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1384Hier a eu lieu à Londres, devant la commission du renseignement des Communes, en séance publique et télévisée, l’audition des chefs des trois principaux services de sécurité et de renseignements (MI5 pour le contre-espionnage, MI6 pour le renseignement extérieur, GCHQ pour la surveillance et les écoutes électroniques). Cette apparition était une “première” dans l’histoire du système de la communication et dans celle du renseignement britannique. Mais là s’arrête la nouveauté. Les auditions furent hautement sanitized comme ils disent, c’est-à-dire en termes médicaux, “stérilisées”, privées de toute substance ou agent qui pourrait nous donner un doigt de zeste de l’incertitude et de la contingence des affaires extérieures, ou disons de la vérité du monde, une sorte de discussion typique de “club” britannique réservé aux gentlemen only ... «... no Bond villain, no white cat, no steel-rimmed bowler hats – just a gentle 90 minutes of polite questioning in which little was demanded or gleaned. The afternoon came briefly to life only when the spies united to identify the real bad guys: the media.»
Cette citation est extraite de l’éditorial du principal bad guy, le Guardian, ce 8 novembre 2013, texte sur lequel nous appuierons essentiellement cette note. Le texte de reportage sur l’audition, du même 8 novembre 2013, reflète l’ennui et l’absence de substance de la chose. Quant à ce qui figure dans le reste de la presse londonienne, on en mesure sans s’y attarder l’efficacité de la stérilisation, tant cette presse fait montre d’une très grande et vertueuse volonté d’autocensure sur le sujet, – car tout cela est provoqué bien entendu par la publication régulière de pièces du fonds Snowden, impliquant la NSA mais aussi le GCHQ britannique. Le climat d’autocensure de la presse et de dénégation absolue du gouvernement au Royaume-Uni constitue un phénomène unique dans les réactions du système de la communication à la crise Snowden/NSA. Hors de l’appendice Guardian, ce pays semble figé dans une attitude de déni général, encouragé en cela par l’extrême médiocrité et la pusillanimité sans exemple du gouvernement, la paire Cameron-Hague arrivant à faire regretter Blair lui-même (un peu comme en France, la même extrémité de Hollande parvenant parfois à faire regretter Sarkozy.).
Le Guardian est principalement concerné par ce remue-ménage très contrôlé jusqu’à paraître immobile, puisque principal et massif pourvoyeur de la publication des pièces du fonds Snowden depuis le 6 juin 2013. L’éditorial cité reflète cette préoccupation, l’isolement du quotidien dans cette affaire (quelle que puisse être sa ligne éditoriale par ailleurs, là n’est vraiment pas la question) lui faisant craindre que rien ne puisse s’opposer à des mesures discrétionnaires et illégales extrêmes contre lui. L’éditorial est marqué effectivement d'une amertume éventuellement inquiète. On reproduit ici les deux derniers paragraphes, qui contiennent certaines inexactitudes incantatoires, qui se comprennent par la recherche du Guardian de tenter d’écarter son isolement («...These matters have been widely discussed in this country»). Mais ce qui nous intéresse, ce sont les deux dernières phrases du texte (soulignées en gras par nous), qui suggèrent, elles, une menace voilée, pas nécessairement instrumentalisées comme un moyen de pression mais plutôt comme une conséquence possible, sinon probable et même plus que probable, si cette situation se prolonge, s’accentue, voire se concrétise par des actes concrets contre les journaux relayant le fonds Snowden.
«...An American or European visitor would have been most struck by what the committee did not ask: it barely touched on the substantive issues raised by the Snowden documents. It skated over any serious questioning about the complex issues to do with mass surveillance, civil liberties or privacy. There were no questions about GCHQ's reported involvement in agencies helping themselves to traffic between Google data servers. There was nothing on the bugging of world leaders who might be considered allies, not enemies. Nothing on the reliance on corporate partners – “well beyond” what they are legally required to do. And nothing on the issue raised by Sir Tim Berners-Lee – the “appalling and foolish” weakening of internet encryption with potentially terrible consequences for individuals and businesses. These matters have been widely discussed in this country, including in such subversive journals as the FT and the Economist. Indeed, they have been debated in every serious newspaper and legislature in the world. They will become manifest in reformed laws, treaties and alliances. But there was little suggestion today that much of this was of true concern.
»Instead there was a kick at the “global media”. Let us be clear. The loss of Snowden's material was plainly damaging for western intelligence. The disaster was that the US agencies have, for the second time in three years, proved incapable of keeping enormous secret databases secure. After WikiLeaks it is astonishing that 850,000 people worldwide were able to peer into the heart of secret operations in Cheltenham. No NSA official has apologised or resigned for this devastating failure and there were only the mildest questions today as to why GCHQ went along with these bizarre arrangements. The intelligence agencies were saved from true catastrophe by only one thing: the fact that Snowden didn't dump the material on to the web, but handed it instead to journalists. Together with the New York Times and Washington Post, we have worked carefully and responsibly (in consultation with governments and agencies) to disclose a small proportion of what he leaked. Some would like newspapers gagged or prosecuted. Be careful what you wish for. Kick newspapers by all means, but, without them, be prepared for something much worse.»
Ce dernier paragraphe est inhabituellement clair et franc. Il admet l’argument des chefs des services de sécurité et du renseignement, relayé par l’essentiel de la presse britannique (les fonds Snowden sont dévastateurs pour le renseignement, disons anglo-saxon, USA et UK), mais en repousse la responsabilité vers ceux-là même qui gémissent : trop incompétents pour protéger leur matériel les plus essentiels et secrets, ils n’ont donc qu’à s’en prendre à eux-mêmes pour les conséquences. L’argument met donc les adversaires face-à-face sans fioritures de langage ni gâteries de moralité type-patriotique : “vous avez été incompétents en ne protégeant pas vos secrets, nous nous montrons compétents en les publiant”. Le reste contient la “menace (à peine) voilée” : ”si les pressions contre nous continuent, et même s’accroissent jusqu’à des mesures discrétionnaires de censure, alors vous allez le regretter”. Pourquoi ? Parce que les journaux du fonds Snowden, et Snowden lui-même, – même s’il n’est pas mentionné dans cette partie de l’édito pour donner à la presse l’exclusivité de cette vertu de responsabilité, – ont été très prudents et très attentifs à ne publier qu’un minimum de documents, en choisissant ceux qui font le moins de dégâts. («Together with the New York Times and Washington Post, we have worked carefully and responsibly (in consultation with governments and agencies) to disclose a small proportion of what he leaked.») Si des mesures sont prises contre ces journaux (voir ce seul journal, le Guardian), alors l’on peut craindre ce qui arrivera à ce moment, c’est-à-dire la véritable dimension catastrophique que représente le fonds Snowden pour le Système ... Cette “catastrophe” pour “les services” qui a été évitée jusque là («The intelligence agencies were saved from true catastrophe by only one thing: the fact that Snowden didn't dump the material on to the web, but handed it instead to journalists.»), – cette catastrophe pourrait bien survenir : «Be careful what you wish for. Kick newspapers by all means, but, without them, be prepared for something much worse.»
Cela nous ramène à un texte antérieur du plus grand intérêt par l’hypothèse qu’il était conduit à évoquer, ce texte du 15 juillet 2013. Le texte avait été suscité directement par une interview de Greenwald au journal argentin La Nacion du 13 juillet, où Greenwald précisait que Snowden n’avait autorisé la publication que d’une part très faible des documents du fonds Snowden, qu’il laissait inexploité notamment dans le chef de documents plus politiques que techniques, dont le contenu est littéralement explosif (selon Greenwald : “assez d’informations pour causer au gouvernement US en une minute seulement plus de dommage que tout ce qu’il a subi dans toute l’histoire des États-Unis”). Nous écrivions à ce propos, ce 15 juillet-là :
«L’on comprend désormais, si Greenwald dit vrai et s’il est bien informé, – et il n’y a vraiment aucune raison pour que ce ne soit pas le cas tant cet homme nous a donné de preuves de sa droiture et de son expérience professionnelle, – que l’enjeu est d’une extraordinaire importance et d’une puissance considérable. Les révélations qu’évoque Greenwald sont d’un calibre colossal (“...enough information to cause more damage to the U.S. government in a minute alone than anyone else has ever had in the history of the United States”), et dans cela qui a figuré dans les publications déjà faites à partir du ‘fonds Snowden’ rien n’approchant leur volume supposé de puissance et d’effets politiques. Dans l’actuel climat d’infrastructure crisique, de crise générale de confiance du public, d’impuissance et de division des directions-Système, on comprend que leur révélation causerait un choc qui pourrait avoir des répercussions difficiles à imaginer et, surtout, hors de tout contrôle... Et le Système, dans sa fureur d’hybris, est capable d’effectivement provoquer cela en continuant à poursuivre Snowden jusqu’à une situation où l’activation des révélations de la partie cachée du ‘fonds Snowden’ serait possible.»
“L’on comprend”, effectivement, qu’il y est question du sort de Snowden, mais en vérité du sort de ses révélations qui implique toutes sortes de situations de pression et de contraintes de la part du Système, contre les USA comme le précise Greenwald, mais aussi contre les autorités et le gouvernement britanniques, éventuellement contre Cameron, qui traînent tous un nombre considérable de casseroles du type qui sont évidemment répertoriées dans les archives des “services” ... Si, effectivement (suite), des mesures d’interdiction et de censure sont prises contre les journaux relayant le fonds Snowden, on retrouverait dans d’autres termes la situation évoquée par Greenwald : une situation où l’un ou/et l’autre journaliste(s), ou/et Snowden lui-même, estimerai(en)t que les entraves faites à la publication des documents choisis dans un sens restrictifs ôtent toute raison de continuer à agir dans ce sens restrictif, ce qui conduirait à décider, à partir de tel ou tel centre antiSystème, la publication sans restrictions, avec les pièces explosives évoquées. Comme on le précisait dans le texte cité, cela n’impliquerait même pas Snowden directement vis-à-vis de ses conditions d’asile politique en Russie, puisque le fonds Snowden dans tout son entièreté est dupliqué et également réparti vers divers relais, dont Greenwald bien sûr. (Au reste, on a pu constater l’interprétation très souple que font les autorités russes des conditions de l’asile politique du whistleblower : Snowden s’agite beaucoup, se montre, parle, va peut-être donner son témoignage officiel à des délégations parlementaires de pays concernés par ses révélations, sans la moindre interférence de ces autorités...).
D’une guerre jusqu’ici suivies cahin-caha selon des règles, une sorte de gentlemen’s agreement qu’on dirait établi de facto, impliquant une certaine retenue de chaque côté, on passerait à cause de l’attitude du Système (les “services” britanniques dans ce cas, et l’autocensure générale), à une guerre totale. La crise Snowden/NSA, qui évolue encore de manière contrôlée malgré l’ampleur des dégâts causés, déboucherait sur l’explosion sans retenue, tout contrôle sur ses conséquences et ses effets étant définitivement écarté. C’est pour le cas que le Système sentirait toute la puissance du choc à la possibilité duquel il est confronté. C’est une bien difficile situation du Système, entre son acceptation contrainte d’une dégradation continuelle sous le coups des révélations contrôlées mais distillées selon une tactique de dissolution, et le risque d’une explosion catastrophique provoquée par son propre durcissement brutal.
Mis en ligne le 8 novembre 2013 à 07H13
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