La marche étrange des désordres planétaires

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La marche étrange des désordres planétaires


11 août 2006 — On dira qu’en événements et en tensions successives, août 2006 prend bien le chemin de valoir août 14 ou encore août 1939. Mais il y a des caractères qui rendent cetter période que nous vivons sans aucun équivazmlent historique. C’est de la création pure.

L’accumulation des crises et des conflits, leur diversité, leur caractère insaisissable tant dans la réalité que dans l’interprétation des réalités “concurrentes”, rendent la situation à la fois subtilement et infiniment étrange, et extraordinairement et dérisoirement explosive. Ce qui distingue par contre août 2006 du reste, c’est bien le contraste radical des jugements et situations, la démultiplication des sens qu’on peut trouver aux uns et aux autres. Tout comme un général israélien (le général Ido Nehustan) remarque à propos du Liban et du Hezbollah que Tsahal se trouve devant la tâche de « forger une nouvelle définition de ce que qu’est une victoire », le “complot terroriste” de Londres et des environs se trouve aussitôt noyé dans une vague d’affirmation apocalyptique et de suspicion généralisée qui pulvérise le sens de l’événement. Dans les deux cas, on se trouve placés d’une façon simultanée devant la question de la crise et la question de la définition de la réalité de la crise.

Rien ne peut être tenu pour acquis, rien n’est défini, rien ne peut être fermement prévu dans le déroulement et la substance de ces crises. Dans la définition qu’on s’en est faite classiquement, une “crise” est dans son contexte historique général un élément du désordre du monde mais elle nous a accoutumée à être en elle-même une indication précise d’une situation soudain forcée à une évolution dramatique. (Dans le désordre du monde d’août 39, la signature du Pacte Staline-Hitler est une crise qui a uner signification précise.) La nouveauté est que, si la crise reste un élément du désordre du monde, elle est aussi elle-même du désordre en substance. Il n’existe aucune référence ferme. Le désordre se développe dans plusieurs domaines distincts, et, comme si ces domaines s’annulaient, aucune indication précise n’en peut être sortie. Le désordre est dans la signification des événements mais aussi dans la structure des événements (plusieurs “réalités” possibles) et, par conséquent, dans notre perception des événements. Comme dit le général Nehustan de la victoire, nous nous trouvons devant la tâche de “donner une nouvelle définition du désordre” à mesure que nous le subissons.

Cette incertitude due à ce désordre d’un type nouveau qui caractérise ce temps historique étrange, on le trouve même dans les domaines les plus techniques, les plus “contrôlables” en théorie puisque la technique est artefact par définition. Par exemple, il était entendu que la résistance féroce du Hezbollah à l’attaque de Tsahal renvoyait à la “guerre de la quatrième génération” selon une certaine définition de la G4G impliquant que “le plus faible” utilise efficacement des armes “de faible” tandis que le “fort” dispose de hautes technologies qu’il ne peut utiliser efficacement. Mais l’on commence à découvrir, au contraire, que le Hezbollah utilise des systèmes modernes et avancés, — c’est-à-dire qu’il tient Tsahal en échec sur le terrain même de prédilection de Tsahal américanisée...

« Israeli forces have been astonished at the discovery of networks of bunkers and computerised weapons in Hizbullah positions, according to officials.

Troops have found air-conditioned bunkers 40 metres below the ground and anti-tank weapons that originate in France, the US and Russia in southern Lebanon. Many of the tactics and weapons employed by Hizbullah have neutralised Israel's military superiority and made a complete victory difficult to achieve. (…)

« “There were some weapons we did not know about,” said General Ido Nehushtan. “There were others such as the unmanned aerial vehicles which we had detected before.” »

Le désordre touche également, dans une dimension supplémentaire, l’interprétation de la crise pour autre chose qu’elle-même au même moment où la crise est elle-même en train de se faire, comme s’il n’y avait pas de rapport entre ceci et cela. Il y a, parallèlement à la découverte du complot de Londres, des déluges de commentaires qui interprètent immédiatement, “en temps réel” comme on dit, sa manipulation politicienne immédiate, l’utilisation qu’on va en faire. Ces commentaires, repris et commentés eux-mêmes ad nauseam, réduisent à mesure, d’une façon paradoxale, l’effet dramatique de la crise qui est évidemment une condition initiale impérative d’une manipulation efficace. Ils accréditent l’impression que la “crise” n’est qu’une chose bienvenue, sinon provoquée c’est selon, pour renforcer le développement d’arguments électoraux (pour ce cas). Peut-être l’est-elle mais l’art, dans ce cas, est qu’elle ne paraisse pas l’être.

Dans les heures qui suivent la mise à jour du “complot terroriste” de Londres, dans le chaos général ainsi créé et les rumeurs de complot et de coup monté des autorités qui sont aussitôt lancées, une source républicaine, un parlementaire semble-t-il, dit à l’AFP : «  I'd rather be talking about this than all of the other things that Congress hasn't done well » (la dépêche ajoute que le républicain parle « on condition of anonymity because of possible reprisals »). Un officiel de la Maison Blanche commente simplement, en référence directe à la situation politique US (élections de novembre) : « Weeks before September 11th, this is going to play big ». La “crise” est à peine commencée qu’elle est déjà exploitée, et elle en est ainsi dénaturée, — et la “crise” n’est donc pas tout à fait une crise, ou bien une “crise” d’une autre substance et méritant amplement ses guillemets...

Mais la confusion et le désordre affectent les hommes observant les étranges événements, beaucoup moins les événements. Au bout du compte, ces événements ont une signification.

La surprise d’hier est que l’événement qui devait transformer la réalité n’a pas vraiment marché dans ce sens. L’appareil politico-médiatique a sorti le grand jeu, allant jusqu’à dire que le “complot terroriste” du 10 août (8/10) de Londres aurait pu aboutir à un acte plus grave que 9/11. On pouvait aussitôt attendre que 8/10 supplantât la crise Israël-Hezbollah, qui était la grande affiche du jour et qui ne se déroule pas comme espéré, sinon prévu. Il n’en est rien. Il y a, si l’on veut, “cohabitation” des crises. (Il y a, d’ailleurs ¬— mais un “ailleurs” qui a son poids, — différences d’interprétation de la supposée manipulation. Aux USA, la plupart des commentateurs critiques dénoncent 8/10 comme une manipulation destinée à étouffer l’effet de la défaite du sénateur Joe Lieberman, et non la crise Israël-Hezbollah. Du coup, cette défaite du démocrate pro-guerre, au lieu d’être étouffée, acquiert rétrospectivement des dimensions de cataclysme politique…)

C’est-à-dire que, stricto sensu, le désordre est, en soi, plus fort que les commentateurs et les manipulateurs du désordre. D’une façon plus générale, les “crises” sont plus fortes que les interprétations qu’on en fait et les manipulations qu’elles suscitent. Elles s’accumulent devant nos yeux et elles nous narguent. Elles nous disent, — chacune d’elle dit à l’homme qui domine le monde et prétend faire l’Histoire : “Viens donc, viens donc essayer de me maîtriser, voire de me comprendre”… Et nous n’y parvenons plus. (Y sommes-nous jamais parvenus, hors nos illusions et notre vanité?)

C’est la raison pour laquelle, devant ces événements si confus selon la présentation qu’on nous en fait, nous en revenons nécessairement à ce qui nous semble source de tout dans cette période, qui est la psychologie. En fonction des observations qui précèdent, nous pouvons envisager l’idée que l’importance de l’homme dans les crises de la période présente n’est plus historique ni même simplement événementielle. Elle est psychologique : comment l’homme réagit-il, comment perçoit-il l’événement, etc.? A partir de ces observations qui concernent l’attitude incontrôlé de l’homme, on peut essayer de progresser dans la compréhension des événements historiques en cours.