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9 novembre 2006 — Rumsfeld s’est incliné. La formidable victoire démocrate ne lui laissait, en un sens, aucun autre choix. Avec une Chambre balayée par la marée démocrate, la Speaker Pelosi annonçant tout haut qu’elle voulait sa peau, le secrétaire à la défense n’avait aucune chance de pouvoir continuer à travailler. Les parlementaires, au travers de leurs commissions, ont tous les moyens tatillons du monde pour empêcher le travail du gouvernement de se faire. L’énorme victoire apparente des démocrates est d’abord une défaite de l’administration et de l’establishment en général (y compris paradoxalement des démocrates : ils n’ont été en la circonstance que l’outil technique de l’expression de la colère populaire contre Washington, dont eux-mêmes font partie). Elle donne au Congrès, et surtout à la Chambre démocrate, un pouvoir considérable. Dans le cas de Rumsfeld, c’eut été un pouvoir de nuisance absolu.
D’où cette remarque : à Washington, les défaites et les scandales extérieurs (l’Irak, Abou Ghraib) vous laissent intacts mais la loi du plus fort sur le marché washingtonien ne laisse sa chance à personne.
Rumsfeld part-il comme “bouc-émissaire”, comme nous l’envisagions le 20 octobre? Nous serions tentés de répondre positivement, — et bouc-émissaire pour tous, y compris pour les démocrates, puisque tout le monde a signé des deux mains pour la guerre en Irak après l’Afghanistan et a soutenu alors, sans sourciller, le “dur de dur” qu’était Rumsfeld, qui semblait voler de victoire en victoire…
Rumsfeld était haï, d’une façon générale ; peut-être le méritait-il parfois. Pour autant, il était loin d’être le seul responsable du désastre en cours, car la question reste ouverte: “Qui a perdu l’Irak ?” Rumsfeld était (est) américaniste jusqu’au bout des ongles, avec les aveuglements extraordinaires propres à cette psychologie. Mais il a eu également des éclairs de lucidité. Nous ne répéterons jamais assez combien son discours extraordinaire du 10 septembre 2001 — extraordinaire par le contenu autant que par la chronologie — disait une vérité qui nous concerne tous : que le Pentagone est un monstre qui tient notre sort entre ses mâchoires.
Le monstre? Voici quelques mots de son discours, comme une oraison funèbre du secrétaire à la défense vaincu par le monstrueux Pentagone encore bien plus que par Nancy Pelosi ou par l’Irak.
«The topic today is an adversary that poses a threat, a serious threat, to the security of the United States of America. This adversary is one of the world's last bastions of central planning. It governs by dictating five-year plans. From a single capital, it attempts to impose its demands across time zones, continents, oceans and beyond. With brutal consistency, it stifles free thought and crushes new ideas. It disrupts the defense of the United States and places the lives of men and women in uniform at risk.
»Perhaps this adversary sounds like the former Soviet Union, but that enemy is gone: our foes are more subtle and implacable today. You may think I'm describing one of the last decrepit dictators of the world. But their day, too, is almost past, and they cannot match the strength and size of this adversary
»The adversary's closer to home. It's the Pentagon bureaucracy. Not the people, but the processes. Not the civilians, but the systems. Not the men and women in uniform, but the uniformity of thought and action that we too often impose on them.
»In this building, despite this era of scarce resources taxed by mounting threats, money disappears into duplicative duties and bloated bureaucracy—not because of greed, but gridlock. Innovation is stifled—not by ill intent but by institutional inertia.»
Cet avis sur le départ de Rumsfeld, donné par l’ancien vice-amiral et nouvel élu démocrate de la Chambre Joe Sestak nous semble assez convenir à la situation :
«I don’t think this is about Donald Rumsfeld. I think this is about an administration that has tended not to listen — in this case, with the failed policies in Iraq. Maybe this is an indication that it might change. The public spoke out on this election. Iraq was high on the list.
»I think Mr. Rumsfeld came in with the right ideas — that our nation’s military needed to transform. I think that his belief in that was spot-on. I think that Iraq diverted us from that achievement.»
Par contre, on sera moins assuré dans le jugement quant au successeur de Rumsfeld : Robert Gates, ancien directeur de la CIA, un technicien et un bureaucrate sans poids politique réel. Sa nomination (comme celle du bureaucrate Perry en 1994 après le contesté Les Aspin) ressemble politiquement à une manœuvre courante : étouffer la polémique en nommant une personnalité sans éclat. Gates a accepté le poste avec réticence, surtout sur la pression de ses amis modérés (notamment ceux de l’Iraq Study Group). L’énorme personnalité de Rumsfeld effacée, la présidence Bush promise à devenir un marigot de batailles washingtoniennes intestines jusqu’à son terme, Gates apparaît à première vue comme un ministre chargé d’expédier les affaires courantes.
Les affaires courantes? En réalité, il s’agit d’abord de l’Irak, et particulièrement des propositions de l’Iraq Study Group (ISG) dirigé par James Baker, et dont Gates fait partie. D’une façon générale, Gates est plutôt proche du groupe formé par les conseillers de George Bush-père et certains voient dans sa nomination une victoire de ce groupe. C’est l’ISG de Baker qui est placé à la tête du Pentagone de ce point de vue. Mais certes, il n’est question que de l’Irak, qui n’est qu’une partie des problèmes qui forment la crise du Pentagone. Gates sera placé devant une situation toujours aussi inextricable sur le terrain, en Irak.
Defense News écrit hier:
«Though DoD’s top job presents an array of tough problems — chief among them finding the money to pay for weapons, current operations, and defenses against emerging threats — analysts say Gates’s two-year tenure will be consumed by Iraq.
»The Iraq Study Group, led by former Secretary of State James Baker and former Rep. Lee Hamilton, D-Ind., is expected to issue a report that will lay out the blueprint for how Washington will extricate itself from Iraq. Gates is part of the group.
»Everyone will rush to embrace the Baker-Hamilton recommendations, and it’ll be Gates’s job to implement them and work with combatant commanders to make them work,” said Barry Blechman, president of DFI International and a member of the Defense Policy Board.
»Most of the remaining work of managing the Pentagon could be left to Gordon England, the deputy U.S. secretary of defense, whom many see as an able manager who will work well with Gates.»
Les démocrates, qui tiennent désormais le haut du pavé à la Chambre, ont également une bonne appréciation de Gates. Cette déclaration de Ike Skelton, le député (démocrate) du Missouri qui présidera la Commission des Forces Armées et sera l’homme fort du Congrès pour les rapports avec le Pentagone, fixe le sentiment démocrate à l’égard de Gates : un homme qu’il sera aisé de conduire, d’influencer, de manipuler… « I knew him when I was on the Intelligence Committee … a good number of years ago. And I knew him to be very open, easy to work with, very bright. And he does bear a very good reputation, an excellent reputation, as a matter of fact. I think positively about him, and I think others in the intelligence community or those who have worked with him on the Intelligence Committee will say similar comments about his capability and his ease with which I found him to work with.»
Il y a de fortes chances que le Pentagone, avec un secrétaire à la défense de transition sans poids politique comme sera Gates, sera laissé à lui-même encore un peu plus, si c’est possible, qu’il ne l’était ces derniers 12-18 mois (depuis l’échec de la QDR2005) avec Rumsfeld. Il sera laissé à lui-même sur l’essentiel, — les questions de programmation et de gestion bureaucratique ; il sera dirigé, c’est-à-dire administré par un Gordon England, un bon administrateur qui n’a aucun poids politique pour imposer des décisions.
Le poids du Congrès sera évidemment impressionnant, et il pèsera dans le sens “populiste” qui déplaît à la bureaucratie : plus d’intérêt (plus d’argent) pour les troupes, leur équipement, leur confort, etc. ; moins pour les grands programmes prestigieux. D’autre part, même si ceci est contradictoire avec cela, il n’est pas question pour les démocrates de retirer un sou au Pentagone parce qu’on s’approche des présidentielles de 2008 et qu’il faut être perçu comme “dur” sur les questions de sécurité nationale. Le Pentagone continuera à être arrosé de dizaines et de centaines de $milliards ; se poursuivront et se renforceront les fantastiques gaspillages en cours, le désordre bureaucratique et le caractère incontrôlable du Pentagone. Quoi qu’il en soit des intentions des uns et des autres, à l’issue de cette énorme bataille des élections mid-term le Pentagone sort plus fort que jamais, plus indompté et, sans doute, plus indomptable que jamais.
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