La métamorphose de Robert Gates

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En mars dernier, le Haut Représentant de l’UE Javier Solana, retour de Washington, mentionnait «la merveilleuse surprise» qu’avait été pour lui la rencontre du nouveau secrétaire à la défense Robert Gates. Effectivement, venant après Rumsfeld et sa brutalité légendaire, l’affabilité et le calme de Robert Gates paraissaient promettre des oasis de bonne entente et de compréhension dans les rapports transatlantiques. Les interventions de Gates, dans le cours de ce mois de janvier, signifient-elles que Solana a été un peu vite en jugement? Que ce soit son interview au Los Angeles Times ou sa lettre envoyée aux Allemands, qualifiée d’“outrageante” par des sources au ministère allemand de la défense, Robert Gates apparaît aujourd’hui s’être notablement rapproché du “modèle Rumsfeld”.

Que s’est-il passé? Le changement d’orientation de Washington, et du Pentagone singulièrement, vers l’Afghanistan est manifeste. Bien entendu, ce changement d’orientation n’empêche nullement de nouveaux développement possibles, si la situation en Irak se dégrade à nouveau. Quoi qu’il en soit, le Pentagone a réalisé que la situation de l’OTAN en Afghanistan est critique, notamment en termes d’effectifs disponibles, précisément à cause de la menace du Canada de retirer ses forces si aucune autre contribution en forces n’est faite prochainement. Cette menace semble être particulièrement prise au sérieux par le Pentagone. Dans ce cas, qui signifierait qu’il n’y a pas eu de renforcement notable et qui verrait une possibilité contraire d'une réduction d'effectifs, la situation opérationnelle pourrait devenir très difficile.

C’est ce que craignent Gates et les militaires. La nervosité nouvelle du secrétaire à la défense est perçue en général comme une tactique pour forcer les Européens à plus s’impliquer dans le conflit afghan. Si c’est effectivement le cas, ce n’est pas tout; l’essentiel est qu’elle traduit une inquiétude bien réelle et très profonde. D’un point de vue stratégique, le Pentagone craint de se trouver entrainé dans une aggravation de la situation en Afghanistan, qui mènerait par contagion à une aggravation de la situation au Pakistan. C’est la hantise des actuels chefs militaires, notamment les marins qui tiennent beaucoup de commandements, qui sont des modérés opposés à l'attaque contre l'Iran et qui sont proches de Gates; c'est le cas de l’amiral Mullens (président du JCS) et de l’amiral Fallon (chef de Central Command), et leur crainte est partagée par Gates. Dans ce cas, il n’est plus question de faucons (comme Rumsfeld) ou de modérés (comme Gates). L’aggravation de la situation au Pakistan par l’Afghanistan est une menace fondamentale, avec bien entendu la perspective des menaces pesant alors que l’arsenal nucléaire pakistanais.

Il n’est plus question de “good guy”-“bad guy” (Gates-Rumsfeld) parce qu'il s'agit d’un enjeu stratégique qui met en cause la puissance même des Etats-Unis. L'attitude de Gates représente une inquiétude générale de l'establishment washingtonien, qui transcende les tendances. Pour cette raison, les querelles actuelles au sein de l’OTAN ne sont pas sur le point de finir et il ne s’agit pas seulement de simple tactique. L’OTAN elle-même pourrait, en chemin, trembler sur ses bases.


Mis en ligne le 2 février 2008 à 12H51