire de noyer l’aveu. C’est effectivement un “climat” complet d’incertitude entre les vagues références à des chiffres qui, comme tous les chiffres, ont pour eux d’être nets et carrés, presque rassurants, dans tous les cas dans l’instant où ils sont dits, mais dont on sait qu’ils seront différents quoique aussi carrés demain; un “climat” sans la moindre réserve d’une marche dans l’inconnu et d’une marche vers l’inconnu, cela substantivé par des références assurées aux “modèles macroéconomiques” qui ne donnent aucune référence solide parce que ce qui se passe n’a jamais été vu auparavant, et ainsi de suite…
Episodiquement mais inéluctablement, en même temps qu’une tentative en cours assez futile quand on la considère d’une certaine distance de ranimer l’optimisme, nous revenons, d’un instant l’autre, à la réalité, épouvantable et éprouvante. Par rapport aux prévisions et aux attentes, le G20 a été une catastrophe ou un non-événement, – on le qualifiera comme on veut. On a tenté de l’habiller de certaines vertus, puis, dans la foulée comme l’on dit, on annonce quelques “signes encourageants”. Les prévisions revues pour la nième fois du FMI en font justice sur le fond. On justifie cette offensive de communication en affirmant que la crise est d’abord une “crise de confiance” et qu’il suffit de ranimer la chose en crise pour que cesse la crise. On continue bien sûr les diverses manipulations, on dirait les manipulations as usual, pour aider le système à se remettre en place, exactement à la même place qui nous a enfanté cette catastrophe. Paul Jorion nous signale (le 21 avril 2009) les dernières observations de l’économiste Roubini:
«Jeudi dernier, dans son plus récent rapport, Nouriel Roubini expliquait avec force détails que les chiffres utilisés par les autorités américaines dans les “tests de détresse” auxquels sont soumises les dix-neuf principales banques américaines, étaient d’ores et déjà enfoncés, qu’il s’agisse des chiffres du chômage (à la hausse), du PIB (à la baisse) ou de la chute du prix de l’immobilier résidentiel (à la baisse). Il recommandait du coup que l’on cesse de parler de “stress tests” pour parler de “fudge tests”: tests bidouillés.»
Les directions politiques du monde, qui ont pris la confortable habitude de se reposer sur “la direction économique du monde”, ne cessent de découvrir que cette direction-là n’existe plus avant de comprendre, un jour, qu’elle n’a jamais existé. La science économique est un masque rationnel posé sur un tourbillon d’intérêts antagonistes et un désordre d’actions concurrentes, où dominent les sentiments humains les plus vils et les plus communs, où la prévision se contente du trimestre en cours, pour le versement des dividendes aux actionnaires (cela, in illo tempore, quand les choses allaient leur train). Tombe le masque. La raison ne cesse de s’affoler devant cette absence complète de perspective et s’en remet, par intermittences chaotiques, à la communication pour tenter de se donner l’illusion, et de la communiquer alentour, de maîtriser les affaires d’un monde qu’elle ne comprend plus. C’est-à-dire que la raison s’était donnée le vertige de la certitude de comprendre le monde, et de le maîtriser par conséquent. Effectivement, cette certitude n’était rien d’autre qu’un vertige, ce qui conduit à observer que la raison a vécu, dans la période historique qui s’achève par les temps qui courent, selon les emportements de la déraison et rien d’autre.
La seule assurance acceptable et la seule certitude reconnue, c’est que cette crise est bien la chose la plus logique et la plus justifiée du monde. Par mégarde, la ministre Lagarde nous l’a dit en avouant qu’elle doute.
Mis en ligne le 23 avril 2009 à 06H40
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